Yves-Marie Labé, journaliste spécialiste de la BD au quotidien Le Monde est brutalement décédé le 31 décembre 2010 plongeant dans la consternation tous ceux qui l’ont connu. Pendant quelques trop brèves années, de 1977 à 1980, il fut le plus agréable des compagnons de réflexion.
Dans mon souvenir, ce qui domine, c’est le rire d’Yves-Marie Labé. Un rire qui ponctuait une attitude toujours ouverte aux autres, une gentillesse naturelle, que de fulgurantes réparties sarcastiques, ne permettaient aucunement de confondre avec une quelconque mièvrerie.
C’était à la fin des années soixante-dix, dans ces temps où beaucoup d’entre nous étaient gagnés par un certain découragement. Mai 68 avait déjà dix ans, et il fallait bien se rendre à l’évidence, nous avions perdu une bataille.
Rue Férou à Paris, j’ai oublié le numéro dans cette rue qui va du Jardin du Luxembourg à la place Saint-Sulpice, se réunissait une bande de jeunes journalistes combatifs, presque tous pigistes. C’était le siège de l’Association des journalistes information jeunesse (APIJ), une association fondée en 1964 par Albert Du Roy (Europe 1), Ivan Levaï (L’Express), Christian Génicot (RMC), Nicole du Roy (L’Unité), Yves Agnès (Le Monde) et quelques autres. Le but était d’introduire la lecture de la presse dans les lycées. L’autorisation de diffusion des journaux dans les établissements scolaires n’interviendra que quarante ans plus tard.
En cette fin de seventies, où j’ai connu Yves-Marie, les grands quotidiens ne « couvraient » que l’aspect institutionnel de la jeunesse : l’éducation nationale, la vie du ministère. Mai 68 avait pris tous les journalistes à rebrousse-poil. Au Monde, sous la houlette de Pierre Viansson-Ponté et de Bruno Frappat soufflait un esprit d’ouverture dans « Le Monde d’aujourd’hui », le premier supplément hebdomadaire du quotidien.
L’APIJ était dirigée, comme toute les associations, par un bureau élu, et bénéficiant de quelques subventions, salariait « un permanent » chargé de coordonner les actions. Et il y en avait ! Enquête à Limoges, rencontres et débats avec des auteurs de livres, des hommes politiques mais surtout des lycéens. Nommé rédacteur en chef d’un éphémère mensuel des Editions Fleurus, spécialisées dans la jeunesse, je fus invité par mon prédécesseur, Jean-Pierre Corcelette, à adhérer à l’APIJ. Jean Poutaraud, était alors le permanent de l’association, bientôt remplacé par Serge Boloch puis par un jeune pigiste du Monde de l’Education, fraichement arrivé de sa Bretagne : Yves-Marie Labé.
Avec tact, habileté et beaucoup d’humour, Yves-Marie dirigeait nos débats souvent passionnés. L’APIJ rassemblait des journalistes de toute obédience de La Croix, au Figaro, en passant par Rouge, l’organe de la Ligue communiste révolutionnaire, ou l’Humanité ! Autour de la table recouverte d’une feutrine verte, je revois quelques belles figures du journalisme : Marie-Laure Augry, Kathie Breen, Serge Boloch, Marc Couty, Nicolas Domenach, Muriel Frat, Danielle Guardiola, Edwy Plenel (Rouge), Pierre Tartakowsky (dit « Tarta, le stal »), Martine Silber, Charles Vial, Edmond Vandermeersch … Que les autres rafraichissent ma mémoire.
Peu étaient en poste dans une rédaction, les plus jeunes n’aspiraient qu’à une chose : « Entrer au Monde », et certains y réussirent brillamment ! Yves-Marie Labé, à l’époque avait déjà la même ambition que les autres, mais il ne l’énonçait guère, se moquait gentiment de ceux qui l’affichait. Il avait déjà ce côté dandy qui, si j’en juge par les témoignages, il a conservé toute sa vie. Mes péripéties professionnelles nous ont rapidement séparés, mais des trois ans où nous nous sommes côtoyés, il ne me reste que de mémorables souvenirs.
L’un des plus fameux est le voyage que nous fîmes en Corrèze… Il faut préciser qu’en 1977 parut la première édition de Las Vegas Parano d’Hunter S Thompson aux Editions Henri Veyrier. Une bombe dont Yves-Marie et moi étions fans.
L’APIJ avait reçu par je ne sais quel hasard un petit livre titré Spleen en Corrèze aux Editions des Autres et signé d’un total inconnu à l’époque : Denis Tillinac. Quelle mouche nous piqua ? Quel « afghan » nous embarqua ? Toujours est-il que nous partîmes « dans les soieries, les velours profonds et les fines dentelles chatoyantes qui font que l’on reconnait le savoir voyager de la compagnie nationale des chemin de fer français. »
La citation est extraite d’une dizaine de feuillets délirants rescapés du « papier » que nous écrivîmes dans le train du retour. Titré Au-delà du fleuve Corrèze, la mort du grand Meaulnes, il ne connut jamais la publication ! Il faut préciser que le style gonzo n’était pas encore à la mode.
Mais je vois dans la passion d’Yves-Marie Labé pour la BD, un approfondissement de cette ancienne recherche d’autres modes d’expressions que « le faire chiant » du Monde qui régnait encore en maître à l’époque dans la presse « sérieuse ».
Adieu l’ami, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec Colombani: « « Nous l’avons tant aimé ! »
Michel Puech
Issy-les-Moulineaux le 6 décembre 2010
- J’adresse mes chaleureuses condoléances à ses proches.
- La cérémonie du souvenir aura lieu le vendredi 7 janvier 2011 à 14 h au crématorium du Père-Lachaise, salle de la Coupole (71 rue des Rondeaux, Paris 20è).
Dernière révision le 9 octobre 2024 à 9:56 am GMT+0100 par
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