Alors que l’exposition des lauréats du World Press Photo se termine une semaine plus tôt à Beyrouth en raison d’une controverse politique sur le travail du photographe israélien Amit Sha’al (3ème prix dans la catégorie Arts et divertissement), à Paris, la galerie Azzedine Alaïa prend le relais jusqu’au 21 juin 2011.
Les 6 et 7 mai 2011, les membres du jury, les photographes gagnants du 54ème WPP, leurs meilleurs amis et néanmoins concurrents, plus quelques uns de leurs clients, se sont retrouvés à Amsterdam, pour la remise des prix de la compétition photographique la plus connue du grand public grâce à son exposition itinérante.
Jodi Bieber, une jeune photographe sud-africaine a reçu samedi 7 mai, à la Muziiekgebouw sur le port d’Amsterdam, les félicitations de HRH Prince Constantin des Pays-Bas, un chèque de 10 000 euros de Maurice Lacroix parrain du World Press Photo et le dernier boitier Canon. La photographie publiée sur la couverture de Time Magazine avec le titre « ce qui se passerait si nous quittions l’Afghanistan ! » a beaucoup choqué.
On the Vatican road
“Visa à Perpignan, c’est la fiesta… Le World Press c’est le Vatican !” me dit en souriant un senior expert du photojournalisme.
Amsterdam ! A Paris le simple énoncé du nom de la Venise du nord colle un sourire niais sur la face de mes interlocuteurs. Les uns joignent le geste à la parole, l’index posé sur le pouce, tandis que la bouche fait un bruit d’aspirateur… Allez savoir pourquoi ?
Séquence nostalgie
Dans les années 70, en Europe, Amsterdam, comme Katmandou, Formentera, Lindos et quelques autres lieux, était un des lieux fréquentés par la jeunesse. Paris aussi, l’était : David Burnett – aujourd’hui Président du jury du WPP 2O11- éclusait des verres, sous le coup des trois heures du matin en observant, un Leica planqué sous la veste, les péripatéticiennes de la rue du Faubourg Saint-Denis, en compagnie de Robert Pledge – encore rédacteur en chef de la mythique revue ZOOM – et de quelques jeunes photographes du quotidien Libération à peine né.
David Burnett séjournait cité Véron, là où vécut Boris Vian. Il se faisait régulièrement « engueulé » par les flics français : il n’avait pour seule carte de presse qu’une vague accréditation de l’agence Gamma. Marie-Laure de Decker, pantalon de soie sauvage et Leica, shootait le prétendant Giscard d’Estaing tandis que Raymond Depardon tournait – déjà – un film sur la campagne… Mais, c’était celle de l’élection présidentielle française gagnée par “VGE” en 1974. C’était l’époque où David Burnett – Monsieur le Président du jury – portait cette incroyable coiffure afro que les vents de l’Histoire ont emporté au fil de ses reportages sur la planète.
Ouifaï in saïd
Voyager en train du temps de l’argentique, c’était le défilé des paysages… De Paris à Amsterdam, le Thalys – une sorte de TGV pour le parcours français – ne permet pratiquement plus l’observation. A ce passe-temps, a succédé le « wifi inside» où chacun se retrouve, seul, devant son écran.
Trois heures plus tard – plus deux pour le retard – je touche au but : le bureau des accréditations, de Felix Meritis concertzaal, où se déroule les présentations des heureux gagnants des innombrables catégories du WPP. Cette année, innovation : le multimédia fait son entrée au tableau d’honneur. On y verra deux sortes de travaux : des diaporamas améliorés avec de la musique – une belle et simple recette pour déguster de la photographie -, et des objets interactifs et multimédias tel que Prison Valley (1er prix: encore !), Powering a Nation (2eme prix) et autres Home front à la gloire des soldats américains combattant en Afghanistan …
Pour vous dire ma vérité, face à ces images, je ne sais jamais si je dois me reculer pour regarder la vidéo, ou mettre mes lunettes pour lire et cliquer… Mais il est vrai que je n’ai pas passé mon enfance avec Mario de Nitendo, mais parcouru 20 000 lieux sous les mers en compagnie du Capitaine Nemo.
Le menton, le nez, les oreilles et les yeux…
Grâce au Thalys j’ai loupé les premiers shows. Alain Frilet – déjà ancien co-fondateur de la toute nouvelle revue française 6mois – me fait un résumé rapide : « Impressionnant la photo du toréador encorné par le menton de l’espagnol Gustavo Cuevas. Ce cliché lui a permis de faire connaitre son travail. Ici, à Amsterdam, grâce à une seule photo, des reporters ont peut-être l’unique chance de montrer leur travail à leurs confrères. Ça les aide à situer leur production par rapport au reste du monde. »
Mais encore ? Intéressant le cinéma nomade d’Amit Madheshiya. “Une remarquable série” ajoute Alain Frilet, appuyé par Olivier Laban Mattei de la nouvelle agence française Neus Photos.
Tout le monde est sorti devant la salle, sur le Keizersgracht, un petit quai ombragé typique d’Amsterdam. Il fait beau, les fumées bleues des innombrables cigarettes – tabac uniquement – s’élèvent vers le ciel aussi beau que les yeux de Bibi Aisha, la jeune afghane mutilée, nez et oreilles coupés, pour avoir quitté le domicile conjugal. Un portrait qui mène Jodi Bieber, une jeune photographe sud-africaine sur le podium.
Une chose est de montrer la violence du monde à chaud, dans le feu de l’action, en reportage, pour rendre compte et montrer l’état du monde, une autre est de figer le temps de cette violence, de la mettre en scène, de la livrer à la pitié du monde. La compassion, c’est accepter la violence subie par l’autre, c’est lui renvoyer l’image de cette violence. C’est une démarche mortifère qui enferme le regardé dans sa douleur. Nietzsche décrit la compassion comme une double peine.
D’accord avec le philosophe allemand, je n’étais pas très fier de me promener avec, au cou, une image de Bibi Aisha…Mais quelques heures plus tard, je sautais dans un taxi pour revenir à mon hôtel.
Le taxi était afghan
« Après tout… » me dit-il, en souriant obséquieusement, « Elle l’a peut-être méritée ! » Stupéfait, j’ai rétorqué : « Mais, son mari lui a coupé non seulement le nez, mai aussi les oreilles qu’on ne voit pas sur la photo ! « Il me regarda dans le rétroviseur : « Mais si elle a fauté avec le meilleur ami de son mari… ! » Je suis resté muet.
Une photo peut-elle encore aujourd’hui changer le monde ?
Jodi Bieber semble en être encore persuadée, malgré les attaques dont elle a été la cible pour cette image. Lors de son très long discours de remerciements à la grande soirée de remise des prix, elle se justifiera en répondant point par point, techniquement et moralement, à ses contradicteurs.
Si sa sincérité m’a convaincu, j’ai conservé jusqu’à aujourd’hui une réserve, accentuée par la projection de l’image de Bibi Aisha avec son nouveau nez artificiel, tout sourire, mais mal photographiée à New York.
« Si dans dix ans vous me demandez ce qu’était le WPP 2011, je vous répondrais comme aujourd’hui en vous disant mon immense tristesse que Tim Hetherington et Chris Hondros ne soient pas avec nous. Tim, surtout était un ami… » La voix de Michiel Munneke, directeur du WPP, se brouille dans le téléphone, et il ajoute : « Je n’oublie pas non plus votre compatriote Lucas Dolega. Au moment de cette conversation téléphonique, nous ignorions encore qu’Anton Hammerl avait également trouvé la mort en Libye. »
Tous les photographes rentraient le lendemain matin après la fête finale, à Londres, à Bruxelles, New York ou Paris. Beaucoup allaient repartir immédiatement en reportage, risquer leur vie pour que le monde continue à se regarder dans les yeux, sans tricher.
Michel Puech
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Site officiel http://www.worldpressphoto.org
Publié le 27 mai 2811 par La lettre de la photographie sous le titre: « World Press Photo 2011 © Michel PuechDernière révision le 3 mars 2024 à 7:16 pm GMT+0100 par Michel Puech
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