Mercredi 2 septembre, le photographe et documentariste Christian Poveda, 54 ans, a été retrouvé, près de sa voiture sur une route, à El Rosario dans la banlieue de San Salvador. Le journaliste a été abattu de deux balles dans le thorax et d’une dans la tête. Une exécution.Jeudi soir, Jean-François Leroy, directeur du festival Visa pour l’image, a ouvert la soirée de projection avec des sanglots dans la voix :
« Nous avons appris ce matin à l’aube l’assassinat de Christian Gregorio Poveda Ruiz…/… Ce soir c’est toute la famille de Visa qui est en deuil. ».
A son invitation, les 1500 festivaliers se lèvent pour observer une minute de silence pour les 30 journalistes morts en mission depuis le début de l’année.
Christian Poveda était présent l’année dernière à Visa pour l’image – Perpignan . Il nous avait présenté son film documentaire sur le gang de la Mara 18, et Jean-François Leroy lui avait réservé une salle du couvent des Minimes pour exposer les portraits noir et blanc qu’il avait faits de ces jeunes assassins paumés, tatoués, rejetés par la société. Un travail impressionnant.
Il m’en avait parlé longuement dans le patio de l’Hôtel Pams, quartier général du festival, m’expliquant que ces « types là se retrouvaient avec un flingue dans les mains à douze ans » et qu’ensuite leurs vies n’étaient faites que de violence, de prison, « avant qu’ils ne finissent inévitablement assassinés à leur tour ».
Il parlait avec passion de son travail.
« Je ne cherche pas à expliquer le fonctionnement de ces gangs, d’autres l’ont fait. Moi, ce qui m’intéresse c’est de montrer leur vie. Je m’intéresse à eux. Eux auxquels personne ne s’est jamais intéressé. On montre leurs meurtres, leurs bagarres, mais eux… »
Il m’avait dit avoir passé des accords avec les deux bandes rivales et « traverser en voiture sans problème les quartiers ». J’étais sceptique, mais Christian Poveda n’était pas du genre à vous laisser douter de ses dires. Il avait repris son explication et défendu cette jeunesse avec des accents du missionnaire de paix qu’il était au fond.
« Je leur ai dit, je vais vous montrer comme vous êtes réellement, et ça a marché. Une fois que j’ai eu l’accord des « capo » – des chefs – j’ai pu travailler sans problème. Enfin, il ne faut pas oublier qu’on est dans un pays violent. Mais j’aime ce pays. »
A peine la nouvelle de son assassinat connue à Perpignan, le festival fut en état de choc. Devant le Palais des Congrès, je rencontre Xavier Soule le « patron » de l’agence Vu qui distribue son travail photographique. « Nous l’attendions la semaine prochaine, et toute la semaine dernière nous lui avons parlé au téléphone pour choisir les photos qui, tirées en poster, doivent servir à la promotion de son film… » Un silence. « Il avait un grand cœur. C’est lui qui avait organisé «Fifi pour la vie » cette fantastique exposition- vente de tirages photo dont l’argent a servi à soutenir Françoise Demulder pendant sa maladie. »
« Ce qui me fait vraiment bizarre » me dit au téléphone Goskin Sipahioglu, fondateur de l’agence Sipa Press qui a diffusé les reportages de Christian Poveda de 1982 à 1987 « c’est qu’il est mort un 2 septembre, et que sa grande amie Françoise Demulder est partie le 3 septembre de l’année dernière. Christian c’était un des meilleurs, si ce n’est le meilleur de sa génération. Il était têtu, courageux, avait plein d’idées et surtout, il n’était pas que photographe, c’était un excellent journaliste. Et ça, vous savez, il n’y en a pas tant que ça. »
Xavier Périssé, ancien directeur de la rédaction de l’agence Keystone -aujourd’hui à l’agence Credo – est du même avis « Poveda avait la passion de l’information. C’était un excellent journaliste, un peu tête brûlée, une sorte de Patrick Chauvel espagnol. C’est un compliment ! On a travaillé deux ans ensemble en 1987 et 1988, quand j’ai récupéré la bande de photographes constituée par Mark Grosset à Black Star France, qui venait de tirer le rideau. »
Thomas Haley, photographe de l’agence Sipa Press, est lui aussi bouleversé. « Ecoute, te parler de lui aujourd’hui, c’est difficile… Il y a quelques semaines à peine, nous dînions ensemble chez moi. Il était venu pour organiser la sortie de son film, l’exposition à la galerie Polka de la famille Génestar…(Ndlr : un portfolio lui est consacré dans le numéro 6 de Polka magazine en kiosque). On s’est connus en 1982 à l’agence Vision qu’il avait fondée l’année précédente, et qui n’a pas duré longtemps. L’Ursaaf, les charges, la paperasse… Tout le monde est parti à Sipa Press sauf lui. Il y avait alors un projet « Le Monde Illustré », ancêtre du Monde 2 …. Ça ne s’est pas fait, alors il est parti aux Philippines, s’est installé à Manille et là, a commencé à travailler avec Sipa. Il espérait un assignement de Newsweek qui n’est pas venu, mais ça marchait pas mal. Au bout d’un moment, les Philippines sont devenues un sujet à la mode. Christian, lui, il n’aimait pas quand tout le monde rappliquait. Il est parti pour l’Amérique centrale et est tombé amoureux du Salvador »
« Il avait déjà fait beaucoup de reportages en Amérique centrale et du sud, et comme il était d’origine espagnole, de la région d’Alicante, il a réussi début des années 90 à négocier un budget pour une grosse exposition avec la Caixa de Mediterraneo (CAM) » se souvient Pascal Frey ancien commercial du laboratoire Publimod « nous avions fait le choix des photos ensemble et nous avions tiré des portraits de guérilleros taille réelle. L’expo a bien tourné et a d’ailleurs été présentée à Perpignan. »
Sur le stand de Fedephotos, un collectif de photographes, Jacques Torregano est de la même génération que Poveda, celle qui a commencé à la fin des années 70. « A l’époque, j’étais à l’agence Collectif – c’était son nom – et lui, avait fondé L’Atelier avec Bernard Bisson… En fait c’est la tauromachie qui nous a rapprochés. On se voyait à Nîmes pour la féria… »
« Oui c’est 1977 que nous avons créé L’Atelier » dit laconiquement Bernard Bisson qui parait lui aussi touché. « Mais c’est loin tout ça… Il avait déjà réalisé un documentaire sur le Sahara Occidental avec le Front Polisario … Poveda, je l’ai perdu de vue. »
Comme Bernard Bisson, passées les années 80, je n’avais pas gardé le contact avec Christian Poveda. Ce n’est que l’an passé ici, à Perpignan, que nous nous étions retrouvés. Des moments chaleureux suivis d’échange d’e-mails, d’une autre brève rencontre au vernissage du numéro 5 de Polka Magazine et l’annonce qu’il avait – enfin – trouvé une distribution française pour son film La Vida loca. Un dernier message sur Facebook pour annoncer son arrivée à Paris et la promesse de se revoir….
Trois coups de feu ont annulé tous ses rendez-vous, mais il faudrait qu’ils nous tuent tous, pour que nous oubliions Poveda, son sourire et sa quête de vérité.
Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:27 pm GMT+0100 par la rédaction
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