Luc, Je n’ai pas le cœur à pleurer, mais à t’écrire. A écrire, comme tu me l’as appris, il y a plus de trente ans, à cette méditerranéenne terrasse de café ou nous ne prenions des bains de lumière, pour traduire en mots les émotions de nos nuits américaines.
Encore étudiant-journaliste nous enfermions avec délectation ces journées ensoleillées dans la sallle obsure du Festival du jeune cinéma de Hyères. Le journalisme, le cinéma, le décor de ta vie était planté.
Tu avais à peine plus de vingt ans, mais tu étais déjà l’enquêteur acharné que Philippe Tesson, puis Jean-François Kahn recrutèrent pour le Quotidien de Paris, pour Les nouvelles littéraires, L’évènement du Jeudi et Marianne. Tu étais déjà le passionné de cinéma. Tu étais déjà l’auteur Du journal d’un film et, le supporter émerveillé de Guy Gilles, ton frère cinéaste trop tot disparu. Lui aussi…
Tu étais déjà, toi,avec ton talent d’écriture, ton incroyable volonté dans la quête; et, l’amoureuse tyrannie que tu pouvais exercer pour obtenir des autres, mais d’abord de toi même, l’effort indispensable à l’écriture de la vérité.
Trois ans pour faire revivre avec des mots l’histoire d’une radio: Europe n°1. Des centaines d’appels téléphoniques, des dizaines d’heures d’interviews décriptées minutieusement. Une demi-douzaine de centaines de pages et quelques lecteurs… Le souvenir du pharaonisme de ce travail et celui du faible rapport financier qu’il t’avais procuré, amène un sourire amusé sur tes lèvres, lors de notre dernier dinner ensolleillé.
Lucky ,comme tu signais ironique tes courriers amicaux, tu ne me lira jamais cette nécro. Tu aurais grommelé: la mort d’un journaliste n’est pas un évènement comme l’écrit Jean-Paul Mari dans Il faut abattre la lune, ta dernière recommandation de lecture sur une Algérie restée si proche.
A cette heure tu es au plus mal. Je suis loin de toi, et toi, en route vers ce la-bas qui j’espère ressemble au tien, à ce la-bas ensoleillé de ton enfance méditerranéenne.
En cheminant vers ta dernière frontière, tu es resté journaliste: soumettant les médecins aux feux des interviews, recoupant les diagnostics, transcrivant tout, comme toujours sur ton carnet, puis finalement cloturant ta dernière enquète, comme d’habitude, en t’inclinant devant les faits.
Et, c’est maintenant, l’heure du bouclage.
Michel Puech
Nuit du 21 au 22 août 2002
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Visitez le site de Guy Gilles, cinéaste et frère de LucDernière révision le 12 mars 2024 à 12:16 pm GMT+0100 par
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