Dans son édition quotidienne de ce lundi 21 février 2011, « La lettre de la photographie » révèle que 736 pellicules de photos du mythique photographe de l’agence Gamma seraient entreposées dans le bunker normand où la société Corbis-France conserve les archives de l’agence Sygma.
Le 25 mai dernier, je publiais ici même « La seconde mort de l’agence Sygma », un billet annonçant le dépôt de bilan de la société Corbis-Sygma. Souvenez-vous, en 1999, l’homme le plus riche du monde, Bill Gates, rachetait l’agence Sygma dirigée par Hubert Henrotte. Une agence de presse qui domina le marché du photojournalisme pendant plus de trente ans.
Pour cette opération, deux sociétés de droit français étaient créées : Corbis France, une société détenue à 99% par Corbis Corporation, la maison mère, et Corbis-Sygma, une filiale de Corbis France… Comme quoi les américains connaissent le principe des poupées russes !
Prenant le prétexte d’un procès perdu contre un photographe (Lire : « Corbis-Sygma : le poids de Gates, le choc d’Aubert »), Corbis Corporation décida de déposer le bilan de Corbis-Sygma. L’affaire fut rondement menée et ne fit guère de bruit, mes confrères se contentant de donner la version de Corbis, où l’infortuné ex-photographe Dominique Aubert était désigné comme la brebis galeuse responsable de la perte du troupeau.
Neuf mois après, on n’entendait plus parler de Corbis-Sygma. Au tribunal de commerce, toutefois, se succèdent les audiences concernant les démêlés juridiques faisant suite à la liquidation du groupe Eyedea (Keystone, Gamma, Rapho) au profit du photographe François Lochon.
A chaque rendez-vous dans l’île de la Cité, au tribunal de commerce de Paris, je profite de l’occasion pour interroger Maître Gorrias, administrateur de la liquidation des deux affaires, pour lui poser la question de l’avenir du fonds photographique de Sygma. C’est lui, en effet, qui doit faire son affaire de quelques millions de clichés entreposés en Normandie.
En novembre dernier, il m’annonçait vouloir les vendre aux enchères, et le 8 février dernier, il me confiait devoir être contraint sous peu de les détruire !
Peut-on brûler des photos dans la patrie de Niepce ?
De combien de photos parle-t-on ? Appartenant à combien de photographes ? Pour les besoins de l’article publié ce lundi 21 février 2011 dans « La lettre de la photographie », j’ai interrogé, par courriel et par l’intermédiaire d’une attachée de presse, Dan Perlet « Global Director of Communications de Corbis ». Une vieille connaissance, si je puis dire. (Lire : « Corbis Images Europe licencie la moitié de son personnel »)
Question : Avez-vous une estimation du nombre d’images et du nombre de photographes concernés ?
Dan Perlet : « Le Site de Préservation et d’Accès (ndlr : il s’agit d’un bunker situé à côté de Dreux en Normandie) contient environ 50 millions d’éléments photographiques dont environ 75% sont sous le contrôle de Corbis Corporation (photographes ayant signé un contrat avec Corbis Corporation) et les 25% d’éléments photographiques restants sont sous le contrôle du liquidateur judiciaire (photographes n’ayant pas signé de contrat avec Corbis Corporation et étant représentés par Sygma). Nous n’avons pas de chiffre précis sur le nombre de photographes. »
Question : Nous parlons bien des archives de l’agence Sygma ?
Dan Perlet : « Les Archives Sygma – 7 km de rayons – comprennent uniquement les éléments photographiques résultant de l’acquisition de Sygma en 1999 (et les éléments des diverses entreprises que Sygma avait acquises au cours des années précédentes). ../… Corbis Corporation continue de représenter ces 75% de contenus (et les commercialise pour le compte de ses photographes contributeurs à travers le monde). De plus, elle continue de maintenir le Site de Préservation et d’Accès afin de les préserver. Le liquidateur judiciaire est en charge de l’entretien des 25% d’éléments photographiques restants. Il a entrepris de restituer, dans la mesure du possible, les matériels photographiques aux photographes. Les 25% de contenus restants sont encore archivés sur le Site de Préservation et d’Accès. »
Question : Pour quelle raison est-ce Corbis France qui règle la facture de ce stockage, étant entendu que ces archives sont dans les mains de MaÏtre Gorrias ?
Dan Perlet : « Corbis continue le maintien du Site afin de préserver le contenu Sygma représenté par Corbis Corporation. » (sic)
25% de 50 millions faisant 12,5 millions de clichés, voilà le stock qui est menacé de destruction. Ce n’est pas rien ! Une tranche de l’Histoire du monde rassemblée au péril de la vie des photographes.
Surtout, qu’inopinément, Marianne Caron, Présidente de la Fondation Gilles Caron, apprend que dans cette douzaine de millions de photos, se trouvent 736 films appartenant à Gilles Caron de l’époque où il travaillait pour l’agence APIS rachetée par Sygma ! Comme quoi, dans tous ces millions de clichés, il y a de véritables œuvres !
Et, comme c’est bizarre, pendant le week-end, circule l’information selon laquelle Maître Gorrias va écrire aux photographes concernés ! Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait depuis neuf mois ? Mystère.
Maître Gorrias serait donc tout disposé à rendre leurs pellicules à tous les photographes qui en feraient la demande, même si les délais juridiques sont dépassés… Ceci au conditionnel, car ni Maître Gorrias, ni sa collaboratrice chargée du dossier, ne sont joignables.
Donc, qu’on se le dise ! Il faut que les photographes concernés se manifestent et, il faut espérer que, dans la patrie de Niepce, les photos qui ne seront pas réclamées finissent dans un musée, une bibliothèque ou une fondation, mais pas dans un incinérateur !
Michel Puech
Lundi 21 février 2011
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