C’est l’histoire, sous forme de récit graphique, de la genèse de la mythique agence Magnum Photos dont les membres ont été témoins des bouleversements du XXe siècle et ont réalisé des images inscrites dans l’histoire de la photographie.
Sorti à l’occasion du 75e anniversaire, l’ouvrage retrace, tout d’abord en 185 pages de dessins, les premiers moments de cette grande aventure avec la création d’une coopérative en 1947 par Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger, David Seymour et le moins connu William Vandivert (il quittera l’agence 1 an après), en association avec Rita épouse de ce dernier et Maria Eisner, responsables des bureaux de Paris et New York. La partie dessinée est complétée par un portfolio chronologique de 73 photos qui va de l’image fameuse de la mort d’un soldat républicain par Capa faite en 1936 jusqu’à celle d’un jeune homme dans un township photographié par Lindokuhle Sobekwa. Suit un texte fort bien documenté de Clara Bouveresse qui retrace l’historique de l’agence, son fonctionnement, ses débats, sans oublier les crises qui l’ont secouée.
Entretien avec Jean-David Morvan, scénariste
Quelle est la genèse du projet Magnum Génération(s) ? Pourquoi s’être lancé dans une pareille entreprise ?
Nous avions l’idée de raconter la naissance de l’agence depuis longtemps, mais ce projet nécessitait énormément de connaissances et de documentation. Cela m’a pris beaucoup plus de temps à réaliser que prévu, notamment par la masse de sources à recouper.En plus de la documentation disponible en France, j’ai eu besoin de me référer à des livres américains, anglais, espagnols, italiens, allemands…
Pourquoi est-ce important de raconter la création de Magnum aujourd’hui ?
La réponse à cette question tient dans le titre même de la BD : « Génération(s) ». Nous y parlons de la première génération de photographes Magnum bien sûr, mais aussi de toutes les suivantes, ces reporters de guerre qui ont forgé notre connaissance du monde depuis toutes ces années. À ce titre, on peut affirmer que nous-mêmes, collectivement, nous sommes la génération Magnum. Le XXe siècle a commencé avec la Première Guerre mondiale, mais nos problématiques contemporaines sont directement issues de la montée du fascisme en Europe qui a débouché sur la guerre civile espagnole, elle-même grande répétition à balles réelles de la Seconde Guerre mondiale. Or, c’est précisément pendant cette guerre que Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Gerda Taro, George Rodger et David « Chim » Seymour ont fait leurs grands débuts.
Quelle a été l’implication de l’agence Magnum et de ses membres dans ce projet ?
Elle a été totale : il aurait été impossible de réaliser cette histoire sans eux, d’autant que nous avons intégré des photographies à la narration BD. Aussi bien le fond de documentation Magnum que les équipes de Magnum Paris, Londres et New York ont été indispensables au travail au jour le jour sur le livre.
Pourquoi avoir choisi de revenir sur le parcours de ses fondateurs pour raconter l’agence ?
Seul l’esprit des fondateurs permet de comprendre ce qu’est Magnum Photos aujourd’hui. À l’origine, cette coopérative de photographes a tout fait pour se libérer des journaux qui les exploitaient. Avant Magnum Photos, ils étaient payés pour aller sur les terrains choisis par les rédacteurs en chef. Leurs photos étaient sélectionnées, recadrées, découpées, retournées même parfois par les journaux, et les reporters de guerre n’avaient aucun droit de regard sur le rendu final. Les légendes étaient trop souvent différentes de ce qu’ils avaient constaté sur le terrain. Ces photographes ont décidé de s’affranchir des diktats des rédactions et c’est dans cet esprit que les photographes qui les ont suivi ont travaillé et travaillent encore de nos jours.
Capa occupe une place assez centrale dans le récit, avec Gerda. Si elle a également été une grande photographe, elle n’est toutefois pas historiquement considérée comme une fondatrice.
Parmi les fondateurs de Magnum, ne figure pas Gerda Taro, tout simplement parce qu’elle est morte en 1937 et que l’agence a été fondée en 1947. Mais c’est avec elle que Robert Capa, Henri Cartier-Bresson et Chim ont commencé à élaborer un concept d’agence créée et gérée par les photographes. On ne peut pas refaire l’histoire mais il est tout de même probable que sans Gerda Taro, les choses auraient été différentes. À commencer par le fait que sans elle, Robert Capa ne se serait pas appelé Robert Capa. Elle réfléchissait de façon stratégique.
Quelle place cet album occupe-t-il dans le travail d’histoire et de mémoire que vous avez entrepris depuis quelques années autour de cette période charnière de l’entre-deux-guerres, de la Seconde Guerre mondiale et de l’immédiat après-guerre ?
Une place centrale puisque c’est celle de l’information contre la propagande. À une époque sans télévision ni internet, les photoreporters étaient les seuls témoins visuels de l’état du monde. Ils allaient chercher la vérité à la source, prenant tous les risques, dans le but de la faire circuler dans le monde entier et ça a fonctionné ! Dans la série que je scénarise actuellement à propos de Madeleine Riffaud, on apprend que c’est en voyant les photos de Robert Capa et Gerda Taro dans la presse que la jeune Madeleine a pris conscience de ce qu’était la guerre, et en particulier la guerre d’Espagne. Et qu’il allait falloir combattre le nazisme, qui prenait de l’ampleur. Cela a pesé, en particulier dans son engagement dans la Résistance et en général dans son caractère, qui reste le même aujourd’hui, à 98 ans. Quand je vous disais au début que nous étions tous de la génération Magnum
Pourquoi cette attention portée à cette période ?
C’est un peu un lieu commun, mais on ne peut pas comprendre le présent si on ne connaît pas bien l’Histoire. Pour moi, c’est une manière d’appréhender le monde dans lequel je vis, et faire une bande dessinée, c’est la manière la plus simple de réfléchir à un sujet, parce que je peux le décortiquer en en faisant une histoire. Mais ça ne suffit pas, j’essaie de faire vivre les personnages dans leurs époques. Je raconte une histoire à travers leurs expériences et leurs émotions. Il ne faut pas que le lecteur ait l’impression de lire un livre didactique. Pourtant, quand il referme la BD, il a appris beaucoup de choses. Mon boulot, c’est de récupérer une masse énorme d’informations complexes et de les restituer d’une manière simple, accessible, claire, et qui ouvre vers d’autres livres ou supports traitant du même sujet, si le lecteur le souhaite.
Propos recueillis par Gilles Courtinat
Tous nos articles concernant l’agence Magnum Photos
Magnum Génération(s)
Scénario : Jean-David Morvan
Dessins : Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet
Coédition Caurette – Magnum Photos
Format : 218 x 280 mm, 248 pages, 29,90€
Site de l’éditeur: https://www.liberdistri.com/fr/bd-roman-graphique/774-magnum-generations-9782382890288.htmlDernière révision le 9 octobre 2024 à 10:00 am GMT+0100 par Gilles Courtinat
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