La mythique agence de presse photo Sipa, du nom de son fondateur Gôskin Sipahioglu, achetée en 2001 par les laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre, pourrait être offerte au seul repreneur restant actuellement en course, une nouvelle agence allemande DAPD, qui se pose en challenger de l’Agence France Presse (AFP) pour la photographie comme pour les dépêches.
L’année passée a été celle de l’hécatombe des agences françaises de photojournalisme. Gamma, Rapho et une dizaine d’autres fonds photographiques argentiques, jadis propriété d’Hachette Fillipacchi Medias (Groupe Lagardère), se sont retrouvés au tribunal de commerce de Paris.
Ce fut l’affaire Eyedea (voir notre dossier). François Lochon, photographe, ancien directeur de Gamma a alors repris l’affaire et une partie du personnel avec une nouvelle société Gamma-Rapho. La nouvelle société joue sa survie grâce à un accord de distribution avec le leader mondial Getty images mais n’a pas encore atteint son équilibre financier avec 27 salariés (lire Gamma-Rapho: un an, le bilan in La lettre de la photographie).
Le dénouement de l’affaire Eyedea est tout de fois plus prometteur, et plus confortable pour les photographes, que le sec dépôt de bilan de Corbis-Sygma, agence filiale de Corbis France, elle-même détenue par Corbis Corporation, société de Bill Gates. Après avoir fait son marché, choisit les meilleurs photographes de Sygma, Corbis a mis les pouces. Depuis, une grande partie du stock de photos dort dans un hangar d’une société d’archivage près de Dreux. De temps à autre, un photographe réclame ses photos et le tribunal de commerce de Paris autorise Corbis France à remettre au photographe son matériel en mains propres, moyennant décharge d’éventuelles poursuites judiciaires pour perte d’images.
Pour ne pas alourdir le tableau, je ne vous parle pas d’innombrables redressements judiciaires et autre dépôts de bilan qui ont conduit à la fin d’une dizaine d’agences européennes comme Grazia Neri, longtemps leader sur le marché en Italie, ou de l’Oeil public, un collectif français à la production intéressante.
Après Gamma, Sygma, la fin de Sipa press?
Depuis plusieurs années, Sipa press, comme dans le domaine des dépêches, le bureau français de Associated Press, sont à vendre… Et ce ne sont pas les seuls sur le marché ! L’agence de sport DPPI et celle de « people » du photographe Angeli sont au plus mal. Les mauvaises nouvelles pourraient même toucher l’historique et célébrissime bureau de Paris de Magnum ! Pourquoi garder des bureaux quand tout se passe par Internet ?
Vendredi dernier, la rumeur circulait, confirmée ensuite par un communiqué diffusé par les agences télégraphiques (AFP, AP, Reuters) que des négociations étaient en cours entre Sud Communication, société de Pierre Fabre qui gère Sipa press et une nouvelle société allemande DAPP.
Ce jeudi 12 mai 2011, deux dirigeants de DAPD ont débarqué boulevard Murat, à Paris, au siège de Sipa. Ils sont là pour deux jours ou plus… Au programme: présentation, au comité d’entreprise, de leur société et de leur plan de développement en France, rencontre avec les syndicats, avec les photographes, avec le personnel. Le premier étonnement du personnel, ce ne sont pas les trente-cinq licenciements d’ores et déjà annoncés. Chacun sait, que l’on ne saura le chiffre final du solde de tout compte qu’à la fin de l’histoire.
L’étonnement est venu de l’intention des prétendants de produire non seulement des photos, mais du textes ! DAPD veut ce que l’on appelle dans le métier « un fil texte ».
DAPD, résulte déjà de la fusion d’une historique agence texte et photo. Les actionnaires de DAPD Nachrichtenagentur GmbH ont racheté en 1992 l’historique agence d’état de la RDA: Allgemeine Deutsche Nachrichtendienst (ADN), devenue par la suite Deutscher Depeschendienst (DDP). L’an passé, ils ont également acquis « le fil » d’Associated Press pour l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. Ensuite, comme tout bon repreneur, DAPD a licencié une très large partie du personnel !
Après le dîner qui doit normalement clore jeudi soir le premier round des entretiens entre le candidat unique à la reprise de Sipa press et la direction de l’agence, les négociations vont se poursuivre plus discrètement. Quand les allemands se seront fait une idée du travail qui les attend, il va falloir négocier le montant de la dot de la belle agence de Mr Sipahioglu. Combien, Pierre Fabre, est-il prêt à mettre dans la corbeille ? A combien estime-t-il le prix de sa tranquillité, et celle de ses laboratoires pharmaceutiques ? Nul ne le sait. Un an, deux, trois ans de pertes ?
Une chose est certaine, c’est que DAPD, pas plus que tout autre repreneur, n’acceptera le « deal » sans une confortable enveloppe. Que se passera-t-il ensuite ? Combien de personnes deviendront amies avec Mr Pole Emploi ? Combien de photographes resteront dans ce projet d’agence télégraphique alors qu’ils viennent du « magazine » et du « news » international ? Que vont devenir les dizaines de millions de photographies accumulées par Sipa press depuis quarante ans dans les archives ?
L’avenir est flou. Mais une fois de plus, on reste étonné et quelque peu scandalisé de voir ainsi traitée ce qui fut l’une des agences reine du photojournalisme du XXème siècle.
Michel Puech
Sipa press « offert » à l’allemand DAPD ? a été publié in Club Mediapart 12 Mai 2011
Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:15 pm GMT+0100 par Michel Puech
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