A l’annonce de la liquidation judiciaire de l’agence de presse Corbis-Sygma, le monde de la photo a pensé à Hubert Henrotte. Cet ancien photographe du Figaro, ce co-fondateur de l’Association des journalistes reporters photographes (ANJRPC-Freelens) fut également co-fondateur en 1967 de l’agence Gamma, puis devint le grand patron de Sygma de 1973 à 1998. Un « monstre sacré » du photojournalisme.
« Vous avez de la chance de me trouver à ce numéro de téléphone que je n’utilise plus» me dit-il en décrochant avant d’ajouter abruptement, en faisant référence à mon précédent billet : « Mon bureau est dans l’annuaire, vous savez. Ce n’est pas compliqué. » Et pan sur le bec, comme on dit au Canard Enchaîné.
L’homme a toujours été ainsi : exigeant, sévère, et ne prenant pas de gants pour dire aux journalistes, aux photographes, à ses salariés et à tous, leur fait. Cela lui vaut quelques tenaces inimitiés.
Seulement voilà, cet homme a dominé pendant plus de trente ans la photographie de presse. Et pas seulement la presse française ou européenne, mais la presse mondiale. C’est un des grands hommes de presse de sa génération.
Dès la fin des années soixante, il a l’intuition avec une poignée de reporters-photographes – on ne les nommait pas encore photojournalistes -qu’il faut changer les règles pour les photographes qui travaillent en agence. A l’époque, pas de relevés de piges, pas de bulletins de salaire ; mais seulement des comptes d’épiciers « au dos des paquets de gitanes » sur le coin d’une table de bistrot. Les photographies publiées dans les journaux ne sont pas signées du nom de l’auteur, le photographe a déjà une carte de presse, mais est regardé de très haut par ses confrères maniant la plume.
L’agence Gamma, qui suit en cela la trace de l’agence américaine Magnum, va transformer le métier en inventant la co-production des reportages. L’agence avance les frais de voyages qui sont partagés ensuite à parts égales entre le photographe et l’agence. De même pour les recettes, c’est le fameux « 50/50 ». Une révolution qui fera école et conduira la France, avec trois de ses agences, Gamma, Sygma, Sipa, à dominer le marché mondial de l’image.
Allo ! Hubert Henrotte ?
Je voudrais parler avec vous de Sygma.
« Tout est dans mon livre ! Je n’ai pas le temps… Je dois partir en voyage. » Puis, soudain, se ravisant. « Je vais voir l’exposition d’Ellen Von Unwerth au Bon Marché. J’aurai un moment pour vous. »
Rendez vous « Au Bon Marché »
Hubert Henrotte aurait-il de l’humour ?
« Je pensais que la société Sygma d’origine était liquidée depuis longtemps. Je me demande pourquoi ils l’ont conservée tant de temps. » Après notre rencontre dans l’exposition où sont accrochés de superbes tirages de photographies de mode d’Ellen Von Unwerth représentée par H&K (Henrotte et Kouznetzoff), nous nous sommes installés dans le café du grand magasin. L’homme est âgé, mais toujours aussi droit, avec un regard d’acier aux reflets un peu plus doux que jadis, sauf quand il évoque la fin de son époque à Sygma.
« J’ai été berné » a-t-il écrit dans son livre de souvenirs « Le monde dans les yeux ». Berné non par Bill Gates, mais par celui qui a vendu l’agence Sygma à Corbis. Hubert Henrotte et son épouse Monique Kouznetzoff ont quitté l’agence Sygma le 6 juin 1998.
« J’en ai vraiment bavé » avoue-t-il, en toute simplicité. « Vous savez, j’ai travaillé 12 à 15 heures par jour pendant toutes ces années… Et tout à coup, le téléphone s’arrête de sonner, les relations et les amis se font rares… On parle à tort et à travers… Mais vous savez, je n’ai eu que mes indemnités légales de journaliste : 18 mois de salaire…/… Les photographes, je les ai toujours gâtés. Le 50/50, c’était devenu impossible avec les charges salariales qui ont augmenté sans cesse. Mais qui a payé la numérisation, l’indexation ? Merci Sygma.»
Avez-vous eu des rapports avec Corbis ?
« Non ! Les photographes eux, oui… Ils se sont pas mal débrouillés – enfin certains d’entre eux. Au moment de leurs licenciements, ils ont négocié des indemnités deux à trois fois supérieures à celles légales. Merci Sygma ! J’ai juste eu affaire avec Monsieur Biberfield (ndlr : gérant de Corbis Sygma) en 2001 ou 2002 à la demande de la veuve de James Andanson qui n’arrivait pas obtenir satisfaction pour la numérisation du fonds de son mari. Andanson est celui qui a fait le plus grand nombre de reportages, peut-être 2000. A Corbis, ils ne savaient pas grand-chose sur son travail… »
Ça c’est une farce !
A propos de la liquidation de Corbis-Sygma, Corbis l’attribue en grande partie aux procès de Dominique Aubert ?
« Ça c’est une farce ! Dominique Aubert est un gentil garçon qui a fait photographe mais qui voulait devenir pilote. Je l’ai aidé, car nous avions aussi besoin d’une telle compétence. Il a profité avec un autre photographe des aides à la formation. Enfin, au début, pour devenir pilote privé … . Après il s’est débrouillé tout seul pour payer sa licence de pilote professionnel. En 2002, Aubert a eu un différend avec Corbis et il a gagné une centaine de milliers d’euros aux Prud’hommes, mais c’est Corbis qui a fait appel ! Ils ont fait une erreur…. Et puis, ils ont été condamné pour contrefaçon… Enfin, je ne vais pas entrer dans les détails, mais écrivez lui. Je vous donne son adresse e-mail. »
Il y aurait aussi d’autres procès pour pertes de photographies ?
« Ah oui la gestion laxiste… » Son regard se durcit. « C’est vrai qu’il y a eu des pertes d’images parce qu’il faut savoir que beaucoup de magazines voulaient absolument disposer des originaux et pas des duplicatas. Il y avait une telle concurrence qu’on ne pouvait pas faire autrement. Et puis tout ce qui était publié était conservé ! Mais, quand j’étais à Sygma, rue Lauriston tout était sous clé. Après, il y a peut-être eu du laxisme.
On dit beaucoup que le photojournalisme est mort, qu’en pensez-vous ?
Le photojournalisme n’est pas mort, c’est la presse qui est devenue mauvaise. On est loin de l’époque où Roger Théron à Paris Match était un dieu. Les quotidiens se portent très mal parce qu’en voulant diminuer les frais à tout prix, en supprimant les correspondants, ils ne publient plus rien d’intéressant. Mais, de toute façon la presse est le reflet de l’économie… Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un tout petit nombre de photographes qui peuvent vivre. Les ONG ne peuvent pas nourrir tout le monde.
Michel Puech, le 29 mai 2010
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Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:18 pm GMT+0100 par Michel Puech
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