Depuis le 6 avril 2010, à la place des financiers, des énarques, des hauts-fonctionnaires, c’est un photographe qui est à la tête du 3ème fonds mondial de photojournalisme. François Lochon a fait toute sa carrière à l’agence Gamma. « Je lui dois tout, c’est bien normal que je fasse le maximum pour sauver ces agences ». Mais qui est Lochon ?
François Lochon est né en 1954 dans la Marne, dans une famille qui travaillait pour le champagne. «Cinq colonnes à la Une, c’est la seule émission de télévision que mon père m’autorisait à regarder. J’ai été marqué par les reportages au Congo, en Amazonie…ça m’a définitivement donné le goût des reportages»
«En décembre 1974, je suis arrivé à Gamma. J’avais fait une trentaine de pellicules, pas plus ! Mais je suis bien tombé. La scission Gamma-Sygma venait juste de se produire et l’équipe restante, Depardon, Vassal, Monteux, cherchait de nouveaux talents. Floris de Bonneville m’a pris sous son aile. Il m’a tout appris. J’ai eu la chance d’obtenir un mi-temps aux archives de l’agence, ce qui me permettait de survivre et de faire des photos la nuit. »
Actionnaire de l’agence Gamma
à 24 ans !
De gauche à droite: Georges Bernier, Patrick Aventurier, Jean Guichard, Eric Bouvet, raphael Gaillarde,Etienne Montès, Jean Monteux; Floris de Bonneville, Christian Viojard, Daniel Simon, Alain Mingam, François Lochon, Francis Apesteguy, Jean-Claude Francolon, Arnaud Borrel, Alain Denize et Laurent Maous..
« En 1978, j’étais avec Raymond Depardon dans une chambre d’hôtel à Beyrouth. Raymond venait de rejoindre Magnum et c’était son premier reportage pour eux : une commande pour l’hebdomadaire allemand Stern. A ce moment là à Beyrouth, ça pétait tellement que nous avions mis nos matelas contre les fenêtres pour amortir les éclats. Assis par terre contre le mur, Raymond m’a alors proposé de devenir actionnaire de Gamma puisque lui était parti et que Gilles Caron venait d’être reconnu officiellement mort. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il m’a dit : tu vas acheter ta liberté. »
« J’avais 24 ans, et je devenais déjà actionnaire de Gamma ! Pendant plus de vingt ans, j’ai tout appris dans cette agence.» Mais en 1988, les choses se sont un peu gâtées. «Je n’étais absolument pas d’accord sur le choix de recourir à un système informatique appelé Images directes, une solution de diffusion mise en place par France Telecom et qui s’est planté.»
A l’époque, les autres photographes staff de l’agence supportent mal que François Lochon «se prenne pour le patron » confie l’un d’eux. «Il était arrogant, et on en a eu marre.» François Lochon continue à être diffusé par l’agence, mais il se met à voyager selon ses propres intérêts.
« En 1993, ils me rappellent. » confie-t-il avec un large sourire. «Je prends alors la direction de l’agence. Mais entre-temps la politique de rachat d’autres agences avait déjà commencé. Un groupement, l’Agence générale d’images (AGI), fédérait les agences Giraudon, Stills, Explorer… C’était déjà le début du grand méli-mélo de la politique, du people, de l’illustration…»
Le «Bon Dieu» et les énarques
«En 1995, c’est la grève» laisse tomber François Lochon qui poursuit son récit « Les conneries commencent… 45 jours de grève dans une agence de presse. Inimaginable ! On est au bord du dépôt de bilan. Je vais voir un ami, Rémi Gaston Dreyfus, qui se trouvait entre un épisode africain dans le commerce des fleurs et son envie de se réinscrire au Barreau de Paris. Je lui dis : Rémi, on va essayer de redresser la barre ! Mais bon… Tout était compliqué et le monde changeait déjà très vite. Les choses ont rapidement été de mal en pis. A nouveau, nous étions au bord du dépôt de bilan.
En août 1999, je téléphone au «Bon Dieu». Le «Bon Dieu» de Lochon habite sûrement «le Château»… Les photographes de presse entretiennent parfois des relations privilégiées avec les hommes politiques et les hommes d’affaires. Chirac ? Lagardère? En tout cas, comme il le dit lui même : « Ça n’a pas traîné. Le lendemain, des énarques débarquaient. On a vendu l’agence, en gardant, Rémi et moi, chacun 12,5 % du capital car on y croyait encore ! »
« Mais en 2002, j’ai tout liquidé, car les gars envoyés par Hachette ne comprenaient rien à notre métier. »
« Je suis parti m’installer dans le sud de la France et j’ai racheté un site web qui est devenu leader sur son marché, celui de l’hôtellerie en Provence. J’ai bien gagné avec ce site, et ça continue. Il y a 4 000 visiteurs/jours et c’est le premier site de réservation d’hôtels de la région. Tout ça avec trois personnes. Je ne connaissais rien au réseau, mais j’ai appris.»
« En 2005, il me tombe dessus un sale coup : un cancer. Tout le monde a eu ça, ou l’aura un jour… Moi, c’est le même que celui de Lance Armstrong. Je me suis bouffé 15 000 cachets, trois chimiothérapies… Maintenant ça va mieux. Alors je me suis dis: si Lance Armstrong peut gagner le tour de France, pourquoi moi je ne réussirais pas à faire revivre ces agences ?
Le roi de la raflette au tribunal de Paris
« C’est sa plus belle raflette ! » s’exclame Eliane Laffont, qui fut de la création de l’agence Gamma en 1967, puis de celle de Sygma (1973), jusqu’à nos jours « la reine du New York du photojournalisme à la française ». « Attention » précise-t-elle « dans ma bouche le terme de raflette est un compliment. J’ai adoré ça… Trouver les bonnes photos sur un bon coup, c’est très excitant ! »
La raflette ? Le terme est peu connu du grand public. Laissons à François Lochon, le nouveau patron de l’agence de photographes Gamma-Rapho le soin de le définir : «Cette opération de rachat de photos consiste à pratiquer la politique de la terre brûlée. Il ne faut pas que la concurrence puisse venir casser une exclusivité en achetant des documents qu’elle n’a pu réaliser elle-même. Un photographe d’agence se doit donc de protéger son scoop à tout prix. A chaque fois que cela est possible, il doit récupérer toutes les photos disponibles sur le marché.»
« La raflette, c’était bel et bien le surnom de François Lochon » commente, en souriant, Floris de Bonneville, l’historique rédacteur en chef de l’agence Gamma fondée le 14 novembre 1966 par Hubert Henrotte, Jean Monteux, Hugues Vassal et Léonard de Raemy. Contrairement à la légende, Gilles Caron et Raymond Depardon ne rejoindront le groupe que quelques mois plus tard. François Lochon, lui, arrivera en décembre 1974, c’est-à-dire après le départ d’une bonne partie de l’équipe pour fonder l’agence Sygma que dirigera Hubert Henrotte jusqu’à la vente de l’agence à Corbis.
« Lochon avait un don incroyable pour rafler les bonnes images, telle que celles de l’assassinat du président Sadate au Caire, ou celles du naufrage du destroyer argentin Belgrano coulé par les anglais au large de l’Argentine lors de la guerre des Malouines…» précise Floris de Bonneville.
Mais la définition de la raflette par François Lochon dans son livre « Reportages » (Ed. Nathan) date de 1988, autant dire, le moyen âge ! Le terme même semble avoir quasi disparu du langage professionnel. A l’heure d’Internet, le temps des raflettes a vécu. Aujourd’hui, ce sont les amateurs eux-mêmes qui vendent directement aux journaux leurs clichés de tsunami, de tremblements de terre ou de vedettes prises à la volée avec un téléphone…
« Last Chance Saloon »
« Je suis très content qu’enfin un photographe prenne en main les destinées de ces agences » précise avec chaleur Eliane Laffont. « J’espère sincèrement qu’il va réussir. »
Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image, le festival du photojournalisme de Perpignan est, comme beaucoup dans la profession, enthousiaste : « Enfin un mec qui connaît le métier! »
« Bien sûr, c’est la meilleure solution face au gouffre dans lequel tombaient ses agences» s’exclame Jean-Claude Francolon, photographe et ancien actionnaire de Gamma. «Pour ma part, je vais faire confiance à François. Nous ferons le point dans un an.»
Lochon ? « Il est très courageux ! » s’exclame Jean Monteux, vendeur de photos puis PDG de Gamma. « Il a de l’énergie, et aussi, peut-être, une revanche à prendre sur la vie. » Apprenant les détails de l’audience du tribunal de commerce de Paris qui a confié à François Lochon les rennes de feu le groupe Eyedea, le fondateur de Sipa-Press, le très respect éGöskin Sipahioglu, laisse tomber:« Il est intelligent le mec ! »
« Si on regarde les choses en surface, c’ est sûr que Gamma sauvée par un photographe et de surcroît, un ancien de la maison, cela fait héroïque et boucle une histoire »commente tranquillement Jean-Pierre Pappis, un ancien du bureau américain de Sygma qui a fondé sa propre agence, Polaris Images. « Je suis mal placé pour en dire plus mais je suis sceptique tout en lui souhaitant de réussir. Lui et son équipe vont devoir faire leurs preuves au « Last Chance Saloon ». J’ espère pour eux qu’ils auront tous appris des erreurs multiples des dix dernières années. Je suis même prêt à entrevoir de les représenter sur le territoire américain si cela les intéresse.»
Pour le moment, le monde du photojournalisme retient son souffle… François Lochon, en bras de chemise, tente de régler un Everest de problèmes hérités de la déconfiture du groupe Eyedea. Le plus important, pour lui aujourd’hui, c’est déjà de déménager ! « On retourne à Denfert-Rochereau, dans les locaux de Gamma. Ça tombe bien, il y a justement de la place qui s’est libérée dans l’immeuble. » Des locaux qui lui appartiennent, achetés grâce à la vente de ses parts de Gamma à Hachette Filippachi Media !
Le 1er juin, l’agence Gamma-Rapho sera installée, mais l’incertitude pèse sur le nombre de photographes qui feront le voyage de la rue d’Enghien au boulevard Arago… Et puis, il y « le marché », celui de la photographie, dont les prix ne cessent toujours pas de s’effondrer.
Michel Puech
Dimanche 25 avril 2010
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