Article publié en 2003 in Amnistia.net,
Pendant les évènements du mois de mai 1968, les journalistes ont fait leur métier pratiquement sans grève, sauf à l’ORTF la télévision d’état, mais en suivant les événements et parfois, en particulier pour les radios, en y jouant un rôle.
Au début des années 70, face à la mainmise du pouvoir gaulliste de l’époque sur l’information, ils se révoltent…
Début des années 70. Georges Pompidou veut remettre de l’ordre dans le pays après sa grande frayeur de Mai 68 . 1969 voit la multiplication d’actions « gauchistes ». Une jeunesse refuse de voir ses rêves se transformer en la réalité consommatrice d’aujourd’hui.
Dans cet « après 68 », un groupe va tenir le haut du pavé, à coup d’initiatives très médiatiques : les « maos ». Jean-Claude Vernier en est un des membres les plus actifs. C’est en 1966 qu’il a rejoint la mouvance « maoïste »[1] alors qu’il est déjà un militant anticolonialiste affirmé , à 14 ans il hébergeait Ben Bella, leader du FLN algérien, lors d’un de ses voyages clandestins entre la France et la Suisse.
1970, Jean-Pierre Le Dantec, son camarade de l’Ecole centrale, et l’écrivain Michel Le Bris, sont successivement emprisonnés pour leurs fonctions de direction du journal « La cause du peuple ». Raymond Marcelin, ministre de l’intérieur a interdit « le brûlot maoïste ». Jean-Paul Sartre et de nombreux intellectuels français sont appelés à la rescousse pour braver l’interdiction.
Le 9 novembre 1970 : nouvelle répression contre la presse !
Le pouvoir sanctionne « Hara-Kiri Hebdo » pour avoir annoncé la mort du Général de Gaulle, avec le titre : « Bal tragique à Colombey: un mort« . C’est un jeu de mot rappelant un fait divers tragique : l’incendie d’un dancing où périrent carbonisés une centaine de jeunes gens. Mais dès la semaine suivante, le journal satirique revient en kiosque sous le nom de « Charlie Hebdo » avec un dessin de une où un aveugle s’exclame : « Liberté de la presse, vaut mieux entendre ça que d’être sourd ».
L’interdiction d’Hara-Kiri provoque un gros émoi dans les rédactions.annoncé la mort du Général de Gaulle, avec le titre : « Bal tragique à Colombey: un mort« . C’est un jeu de mot rappelant un fait divers tragique : l’incendie d’un dancing où périrent carbonisés une centaine de jeunes gens. Mais dès la semaine suivante, le journal satirique revient en kiosque sous le nom de « Charlie Hebdo » avec un dessin de une où un aveugle s’exclame : « Liberté de la presse, vaut mieux entendre ça que d’être sourd ».
Début 1971, la contestation de la répression policière s’intensifie. Une grève de la faim est organisée à la chapelle Saint-Bernard de la gare Montparnasse. Il s’agit de réclamer le statut de « prisonnier politique » pour Alain Geismar et tous les militants « maos » emprisonnés pour vente clandestine de « La cause du peuple ».
Un « Comité de défense de la presse » est créé. Claude-Marie Vadrot et Evelyne Le Garrec tous deux journalistes à « L’Aurore », Claude Angeli, alors journaliste à « Politique Hebdo » ; un hebdomadaire de gauche, Claude Mauriac du « Figaro », Michelle Manceau du « Nouvel observateur » y côtoient de nombreux jeunes journalistes et des militants « maos ». Jean-Claude Vernier est responsable pour les « maos » du « front de l’information ».
Parmi les visiteurs assidus, il y a Maurice Clavel, journaliste au « Nouvel observateur ». Il y a aussi le cinéaste Jean-Luc Godard qui lance l’idée d’une agence de presse d’images pour contrebalancer « la propagande gouvernementale ». Jean-Claude Vernier l’écoute attentivement.
L’étincelle de « L’affaire Jaubert.»
Le 29 mai de cette même année 71, une simple arrestation policière va faire monter d’un cran l’exaspération que beaucoup de journalistes ressentent contre la politique répressive de Georges Pompidou. Alors qu’il sort d’un dîner, un journaliste du « Nouvel observateur » Alain Jaubert est témoin d’une arrestation. L’homme que les policiers ont appréhendé a le visage en sang. Alain Jaubert veut l’aider et monte dans le car de police avec lui. L’homme saigne abondamment. « Il m’a taché cette salope » s’exclame un policier qui frappe l’homme.
Alain Jaubert s’interpose. Il est passé à tabac. Quand il décline son identité de journaliste, les coups redoublent. Résultat : de multiples contusions, un traumatisme crânien et, une inculpation pour violence à agent de la force publique.
Dès les faits connus, une véritable effervescence gagne en quelques heures les rédactions. Le « Comité de défense de la presse » mobilise. Les « maos » publient un « Spécial flic » numéro supplémentaire de « La cause du peuple » et de « J’accuse »[2] diffusé à plusieurs dizaine de milliers d’exemplaires. On y lit les signatures de nombreux journalistes de toutes les rédactions. L’éventail est large et va du « Parisien Libéré » à « Nord Matin », du quotidien d’Hubert Beuve-Méry « Le Monde » à « RTL » en passant par « Le Figaro », « La Croix » et même « Bonne soirée » !
Le 2 juin, ce sont 300 journalistes qui, à la fin du conseil des ministres, demandent des comptes à Léo Hamon, porte-parole du gouvernement. Le 4, ils sont 600 pour marcher du « Figaro » à la place Beauvau, au ministère de l’intérieur. Jean-Paul Sartre déclare « L’état n’est pas encore fasciste mais sa police l’est déjà. »
Jean-Claude Vernier est engagé à fond dans l’affaire Jaubert « Suivant le dossier pour les maoïstes il rencontre tous les journalistes les plus actifs dans le mouvement. …/…Puisque les « maoïstes » ont compris que le monde de la presse commence à bouger en profondeur, pourquoi n’associeraient-ils pas leur énergie à celle des journalistes les plus ardents, et à celle des « démocrates », ces personnalités que les militants voient comme des compagnons de route »[3]
Une agence pour ceux qui veulent tout dire et tout savoir.
Ce sera chose faite le 18 juin 1971. Ce jour là, les « maos » déposent une gerbe au Mont-Valérien en hommage à la Résistance contre le nazisme, l’Agence de Presse Libération est créée avec deux directeurs : Maurice Clavel et Jean-Claude Vernier.
En fait le premier bulletin de l’APL paraît le 30 juin 1971 : « Contre les faux, contre les fausses cartes de presse, les faux témoignages, les fausses informations, on se bat. On se bat pour rétablir la vérité, pour renforcer l’information libre, attaquer l’information aux ordres.»[4] clame le premier bulletin.
Le 13 décembre le bouillant Maurice Clavel est invité à l’émission politique « A armes égales » présenté par Alain Duhamel. L’émission est un débat que chaque participant introduit par un film.
Celui de Maurice Clavel, « Le soulèvement de la vie » est réalisé par Joris Ivens avec l’Agence de Presse Libération. Le résistant libérateur de Chartres, Maurice Clavel y dénonce « l’aversion » du Président de la République Georges Pompidou pour la Résistance française! Georges Pompidou a en effet déclaré à ce propos, le 29 août précédent, au New York Times : « I hate ».
Sur un ordre gouvernemental, la télévision d’état censure la phrase dénonciatrice de Maurice Clavel. Dès la fin de la projection du film, alors que la caméra est à nouveau en direct, Maurice Clavel, dans une envolée de bras et de papiers, se lève et s’exclame en quittant le plateau : « Messieurs les censeurs bonsoir ! ». Du jamais vu, qu’on ne revoit jamais au « zapping » !
C’est dan un contexte d’agitation quotidienne dans les rues, de grèves ouvrières et lycéennes que Simone del Duca, propriétaire du quotidien « Paris Jour », un « tabloïd » populaire, annonce 33 licenciements à la rédaction. Face à la grève immédiate des journalistes, elle décide le « lock-out ». Les journalistes répliquent par l’occupation du journal qui devient le point de ralliement de tous les professionnels énervés par les multiples cas de censures. Une grève générale de la presse française a lieu. Encore une fois, du jamais vu depuis la Libération.
La mort de Pierrot en photo
Le 25 février 1972, nouveau coup de tonnerre. A la porte de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt « Pierrot », Pierre Overney, militant « mao », tombe atteint mortellement par une balle en plein cœur tirée par Antoine Tramoni, un vigile de l’entreprise !
La direction, comme le Parti communiste parle de « provocation »… Mais, au journal télévisé du soir, la France entière découvre une photographie. Celle du vigile, un pistolet en main, face à un jeune homme les bras ballants. C’est Christophe Schirmel qui l’a prise pour le compte de l’Agence de presse Libération. (Lire son témoignage)
Les « maos » contre-attaquent, la « Nouvelle résistance populaire », leur « bras armé », enlève et séquestre quelques jours Robert Nogrette, directeur du personnel des usines Renault. L’Agence de Presse Libération est l’interlocutrice privilégiée des ravisseurs, elle diffuse à toute la presse les communiqués de revendications qu’Antoine de Gaudemar, un jeune lycéen, récolte à mobylette dans différentes cabines téléphoniques.
L’année 1972 est chaude… Très chaude. Les militants « maos » sont désorientés, les journalistes et « démocrates » effrayés par la tournure que prennent les évènements depuis la mort de Pierre Overney.
Il est urgent d’inventer quelque chose… On ne le sait pas encore mais ce sera: « Libération ».
Michel Puech [5]
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Notes
[1] In « Les maoïstes, la folle histoire des gardes rouges français » Christophe Bourseiller Ed. Plon 1996
[2] « J’accuse » éphémère journal dont la direction était assumée par Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre et qui fusionna avec « La cause du Peuple ». La rédaction comptait parmi ses membres André Gluksmann, Blandine Jeanson, Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Francis Bueb, Robert Linhart etc…
[3] in Biographie de « Libération » par Jean Guisnel page 14 Editions La découverte.
[4] In page 189 « Les tigres de papiers, crise de la presse et autocritique du journalisme » de Claude Boris (pseudonyme de Claude-Marie Vadrot) – 1975 Ed. Seuil Collection « Combat »
[5] Journaliste « démocrate », Michel Puech est à l’époque reporter à « J’accuse » puis à « La Cause du Peuple » dont il est exclu en mai 1972. Il rejoint alors un groupe de photographes indépendants le « Boojum consort » avant de devenir « chef des infos » de la première agence photographique de Libération : « Fotolib ». Il est ensuite quelques mois chroniqueur à la rubrique télévision de « Libération », qu’il quitte en avril 1976.
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