La naissance et le développement des agences photographiques par Michel Puech – Texte rédigé en 1990 pour le manuel du photojournalisme du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ) de Paris.
Sur les rayonnages de deux ou trois agences de photographies de presse, on peut découvrir quelques boites, en un bon carton, qui contiennent, soigneusement emballées des plaques de verre représentant la guerre de Crimée (1854/1856). Ces plaques avaient été rapportées de Crimée par l’Anglais Roger Fenton que l’on peut, semble-t-il qualifier de premier reporter photographe de guerre. Ces documents sont vraisemblablement les premiers à avoir fait l’objet d’un traitement que l’on peut qualifier d’international: prise de vue, vente et publication dans des pays différents.
En 1861, L’américain Mathew B. Brady réunit vingt photographes pour montrer l’ensemble de la guerre de Sécession. Cette première « agences de photographes » réalisera 7000 images.
Il faut attendre 1928 et des hommes comme Lucien Vogel et Carlo Rim pour que le journalisme moderne troque « le stylo d’hier pour la caméra de demain ». Vu et Regards feront beaucoup le développement du reportage photographique et du commerce qu’il implique.
Dès les années 20, naissent de petites agences qui ont pour vocation de vendre le travail des photographes. C’est aux immigrants d’Europe centrale que l’on doit le type d’organisation qui régit encore aujourd’hui le commerce de l’information photographique.
En 1927, la famille Garai fonde l’agence Keystone. Plus qu’une agence, il s’agit d’un réseau international : Paris, Berlin, Londres, Vienne, New York, Rio de Janeiro, la famille Garai crée des agences partout ou s’allie avec d’autres , comme la Publifoto de Vincenzo Carrese qui développe un réseau national de bureaux Milan, Rome, Turin, Gènes, Palerme….
Dès lors, le système est en place. Chaque maillon de la chaîne envoie aux autres sa production et revend celle qui lui arrive.
Après la guerre, en avril 1947, Robert Capa, Henri Cartier Bresson, David Seymour, Georges Rodger et William Vandivert, les fondateurs de Magnum ne procéderont pas autrement.
Ils sélectionneront des agents qui revendront leurs productions. Ce réseau prestigieux passera par Londres, Milan, Barcelone, Tokyo mais sa caractéristique principale est son articulation sur l’axe Paris New-York.
Le marché américain apparaît
Le marché américain démarre. Black Star une des plus fameuses agences américaines se crée en 1935, autour de quatre européens dont Howard Chapnick « qui incarne la tradition hongroise de la photographie et qui tous les matins entassent ses images dans une valise carrée et allait voir les journaux de New York pour les vendre 3,50 dollars pièce » »
L’après guerre ne fera que confirmer l’importance financière du marché américain avec des titres comme Life et Look. Peu de supports mais beaucoup d’argent, voilà l’idée que les photojournalistes européens vont se faire des Etats Unis pendant quelques décennies.
Pendant ce temps les agences télégraphiques ont considérablement développé leurs services photos. par bélinographies ou par courrier, elles expédient chaque jour aux quatre coins du monde leur production d’images d’actualité.
Mais malgré leurs gros moyens, elles ont manqué un coche. De plus en plus sur le marché ce sont les magazines qui réclament des reportages plus complets, moins événementiels. Ni Keystone, ni les agences télégraphiques ne détecteront cette tendance à temps pour la voir s’inscrire dans leurs courbes financières.
Le photojournalisme à la française
C’est aux Reporters associés, ou chez Dalmas que depuis le début des années 50 se forge le « nouveau photojournalisme à la française ». Hubert Henrotte va en être le grand patron. En 1967, il fait partie du groupe de photographes qui crée Gamma. Très vite Gamma va s’imposer, non seulement sur le marché français mais aussi sur le marché américain, avec la guerre des Six jours, le Vietnam et la contestation étudiante en Europe. 1973, c’est la rupture, Hubert Henrotte rachète APIS et crée Sygma. Henrotte n’est pas seul. Beaucoup de photographes le suivent et aussi des agents.
Un nouvel axe Milan, Paris New York se creuse, lequel va se bâtir ce qui est aujourd’hui la première agence mondiale de photographies de presse. Hubert Henrotte s’appuiera à Milan sur Grazzia Neri, une « vendeuse hors pair » qui va en quelques années conquérir plus de la moitié du marché italien de la photo de presse. A New York, il s’appuiera sur Eliane Laffond, une française qui va bâtir avec talent le bureau de Sygma.
Le talent d’un homme ne suffit pas à tout expliquer, puisque Gamma, Sipa, Magnum, Rapho ou Image Bank sont également membres de ce club fermé des agences internationales. La réunion d’un groupe exceptionnel de photojournalistes au talent incontestable accourus du monde entier y est aussi pour beaucoup.
Mais les fuseaux horaires et les dollars jouent un rôle non négligeable. En produisant, dans les années 70, des reportages dans des pays à monnaie faible, en les traitant à Paris avec une main d’oeuvre dont le coût est beaucoup moins élevé qu’outre-atlantique et, finalement, en les revendant
en dollars le lendemain à New York, les agences françaises se sont taillées, et de loin, la première place sur le marché.
Quand une guerre éclatait au Moyen Orient, la veille du bouclage de Time ou de Newsweek non seulement les assignements en dollars et les contrats annuels avec notes de frais substantielles pleuvaient sur les télex des agences parisiennnes, mais en plus, grâce à l’extraordinaire savoir faire de ces agences et au décalage horaire favorable, les photos arrivaient à l’heure.
Toujours plus vite, mais aussi plus cher
Aujourd’hui, les photos continuent » et de plus en plus d’arriver à l’heure, mais les prix ont suivi la chute du dollar.
Entre temps, un empire et quelques royaumes se sont bâtis. Sygma, Gamma, Sipa expédient chaque jour leur production vers une cinquantaine de pays!
En fait, à peine une demi douzaine de pays ont une presse capable de payer
les coûts des exclusivités des agences, les Etats Unis, la République fédérale d’Allemagne , l’Italie, l’Espagne, la Grande Bretagne et la Suisse. Les autres pays même le Japon ne sont pas assis autour de la même table.
Plus de 50% du chiffre d’affaires de Sygma, Gamma, Sipa est réalisé aujourd’hui à l’exportation dans des conditions qui rappellent le début du siècle, motards entre les agences et les aéroports, fret aérien ou plus rarement ferroviaire, mais aussi convoyage par des employés des agences pour les scoops.
En cas d’urgence les trois rivales n’hésitent pas. On joue les hélicoptères, des jets privés, pour que le client (toujours un grand hebdomadaire d’actualité) ait les photos en temps et en heure.
Les prix alors eux aussi s’envolent. A la valeur du scoop ou de l’événement s’ajoutent les frais. On est loin des barèmes syndicaux.
Pendant cinquante ans, les photographes ont couru le monde avec à peu de chose près les mêmes moyens de transports. Un marché s’est créé, structuré, organisé. Le grossiste a succédé à l’artisan, ouvrant la voie à l’industriel.
1987, le même Hubert Henrotte s’entend avec Robert Maxwell Raison du mariage : l’exploitation de la transmission de photographies couleur par satellite.
1987 encore par une dépêche, l’AFP annonce qu’elle va exploiter, elle aussi, la transmission de photographes couleur par satellite.Photo numérique, transmission par satellite, les nouveaux outils de commercialisation du reportage photographique sont aujourd’hui opérationnels et vont permettre encore et toujours une plus grande diffusion des reportages dans les pays dont la presse peut payer.
Michel Puech
Extrait de Le photojournalisme, informer en écrivant des photos. Ed CFPJ 1990Dernière révision le 13 septembre 2024 à 3:59 pm GMT+0100 par la rédaction
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