Revue de Presse : «L’avenir du photojournalisme réside dans sa capacité d’innovation» – Propos recueillis par Claire Derville in Le Figaro le 30 mai 2003
L’agence Corbis, propriété exclusive de Bill Gates, est née en 1989 aux Etats-Unis d’une vision : mettre les nouvelles technologies au service de la photographie. Initialement spécialisé dans l’illustration, Corbis s’est ensuite diversifié dans de nombreux autres domaines, du photojournalisme à la photo d’archives, en passant par le flux vidéo. L’agence, dont le siège est basé à Seattle, emploie aujourd’hui près de mille collaborateurs dans douze pays du globe, et a réalisé plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2002. Son PDG, Steve Davis, avocat de formation spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle, indique dans cet entretien son intention de développer les ventes de l’agence auprès des agences de publicité, revient sur les difficultés du photojournalisme et dresse une analyse des profondes mutations du secteur.
Propos recueillis par Claire Derville
[30 mai 2003]
LE FIGARO. – Avec qui travaillez-vous le plus ? Les agences de publicité ou la
presse ?
Steve DAVIS. – Actuellement, nous sommes pratiquement à l’équilibre,
c’est-à-dire que, grosso modo, nos revenus proviennent à 50-50 des agences de
publicité et de la presse, avec un léger avantage pour les agences. Même si,
d’un point de vue économique, cet équilibre est très positif – nous entendons
continuer à diversifier nos sources de revenus –, nous avons décidé de
concentrer nos efforts commerciaux sur les agences de publicité. Et ce, plus
particulièrement en Europe, où ce marché est encore peu développé. D’ici
quelques années, la part de la publicité devrait progresser sensiblement car ce
marché est plus important et plus profitable que celui de la presse.
Une des raisons tient au fait que les photos se vendent plus cher à une agence
qu’à un journal, entre autres parce que le retour sur investissement n’est pas
le même. Les coûts de production d’une photographie «maison» sont tels que les
agences ont tout intérêt à se tourner vers nous, notamment en temps de crise.
Sans compter que ce ne sont pas elles qui paient, mais leurs clients.
Qui considérez-vous com me vos principaux concurrents ?
Il y a tout d’abord la kyrielle de petites et moyennes agences qui représentent
encore 60% à 70% du marché de la photo. Dans le domaine de l’information, il y a
les agences filaires – l’AFP, Reuters, l’AP, etc. – qui fonctionnent sur le mode
de l’abonnement, tandis que nous faisons payer nos photos à l’unité. Certaines
de ces agences sont à la fois nos concurrentes et nos partenaires. Ainsi nos
services redistribuent les photos de Reuters, dans un intérêt bien compris :
nous augmentons notre catalogue, et eux maximisent leur investissement initial.
D’une manière générale, nous avons choisi de nous désinvestir du champ de la
photographie d’actualité – c’est le rôle de Gamma, Sipa, Sygma –, pour nous
consacrer davantage au reportage sur des sujets de fond, et à la photo
d’illustration pour nos banques d’images.
C’est dans ce dernier domaine, en l’occurrence, que la croissance va s’opérer.
Et là, notre plus gros concurrent est très certainement Getty.
C’est difficile, aujourd’hui, de résister face à un géant comme vous…
Le marché a connu des bouleversements considérables ces dernières années. S’il
est difficile pour certains acteurs de trouver leur place aujourd’hui, ce n’est
pas tant de notre fait que de celui de l’avènement du numérique qui a totalement
changé la donne. Par ailleurs, le contexte économique s’est lui aussi beaucoup
transformé. Et si de grosses agences photo ont vu le jour, c’est parce que
l’ensemble des entreprises, à commencer par celles des secteurs de la publicité
et de la presse, se sont regroupées dans un grand mouvement de concentration.
Néanmoins, de nombreuses petites agences sont encore très attractives et très
compétitives. Leur grande force, c’est leur capacité de ciblage. Elles peuvent
se pencher sur des domaines extrêmement pointus, comme la science, par exemple,
où nous ne sommes pas vraiment formatés pour agir.
Nombre de ces petites agences ont d’ailleurs des contrats de partenariat avec
nous. En réalité, ceux qui vont rencontrer le plus de difficultés à l’avenir
sont cette poignée d’agences de taille moyenne, qui sont à la fois trop petites
pour se doter d’un bon réseau de distribution, et trop grosses pour occuper un
marché de niche. Celles-là vont devoir prendre des décisions difficiles.
Soulignons que Corbis n’est plus vraiment intéressé par des rachats d’agences.
Vous sentez-vous responsable des difficultés que rencontre le photojournalisme,
et notamment de la baisse des prix ?
Nous n’avons en aucun cas contribué à ce phénomène, bien au contraire. Il a été
initié par certains de nos concurrents, comme les agences filaires, qui se sont
mis à fixer des prix beaucoup trop bas. Chez Corbis, nous avons au contraire
plafonné à la hausse le prix de nos photos, en refusant de descendre en deçà.
Le marché a également souffert de surproduction, de mauvais managements et des
mutations économiques et technologiques. Par ailleurs, certaines agences, comme
Sygma par exemple, se sont retrouvées prises au piège des «grands noms»,
c’est-à-dire de photographes qui veulent n’en faire qu’à leur tête, au mépris
des réalités du marché.
Souvent, leur préoccupation est axée sur l’art. La nôtre, c’est le client. Pour
nous, ce qui compte, ce n’est pas tant le style d’une photo, mais sa pertinence.
Si une photo n’est pas vendable, nous ne la prenons pas. D’où l’intérêt à
travailler avec des photographes free lance.
Quel futur envisagez-vous pour le photojournalisme ?
Le photojournalisme a devant lui un avenir très positif, et en pleine évolution.
Il y a une demande pour l’image, je n’ai aucun doute là-dessus. Les gens ont et
auront toujours besoin qu’on leur raconte des histoires. Mais les temps
changent. Les gens qui sont disposés à accepter les transformations tireront
leur épingle du jeu. Les autres, ceux qui en sont restés aux années
quatre-vingt, vont être frustrés.
Nous sommes passés au numérique. Ceux qui continueront à utiliser des pellicules
n’auront aucun client, en dehors peut-être de quelques galeries. C’est juste
trop cher, trop difficile ! Du reste, le problème ne s’arrête pas à la
technologie. Les tendances, le marché, les couleurs, la mode… tous ces
paramètres sont en évolution constante. Probablement, à l’avenir, on mélangera
image et son. Je pense que le futur réside dans l’innovation. Cela dit, il y a
une chose qui ne changera pas, c’est la passion de la photo.
Chez Corbis, nous continuerons à travailler avec des photographes passionnés, à
qui nous continuerons de donner les moyens de se réaliser.
Rencontrez-vous des problèmes de piratage ?
Pas vraiment. Le piratage représente effectivement un défi pour nous, mais nous
avons mis en place des solutions très efficaces. Toutes nos photos, qu’elles
soient en ligne ou non, sont dotées d’un code numérique qui nous permet
d’effectuer un suivi très précis de leur utilisation.
Vous aviez prévu l’année dernière que votre filiale française, Corbis France,
atteigne l’équilibre financier en 2004. Est-ce toujours d’actualité ?
Absolument. Nous sommes sur la bonne voie
Répondre | Répondre à tous | Transférer | Afficher dans OutlookDernière révision le 24 octobre 2012 à 11:33 am GMT+0100 par Michel Puech
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