736 films de Gilles Caron retrouvés, de l’époque APIS, retrouvés dans le fond Corbis-Sygma in La lettre de la photographie
Mardi 25 mai 2010, le tribunal de commerce de Paris prononçait la liquidation judiciaire de la société Corbis-Sygma. Maitre Gorrias était nommé liquidateur judiciaire et prenait en charge le naufrage de l’agence de presse créée en 1973 par Hubert Henrotte, rachetée en 1999 par Bill Gates. Neuf mois après, des millions de photographies seraient menacées de destruction… Quand soudain 736 films du mythique photographe de l’agence Gamma réapparaissent au tribunal de commerce!
Pour bien comprendre cette étonnante affaire, il faut faire un peu d’histoire. A la fin du XXeme siècle ce qu’il est convenu d’appeler « les contenus » semblent devoir devenir un enjeu capital pour le développement de toute bonne affaire sur Internet. Le mot d’ordre des financiers est alors d’acheter des «contenus » pour les numériser et les mettre « en ligne ». Les anciennes agences de presse photographiques – Gamma, Sygma, Sipa, Rapho et tant d’autres de par le monde -, dont l’exploitation est basée sur une production de films et de tirages argentiques, sont englouties par la déferlante des nouvelles technologies.
Après s’être ouvertes en vain à des capitaux provenant de fonds de financement à risque, elles sont contraintes, les unes après les autres, de vendre leurs fonds historiques. En 1999, la prestigieuse agence Sygma, fleuron né de la scission entre les associés de l’agence Gamma, est rachetée par Corbis, société créée en 1989 par Bill Gates pour constituer un immense fonds d’images. La société américaine investit alors des dizaines de millions de dollars dans la perspective de numériser « la collection Sygma ». 50 millions d’euros selon Franck Perrier qui en fut le directeur de 2000 à 2003. Beaucoup plus si l’on n’oublie pas, qu’un réel effort – en terme de frais de personnel – fut fait jusqu’en 2007, pour éditer très professionnellement les reportages à numériser. On peut rajouter quelques zéro à l’addition en prenant en compte les innombrables procès faits par des photographes pour perte d’images et, autres – plus ou moins – bonnes raisons. C’est ce dernier argument qui a servi en mai 2010 de cache sexe à Corbis Corporation pour une liquidation bien organisée de la société Corbis-Sygma à la veille du week-end de l’Ascension.
Il faut savoir que les archives photo de l’agence Sygma étaient constituées de différents éléments. D’une part se trouvait dans ce fonds, les photographies produites par les différents staffs de reporters qui ont contribué pendant plus de trente ans à porter cette agence au sommet de la distribution mondiale de photos d’actualité : mais d’autre part, des milliers de photographes (environ 8000) ont également participé à ce succès en envoyant, pendant une trentaine d’années, des reportages depuis les quatre coins de la planète. Tout cela est stocké dans un bunker en Normandie. Nul doute qu’une majorité de ces photographes a pu ignorer le tragique destin de Sygma. L’affaire n’a pas fait la Une des gazettes de Patagonie ou des iles des Philippines. Certains photographes, ou leurs ayants-droits l’ignorent peut-être même encore aujourd’hui.
Marianne Caron, présidente de la Fondation Gilles Caron, croyait, par exemple avoir récupérer à Sygma les négatifs de son mari dans les années 90 ; et Hubert Henrotte, lui-même, pensait lui avoir rendu tout le matériel du photographe.
Quand à Dan Perlet, Global Director of Communications de Corbis, il déclare vendredi soir: « Je n’ai pas d’information sur ce sujet. ». Enfin, ce fonds Sygma est également constitué de photos rachetées au fil des ans : archives de photographes comme les fonds Spitzer et Fournier ; et archives d’agences comme Eurosport, Kipa et TempSport. N’oublions pas un petit morceau des fonds de l’agence Reporters Associés et, « last but not least », le fond de l’agence APIS soit près de 50 000 films.
50 millions de photos et 736 films
Et c’est là, dans ce fonds de l’agence APIS (Agence Parisienne d’Information Sociale), que dormaient depuis des années 736 films utilisés, en un peu moins de deux ans, par Gilles Caron trop tôt disparu en avril 1970 sur la route N1 qui va du Cambodge au Vietnam. En 1964, après des études et un service militaire, Gilles Caron entre en stage comme assistant de Patrice Molinard, un photographe de publicité et de mode ; puis il intègre l’agence APIS en 1965. Il va enchainer les tournages de films, les premières de spectacles, les réunions politique, les conseils des ministres et autres manifestations parisiennes. L’occasion de photographier en vrac et entre autres : Alain Resnais, Brigitte Bardo, Jeanne Moreau, Belmondo, Gilbert Becaud, Aznavour etc. A cette époque il fait également la Une de France-Soir avec Marcel Leroy-Finville (écroué dans le cadre de l’enlèvement et de l’assassinat du ledear d’opposition marocain Ben Barka) durant sa promenade à la prison de la Santé. Il réalise également de petites histoires photographiques dans l’air du temps.
Il quitte Apis en mai 1966 pour travailler quelques mois pour l’agence de mode Photographic Service de Giancarlo Botti ; fait plus ample connaissance avec Raymond Depardon qui travaille alors pour l’agence Delmas et, en décembre 1966 rejoint la toute jeune agence Gamma fondée le 14 octobre par un groupe de photographes qu’Hubert Henrotte va diriger de main de maître.
En janvier dernier, Marianne Caron prend connaissance de l’existence d’un fond APIS à l’agence Corbis-Sygma en liquidation. Elle écrit, in extremis, une lettre recommandée à Maître Gorrias, liquidateur judiciaire, pour demander une liste des photographies et des contacts. « Ce dernier nous a répondu qu’il n’y avait aucune liste. » indique Maitre Joffre, avocat de la Fondation Gilles Caron. « Nous avons alors fait une action en revendication auprès du juge commissaire auprès du tribunal de commerce de Paris».
Mardi 15 février au matin, Marianne Caron, Louis Bachelot directeur de la Fondation Gilles Caron et leur conseil se sont présentés devant le juge commissaire. Véronique Manié, collaboratrice de Maitre Gorrias a alors sorti de sa manche une lettre en date du 7 février informant Marianne Caron qu’il existait bien une liste de films ! Ces 736 films du photographe sont dans un carton sur l’un des 7km de rayonnage d’archives confiées à la bonne garde de la société Loquafrance dans son entrepôt proche de Dreux en Normandie.
Le juge commissaire a donné six semaines aux parties pour que les ayants-droits du photographe récupèrent les films et les contacts qui, eux, seraient entre les mains de Stephan Biberfeld, gérant de Corbis-Sygma. « Je suis très heureuse de retrouver ces films » confie Marianne Caron « J’avais déjà 360 films de l’époque APIS, mais je ne savais pas où se trouvait les autres. » « On parle d’un peu moins d’un quart de la production de Gilles » ajoute Louis Bachelot « Ce sont ses débuts et c’est très important pour comprendre l’œuvre.»
Un curieux dépôt de bilan
Si tout le monde de la photographie ne peut que se réjouir d’apprendre que – sauf manœuvre de dernière minute – la Fondation Gilles Caron pourra bientôt présenter des images inédites de Gilles Caron, on ne peut que s’étonner de la tournure des évènements depuis le jugement de liquidation de Corbis Sygma le 10 mai dernier.
De 2 000 à 2007, Corbis Corporation basée à Seattle, mais dont le siège social est au Nevada, va financer une filiale, Corbis France qui va diriger les opérations de Corbis-Sygma… Il faut payer des picture-éditeurs pour trier ce fonds évalué grossièrement à une vingtaine – – une trentaine ? – de millions de clichés. Aucun inventaire complet n’a jamais été vraiment réalisé. Pour toute une partie de ce fond, il n’y a que des fiches cartonnées ou des cahiers.
Selon Dan Perlet, Global Director of Communications de Corbis « Le Site de Preservation et d’Accès (ndlr : le bunker de Normandie) contient environ 50 millions d’éléments photographiques dont environ 75% sont sous le contrôle de Corbis Corporation (photographes ayant signé un contrat avec Corbis Corporation) et 25% d’éléments photographiques restants sont sous le contrôle du liquidateur judiciaire (photographes n’ayant pas signé de contrat avec Corbis Corporation et étant représentés par Sygma). Nous n’avons pas de chiffre précis sur le nombre de photographes. »
En effet, au fil du temps, environ 800 photographes vont être identifiés par Corbis comme ayant produit le meilleur matériel. A ceux là, Corbis va proposer des contrats avec la société mère, Corbis Corporation. Des contrats de droit américain, qui lui permette de régler en dollars – et sans charges sociales – les droits d’auteur des photographes.
Ainsi, des photographies éventuellement faites en France et publiées en France seront-elles réglées en bafouant les lois françaises ! Ces contrats vont venir à terme en 2014… Leurs bénéficiaires s’inquiètent de l’avenir, d’autant que depuis le dépôt de bilan de Corbis-Sygma et la gestion des ventes depuis Londres inexplicablement leurs relevés de droits d’auteurs ont baissé de 30 à 50%.
Et puis, à partir de 2007, changement de politique, en prévision d’une chute importante du marché. Le management de Seattle décide d’arrêter la production et d’entreprendre une série de plans sociaux pour dégraisser les sociétés européennes. Les picture-editeurs sont licenciés, puis les vendeurs… On entre dans une spirale descendante qui va conduire a la faillite !
Après un dépôt de bilan, il y a un protocole d’accord entre l’admnistrateur liquidateur et la société en faillite. Etant donné que Corbis-France devait de l’argent à Corbis-Sygma, il semble acquis que Maitre Gorrias « avait la main ». Il a obtenu que Corbis « paye tout ! ».
Le 8 février 2011, dans la salle des pas perdus du tribunal de commerce, il m’assure que « Corbis a fait un chèque de 4 millions d’euros en règlement de tout le passif. » Et qui paye l’archivage des 7 km de photos ? « Corbis ! » me rétorqua t il « pour une somme de 100 000 Euros. Mais ça ne peut pas durer.
L’Etat n’est pas intéressé, la Fondation de France non plus, et je n’ai pas d’offre pour la reprise de ce fonds sauf un musée qui veut bien récupérer quelques plaques de verre tombées dans le domaine public. Je vais être obligé de tout faire détruire. » me lance-t-il avec son habituel sourire.
L’information est pour le moins étonnante. A quel jeu joue ce sympathique liquidateur ? En novembre dernier, le même Maitre Gorrias me parlait « d’une vente aux enchères»… Personne ne serait intéressé par ce fonds historique ? Contacté par téléphone, François Lochon, patron de Gamma-Rapho répond « Bien sur que mon avocat a pris contact avec Maitre Gorrias. Il nous a répondu qu’il n’avait rien à vendre ! ». Du coté d’Abaca press, agence créée en 1995 – donc sans archives du XXeme siècle –Jean-Michel Psaila à New York, est plus prudent « Nous avons eu un contact… sans plus. » Le mystère reste entier. « C’est un jeu de menteurs » commente un habitué des dépôts de bilan.
Personne aujourd’hui, ne sait ce que ce fonds historique va devenir, et l’inquiétude gagne même les photographes sous contrat Corbis Corporation pourtant a priori non concernés. En fait, chez Corbis, il ne semble plus y avoir de véritable politique éditorial hormis celle de la rentabilité. Le mot d’ordre qui courre est d’éliminer de la base informatique toutes les vieilles images qui ne se vendent pas ou peu ! Une expertise de financier, mais pas de journaliste. On sait qu’une photo qui ne vaut rien un jour, peut valoir une fortune le lendemain en fonction de l’actualité.
A ce jeu là, en ce début d’année plusieurs dizaines de milliers d’images ont soudain disparues des écrans. Le nettoyage s’étant opéré sur le critère de la numérotation de l’ex-agence Sygma ! Par exemple plusieurs centaine de photographies du Vietnam signées Christian SImonpietri avaient ainsi disparues, puis son réapparues quelques jours plus tard. C’est du moins ce que j’ai personnellement constaté en fouillant la base plusieurs jours à l’occasion d’un article sur l’exposition d’Henri Huet à la MEP !
Quant aux millions de photographies faites par plusieurs milliers de photographes qui sont toujours entreposées chez Loquafrance à Dreux en Normandie, elles n’ont plus normalement pour seul propriétaire que Maitre Gorrias. Pourtant, curieusement de l’aveu même du liquidateur et de Corbis, c’est Corbis France qui règle toujours la facture globale de kilomètres de rayonnage où se côtoient photos en des errance, photos sous contrat américain ; photos de « récup » et chef-d’oeuvres…
La situation est pour le moins confuse et porteuse de tous les dangers pour ces œuvres qui illustrent globalement cinquante ans de l’Histoire de notre monde.
Michel Puech
A noter
Les photographes qui auraient envoyé des reportages aux agences concernées par le fonds Sygma-Corbis et souhaiteraient les récupérer doivent DE TOUTE URGENCE faire valoir leur droit auprès de Me Stéphane Gorrias SCP BTSG 1 place Boieldieu 75002 Paris France.
Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:15 pm GMT+0100 par
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