L’époque des agences de presse traditionnelles est révolue, c’est l’heure des stocks d’images en ligne selon un modèle économique comparable à celui des compagnies aériennes : délocalisation, abolition des « privilèges » sociaux et concurrence à outrance !
« La disparition des agences et des éditeurs photo » est, pour Jean-François Leroy le phénomène le plus marquant de ces deux dernières décennies.
Hier, au siècle dernier, le photojournalisme s’exerçait à travers des agences de presse et des magazines dont les rédactions, certains soirs, ressemblaient à des bars enfumés de quartiers chauds.
Si j’évoque l’ambiance, c’est pour mieux expliquer aux jeunes lecteurs, que les rédactions ont été totalement bouleversées par l’arrivée des informaticiens et des actionnaires dans les groupes de presse. Leur mot d’ordre ? Chacun derrière son écran et les informations seront mieux contrôlées et plus rentables !
L’individualisme en réseau contre l’intelligence collective
« Il y a une vingtaine d’années… » écrit David Servan-Schreiber dans son dernier livre « On peut se dire au revoir plusieurs fois » (Ed. Robert Laffont, Juin 2011) « J’étais frappé par le fait que le fascinant et vaste réseau de connexions qu’on appelle le cerveau est composé de cellules qui, prises individuellement, ne sont ni très « intelligentes », ni très « compétentes ». Mais dès qu’elles interagissent entre elles, elles donnent naissance aux facultés mentales les plus brillantes, comme la perception, l’intelligence, la créativité, la mémoire, etc. »
C’est la meilleure définition que j’ai lue depuis bien longtemps d’une rédaction !
Et c’est pourquoi, la déconnexion de toutes ces cellules (photographe, rédacteur, éditeur, secrétaire de rédaction, iconographe, correcteur, archiviste etc.) nous a fait perdre tant d’intelligence dans la façon de rendre compte de la marche du monde.
Hier, un Hubert Henrotte bouleversait la pratique du photojournalisme en créant Gamma, puis Sygma. Goksin Sipahioglu lui fit concurrence avec Sipa press… Ces agences de presse, comme d’autres dans le monde, naissaient du rassemblement de femmes et d’hommes unis par une même passion : l’information.
Aujourd’hui, Corbis images qui « revient très fort » comme l’on dit dans les courses de chevaux, annonce par de froids communiqués de presse toujours en anglais – rarement en d’autres langues un partenariat avec Associated press pour la société de Bill Gates. L’achat de Splash News ou de Demotix ? Il s’agit toujours d’opérations capitalistiques, et non d’investissement dans l’humain. D’ailleurs, les « bureaux » des uns et des autres se vident ou disparaissent.
Pourquoi payer des « pictures editors » quand les photographes éditent eux-mêmes leurs photos, pourquoi payer des loyers quand tout se passe en ligne !
Plus de salaires, des factures !
Les serveurs informatiques n’ont pas d’état d’âme, pas de revendication, pas de syndicat. Peter Low et Martin Vorderwülbecke peuvent reprendre, sans bourse déliée, Sipa press. www.sipa.com ne « moufte » pas.
Par contre, les trente-quatre licenciés du « plan de sauvegarde de l’emploi » (sic), eux se posent des questions : » Pourquoi n’étais-je pas licenciable dans le plan de Béatrice Garrette (ndlr : ex directrice générale de Sipa press pour le compte de Sud Communication) et le suis-je dans la version Heinrich Ollendiek et Mete Zinoglu ? ». « Comment vont-ils faire pour continuer à produire avec seulement huit photographes au lieu de vingt-quatre ? » s’interrogent les uns ou les autres.
La réponse est simple. On la trouve écrite en toutes lettres dans le nouveau Contributor Agreement proposé aux photographes par Corbis images : « In addition, if you resid in France, you hereby represent and warrant that you are not a (photo) journalist nor a press card holder and that you do not intend on becoming a (photo) journalist nor will seek to hold a press card. In the event that you reside in France and have a press card, you are not eligible to enter into this agreement.”
Ulf Schmidt-Funke, président de Sipa press et de DDPimages (Hambourg) et les directeurs généraux de l’agence font la même analyse que Corbis. Je la résume en substance : nous allons travaillé avec plus de collaborateurs en droits d’auteurs ou sur factures. Certains photographes ont déjà des sociétés, et ceux de Sipa press, par exemple pourront en créer après leur licenciement. Evidemment il n’est plus du tout question de salaire, que ce soit à temps plein ou en piges !
Ah ces français, diront certains, toujours à cheval sur les acquis sociaux. Ce n’est pas faux. C’est un fait que les lois françaises protègent beaucoup plus les auteurs de photographies que celles d’autres pays. C’est un fait également que depuis 1985 d’incessantes offensives venues principalement des Etats-Unis ont conduit en Europe à la dérégulation de nombreux marchés, à commencer par les télécommunications qui sont aujourd’hui le charbon et l’acier d’hier.
Nous sommes à la fin de ce processus. Grâce à l’Internet, des sociétés comme, Getty images et Corbis, suivies par une kyrielle de stocks d’images bas de gamme installent un photojournalisme qui appliquent les mêmes recettes que les nouvelles compagnies d’aviation : délocalisation des personnels, suppression des avantages sociaux et recours indirect aux aides publiques.
En effet, pour continuer à produire, les photojournalistes indépendants n’ont souvent comme seule solution que de quémander des commandes venant des pouvoirs publics ou des ONG ou autres associations caritatives.
Nous sommes à l’heure du photojournalisme « low cost » !
Michel Puech
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