Le Monde de la Photo du 17 juillet 2009
Profil
MICHEL PUECH
Le parcours d’un photojournaliste malvoyant
« Né en 1948, mon père, peintre et photographe amateur m’offre mon premier appareil en 1958, un modèle très simple, en forme de cube, un Kodak Brownie Flash. Puis à 16 ans, il me confie un moyen format 6 x 9 à soufflet objectif Boyer. Ensuite études de journalisme à l’IUT de Bordeaux de 1968 à 1970. Photos avec un reflex Nikon, et beaucoup de labo Noir & Blanc.
A Paris, je débute le journalisme au quotidien Combat de Philippe Tesson, puis reporter pour le mensuel J’Accuse qui fusionne avec journal maoïste La Cause du Peuple. Ensuite je participe à la création du collectif de photographes Boojum Consort, avec Gérard-Aimé, Horace, Marc Semo, Jean Pierre Pappis (directeur de l’agence Polaris à New York).
Dans la foulée, à la demande de Serge July, nous créons la première agence photo du journal Libération, Fotolib où je reste deux ans (1973-1975). Henri Cartier-Bresson offre un de ses Leica à Fotolib à condition qu’on n’en parle pas. Un autre photographe, un peu oublié aujourd’hui, Jean Lattès nous offre une machine à écrire pour faire les légendes car dit-il : « une photo de presse sans légende ce n’est pas une photo.
Le 25 avril 1974 des jeunes militaires déclenchent un putsch contre la dictature du général Salazar au Portugal. C’est la Révolution des Œillets et le reportage qui m’a le plus marqué, car c’est après que j’ai décidé d’arrêter la photo de news. Le 27 avril à Lisbonne, j’assiste à la libération de tout un peuple dans la joie pendant six jours. Je « colle » un photographe expérimenté, Henri Bureau de Sygma, lorsque la foule s’en prend à un homme soupçonné de travailler pour la police politique de la dictature, la PIDE. Sa photo fera le tour du monde, mais moi qui suis à ses côtés, je ne l’ai pas, pire je ne l’ai pas vue
Je ne comprendrai que plus tard que ma vision est en cause, mais cela me pousse à abandonner la photo de news, d’actualité. Je quitte Libération pour différentes expériences de reportages texte et photos. En 1980, je âssse rapidement à l’agence Sygma, au coté de Xavier Périssé, puis nous créons la Compagnie des Reporters qui propose des sujets magazine, texte. J’embauche un vendeur de l’agence Sipa, Mark Grosset qui lance ensuite l’agence Black Star France, avant de diriger l’agence Rapho, puis la société Mark Grosset Photographies dédiée à la photographie soviétique. J’ai en charge le site Internet de 2001 jusqu’à son décés en 2006. »
Michel a eu l’occasion de rencontrer Doisneau : « En 1985, je viens chez mes parents, et je vois plus une photo de ma mère à l’époque où elle faisait du planeur, un an avant ma naissance. Ils m’expliquent que le cadre est tombé. Et là je découvre avec stupeur que c’est une photo originale de Robert Doisneau datant de 1947. Cette image au format 6 x 6 retaillée en largeur, a fait la Une de l’hebdomadaire la Vie Catholique en 1947, mais en hauteur. J’ai appelé Doisneau, très content de retrouver une image et son modèle 40 ans plus tard. Nous avons déjeuné ensemble. Il a envoyé à ma mère d’autres photos, et depuis j’ai fait encadrer cette couverture. »
La vision de Michel n’est pas banale, être photojouranliste et malvoyant est sans doute dure à vivre, mais Michel l’évoque avec humour et sourire : « Je marche avec une canne blanche, parce que j’ai une vision tubulaire, un champ visuel de 10 degrès. C’est un handicap héréditaire, une rétinite pigmentaire que je n’ai commencé à comprendre et à accepter que vers 1992. »
Les rétinopathies pigmentaires sont des maladies génétiques s’attaquant progressivement aux cellules photoréceptrices de la rétine et conduisant petit à petit à la cécité. Trente cinq mille personnes en sont atteintes en France, et environ quatre cent mille en Europe – explique une association de malades.
« Je n’ai pas voulu y faire attention, puis j’ai compris qu’elle avait influençée toute ma vie et naturellement mes cadrages. Enfant, adolescent, jeune homme, je voyais mal dans l’obscurité. J’étais aussi très sensible à la lumière en contre-jour, j’étais irritable, inconfortable, cela me gênait. Est-ce pour cela que j’ai toujours aimé les images simples à lire, avec un cadrage serré, des lignes fortes et que je n’aime pas beaucoup le grand angle. Voilà. Contrairement à ce que l’on pourrait croire je n’aime pas trop le numérique, qui me facilite pourtant la vie, avec sa mise au point automatique. Mon premier numérique était un petit compact Casio en 1997.
Aujourd’hui j’ai toujours dans ma poche un bridge Sony. C’est comme cela que j’ai fait la photo de Laurent Joffrin face à une gréviste de la faim à Libération. Photo diffusée par l’agence Sipa Press, où l’on a été étonné que je sois encore capable de cadrer un instantané de ce genre, alors qu’il m’arrive de me cogner quand je ne vois pas un obstacle. »
Amoureux de l’argentique, Michel, comme un marin qui refuse le GPS et aime naviguer au sextant, adore toujours faire du noir & blanc avec ses 24 x 36 argentiques, mécaniques et manuels : un Nikormat acheté en 1971, et un Leica M2 acheté en 1976 avec une cellule Leicameter pour mesurer la lumière. « C’est une façon de défier mon handicap visuel !»
Gilles Klein
Légendes des photos publiées dans le mensuel
Nixon
Nixon à Paris en avril 1974. Une image impossible à réaliser aujourd’hui. A l’époque, les journalistes pouvaient approcher un président américain, qui marchait rue du faubourg St-Honoré au milieu de la foule. Le président français Georges Pompidou venait de mourir, Nixon était venu à son enterrement. On ne reverra pas Nixon, il va démissionner peu après, à la suite du scandale du Watergate.
marin
1er mai 1974, la Libération de Lisbonne grace au putch des capitaines portugais. Ce marin du Mouvement des Forces Armées (MFA) est en tête de l’immence cortège célébrant ce jour des tavailleurs, la victoire sur 54 ans de dictature.
mariage
Janvier 1976, a Ghardaia au M’zab (Algérie) mariage d’Omar Une image exceptionnelle car les mozabites appréciaient peu d’être photographié. La seule photographie publiée auparavant date de 1927 et montre le mariage du grand père du marié. Il pose dans les mêmes vétements.
jjoffrin
Paris 3 mers 2009 – Quatrième semaine de grève de la faim de la journaliste Florence Cousin dans le hall du quotidien Libération pour protester contre son licenciement après 25 ans « de maison ». A 16h ce mardi, Laurent Joffrin, Pdg du quotidien, excédé et hors de lui,s’en prend violemment aux personnes venues soutenir la gréviste, qu’il jette dehors lui même provoquant l’intervention des syndicats du journal.Dernière révision le 8 avril 2024 à 4:28 pm GMT+0100 par