A Perpignan hier en fin d’après midi, comme chaque année, Jean-François Leroy a débouché la première bouteille de champagne pour ouvrir le 23ème festival international de photojournalisme « Visa pour l’image – Perpignan ».
23 ans que, durant la première semaine de septembre, les photojournalistes, les éditeurs, les rédacteurs en chef, les patrons de presse se retrouvent dans la capitale de la Catalogne française pour faire le bilan de l’année écoulée, se régaler d’une trentaine d’expositions, se rincer l’œil sur l’écran géant du Campo Santo et faire la fête, même si le cœur n’y est pas toujours.
Chaque année, ce métier, extrêmement dangereux, paie un lourd tribut à l’impérative nécessité de témoigner des guerres, des conflits, descatastrophes et des misères du monde. Il y a les blessés comme Joao Silva, qui a perdu ses jambes en Afghanistan. Il voulait venir à Perpignan cette année, mais ses médecins ont décidé une nouvelle opération. Il ne viendra pas.
Et puis il y a ceux qu’on ne reverra plus : Chris Hondros, Tim Hetberington, Anton Hammerl et le tout jeune Lucas Dolega tombés « au champ d’honneur » comme l’on dit pour les combattants. Les photojournalistes sont eux aussi des combattants, mais de la paix, pour notre paix.
A Visa pour l’image, la violence est toujours présente. Certains s’en offusquent comme si le rapporteur était le fauteur de guerre. Stupide.
Le monde est cruel non seulement sur les champs de bataille mais aussi sur le fameux « marché » : le nombre des faillites d’agences de presse est incalculable et la situation des reporters photographes de plus en plus précaire.
Quand on demande au directeur du festival ce qui a changé depuis 23 ans, il répond sans hésiter :
« La disparition des agences et des éditeurs photo. Je ne vais pas faire la liste, d’abord ça me donne le bourdon et puis je vais en oublier.»
Conséquences ?
« Aujourd’hui, et de plus en plus, les photographes travaillent la plupart du temps tout seuls, sans rédacteur pour préparer les sujets, sans éditeur pour les aider à sélectionner leurs images. Du coup, je reçois des CD avec des centaines de photos sans légende, sans précision aucune… Ce n’est plus du photojournalisme ! »
« La différence tu peux la voir… Regarde le travail des photographes du National Geographic par exemple. Chez eux, il y a encore du monde pour s’occuper des photographes ! Du coup, leur travail est plus abouti. Quand je vois ce que je reçois pour Visa, des dizaines de milliers d’images, j’ai la nette impression que les rédacteurs photo, les iconographes, les rédacteurs en chef manquent cruellement aux photographes!»
« Mais c’est vrai pour tout le journalisme… Là où on leur donnait quinze jours pour faire dix feuillets, on leur en donne deux pour en écrire vingt ! Il y a donc , en photo comme en texte, de moins en moins d’enquêtes en profondeur. Ce qui était la généralité est devenu l’exception. »
« Je parle de la grande majorité des magazines… Car il y a, heureusement, encore des gens qui prennent le temps d’aller au fond des choses. Mais globalement, il y a de moins en moins de place pour la photo de qualité. On assiste, et hélas ce n’est pas la première année que je le dis, à un nivellement par le bas. De plus en plus de gens se contentent du médiocre. »
Pourquoi ?
« La technique est devenue tellement facile, que n’importe qui est capable de prendre une photo correcte ! Mais construire un sujet, raconter l’histoire, là c’est une autre affaire…. Du coup, il y a de plus en plus d’offres correctes, mais de moins en moins de reportages exceptionnels. »
Et Photoshop ?
« Malgré mes coups de gueule à répétition, je dois constater que si je voulais faire un Visa sans Photoshop, il n’y aurait que quatre expositions au lieu de vingt-huit ! Grosso modo tout le monde utilise cet outil de bonne ou de mauvaise façon. Il faudrait une prise de conscience de toute la chaîne : des photographes, des agences et des journaux qui publient les photos ! »
«Un exemple : la Libye. Je reçois la même scène prise par cinquante photographes. A midi dans le désert, tout le monde sait que la lumièreest pourrie… Et je me retrouve avec des photos avec une lumière d’automne à Amsterdam… Il y a un truc ! Je ne veux pas jeter la pierre aux pictures- editors, ni aux services photos… On réduit chaque année leurs budgets, donc ils n’ont pas le temps de tout vérifier, mais c’est dramatique. C’est pour cela que dans les grands magazines comme Géo ou le National Geographic il y a des gens dont le boulot est de vérifierque les fichiers n’ont pas été manipulés. »
Et pour ce Visa 2011, il y a beaucoup de monde inscrit ?
« En pré-accréditation nous en sommes au même point que l’an dernier. Il y aura 1500 accréditations environ, plus tous ceux qui viennent mais ne s’accréditent pas pour ne pas payer… Au niveau du nombre de stands d’agences au Palais des congrès… notre offre de stands moins chère n’a pas rencontré le succès que tout le monde nous prédisait. Normal avec toutes les fermetures d’agences.»
Ce que ne dit pas Jean-François Leroy, c’est que des agences (et non des moindres), des éditeurs de presse (et non des moindres) ne louent pas de stand à la société « Image Evidence » qui organise le festival, mais jouent les parasites sur le dos de la bête. Ils organisent, qui des soirées, qui des projections, qui des conférences, sans donner leur obole à « Visa pour l’image ». Une pratique dangereuse, qui, à terme, peut mettre en péril l’existence même de cette indispensable et exceptionnelle manifestation.
Paradoxe, alors que les dirigeants des journaux semblent croire que le photojournalisme ne fait plus vendre, il a eu l’an dernier 225 000 entrées aux expositions et il y en aura probablement autant cette année. Et là aussi, curieusement, le Ministère de la culture et de la communication continue à mesurer chichement sa subvention.
Un « mauvais esprit » comme le mien, ne peut s’empêcher de s’interroger : éditeurs de presse, agences et ministère attendraient-ils la faillite économique de l’organisateur, pour devenir plus généreux avec le successeur d’un Jean-François Leroy dont le franc-parler et les coups de gueule ne sont pas appréciés de tous ? Ce serait le plus mauvais calcul que puissent faire ceux qui parlent de « sauver le photojournalisme », à condition que cela ne leur coûte qu’une signature au bas d’une pétition.
Michel PuechDernière révision le 12 mai 2022 à 7:02 pm GMT+0100 par
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