Depuis 17 ans, la ville de Bayeux et le département du Calvados organisent le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, « Un hommage à la liberté et à la démocratie ». L’occasion de fêter et de récompenser ces reporters particuliers: ceux qui vont, à notre place, se coltiner avec les guerres civiles ou militaires. L’occasion, aussi cette année de penser aux confrères de France 3, otages en Afghanistan.
« Dans notre Normandie, glorieuse et mutilée, Bayeux et ses environs furent témoins d’un des plus grands événements de l’Histoire. Nous attestons qu’ils en furent dignes. C’est ici que, quatre années après le désastre initial de la France et des Alliés, débuta la victoire finale» déclara en juin 1946, dans son célèbre discours, le Général de Gaulle. Deux ans auparavant, c’est à Bayeux qu’il avait symboliquement débarqué, la République en bandoulière, dans cette ville fraîchement libérée et miraculeusement préservée des destructions massives que connut la Normandie.
Au mémorial des reporters de Bayeux, les stèles s’alignent année après année…
« Les cimetières des plages du débarquement sont immenses et terriblement émouvants » me confie à mi-voix, Janine di Giovanni, présidente du jury qui « couvre » depuis trente ans les conflits de la planète pour l’hebdomadaire américain Times « et, depuis que je suis freelance, tous ceux qui veulent bien payer » ajoute-t-elle en riant.
Avec humour, elle souligne un vrai problème de notre époque : l’argent. Couvrir les conflits coûte de plus en plus en cher. Les assurances sont hors de prix, le matériel de plus en plus sophistiqué très onéreux, les « fixers » – indispensables collaborateurs – se font payer à la mesure des risques qu’ils prennent… De 100 à 300 dollars par jour selon les pays!
« Il voulait 400 dollars par jour. Je me dis que ce montant élevé était plutôt bon signe : s’il demandait beaucoup au départ, c’était qu’il ne devait pas avoir l’intention de me vendre à l’arrivée comme otage pour cent fois plus. »* écrit Renaud Girard, grand reporter au Figaro.
Casque et gilet pare-balles marqué « Press »
« Le prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre », porte un drôle de nom…
Marc Kravetz, grand reporter, jadis à Libération aujourd’hui à Radio France, a écrit dans le Magazine Littéraire : « Ni soldats quand bien même, ils portaient casques et brodequins, ni vraiment civils bien que ne relevant d’aucune armée, volontaires pour le champ de bataille et payés pour l’être, mais pas mercenaires pour autant, leurs uniformes n’appartiennent qu’à eux et leurs « armes », de plus en plus sophistiquées, ne tuent pas : ils ne font pas la guerre, ils la « couvrent ». On les appelait correspondants de guerre quand un vague statut fixé par les belligérants ou leurs services de propagande leur accordait l’étrange privilège d’accompagner les soldats sur le front. Journalistes parmi tous les autres, ils ne sont pas tout à fait des journalistes comme les autres »*
« Après tout, le rôle de l’envoyé spécial est d’une simplicité biblique » écrivait en 1974 Jean-François Chauvel, grand reporter au Figaro « A chaud, c’est le pompier de service, celui qui part sans attendre pour devenir, sur place, l’œil et l’oreille des quelque centaines de milliers de lecteurs ou de téléspectateurs qui, à travers lui, feront le voyage dans un fauteuil .
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A ceux qui parlent de corporatisme, sans s’énerver Jean-François Julliard rappelle que Reporters sans frontières lutte pour la liberté de la presse, c’est-à-dire pour la liberté de chacun d’entre nous, quelle que soit sa profession.
Si le terme de « correspondant de guerre » nous parait aujourd’hui quelque peu désuet, c’est aussi que les guerres ont changé. Les conflits avec des fronts marqués sont de plus en plus rares. Aux guerres militaires traditionnelles ont succédé des conflits qui sont autant militaires que civils.
L’Afghanistan très présent dans les reportages dans toutes les catégories (presse écrite, radio, télévision, photo) montre certes des opérations classiques en temps de guerre : patrouilles, accrochages… mais également les attentats et les conséquences de cette guerre sur la vie des civils (écoles détruites, mutilations pour avoir voté aux élections, etc.).
Des civils de plus en plus impliqués, voire devenus armes de guerre, comme c’est de plus en plus le cas pour le viol des femmes, au Congo (RDC), en Guinée et ailleurs.Les civils sont aujourd’hui en première ligne – avec les journalistes – dans ces guerres qui ne disent pas encore vraiment leurs noms : narcotrafic au Mexique ou en Amérique centrale et du Sud, guerre du pétrole dans l’embouchure du fleuve Niger, guerre des gangs comme au Salvador où Christian Poveda perdit la vie l’an passé pour un film « La Vida Loca », guerre contre les mafias qu’elles soient sicilienne, napolitaine, russe ou… corse.
Correspondants de guerre, envoyés spéciaux, grands reporters, « war photographers »… Peu importe la dénomination, ce sont avant tout des journalistes qui partent dès qu’un pays s’échauffe. « Mais, surtout, partir l’esprit libre, sans préjugés, sans idées préconçues, découvrir les hommes tels qu’ils sont, les comprendre, les traduire sans les trahir. » écrivait jadis Jean-François Chauvel, et cela reste aujourd’hui la ligne de conduite.
La passion d’informerSon fils Patrick Chauvel, Président l’an passé du Prix Bayeux qui depuis quarante ans est de presque tous les conflits, précise « Ce n’est pas un métier comme les autres, c’est un mode de vie qui réclame un grand professionnalisme. Rien ne doit être laissé au hasard… Enfin, le moins possible. »
A plus de soixante ans, il repart cette semaine pour l’Afghanistan accompagner le 17ème régiment de Cavalerie, un régiment de l’OTAN, dans une offensive sur Kandahar, l’un des fiefs des talibans. Il repart avec trois garanties – une somme fixe payée d’avance (en anglais « assignment ») de Times, Paris-Match et Envoyé spécial (France2) ; une somme dont je n’ose même pas écrire le montant pour ne pas faire honte aux rédactions en chef. Il repart, sans assurance car « pas les moyens ». Mais pourquoi repart-il à ce qu’on appelait jadis « le casse-pipe » ?
« Parce que je suis curieux de voir l’Histoire s’écrire » dit-il « et l’Histoire s’écrit avec des guerres ». Parce qu’il ne sait rien faire d’autre que ce métier dangereux qui est aussi, comme pour tous ses confrères, la passion d’une vie.
Une passion chèrement payée « A Bagdad, mon hôtel a reçu un obus. J’ai vu un confrère couché sur la moquette. A la place du ventre, il y avait une tache blanche et nacrée » écrit Jean-Paul Mari grand reporter au Nouvel Observateur et membre du jury « Alors j’ai commencé une enquête pour ce livre (ndlr : Sans blessures apparentes), c’est ma plus grande enquête. Une chose est sûre : si on n’affronte pas la douleur de la guerre, elle nous tue. »
Le jury du Prix Bayeux-Calvados est impressionnant : quelques dizaines de têtes souvent blanchies, mais aussi des « quadras », des femmes aussi, de plus en plus de femmes. Toutes et tous sont des vieux routiers de l’exercice, de vrais professionnels, impressionnants par leur calme, leur écoute et leur modestie. Ils forment une congrégation, une bande d’individualistes dont les membres se reconnaissent entres eux, et qu’au fond, même les autres journalistes ont du mal à comprendre.
Sauf que tout journaliste sait que la démocratie a besoin d’informations et que rien ne remplace le regard de l’homme de terrain, d’où notre admiration et notre respect. Chapeau bas Mesdames et Messieurs !
(à suivre)
Michel Puech, « embedded» Bayeux-Calvados, le 10 octobre 2010
Notes bibliogaphiques
• Article de Marc Kravetz in Magazine Littéraire n°378 – 01/07/1999
• Discours de Charles de Gaulle à Bayeux, 16 juin 1946
• A rebrousse-poil de Jean-François Chauvel – Ed. Olivier Orban 1974
• Rapporteur de guerre de Patrick Chauvel – Ed. Oh 2003
• Retour à Peshawar de Renaud Girard – Ed. Grasset 2010
• Sans blessures apparentes de Jean-Paul Mari – Ed. Robert Laffont 2010
Pour aller plus loin
• Le site officiel du Prix Bayeux-Calvados
• Le site officiel de Reporters sans frontières
• Le site Grands-Reporters.com
Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:16 pm GMT+0100 par Michel Puech
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