Le webdocumentaire « La Zone » de Guillaume Herbaut et Bruno Masi a remporté le prix France24-RFI décerné mercredi 30 septembre au festival Visa pour l’Image, à Perpignan. Ce document permet de faire connaissance avec des femmes et des hommes de Tchernobyl.
Dans la nuit du 26 avril 1986, les techniciens perdent le contrôle du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl provoquant la première grande catastrophe nucléaire civile. Cette tragédie aux conséquences inestimables en vies humaines et en coût, va conduire à geler pour une durée indéerminée des zones du territoire de l’ex-Union soviétique.
Cette pollution pernicieuse fait, comme le souligne Guillaume Herbaut interviewé à Perpignan « qu’il y a des endroits non contaminés dans la zone interdite, et des endroits contaminés là où la circulation est autorisée… » Le web-documentaire primé permet de visiter certaines de ces zones, d’où son nom.
« J’avais quinze ans, et la catastrophe de Tchernobyl m’a mis très en colère. J’y suis toujours ! »
« Là-bas, tu regardes toujours où tu mets les pieds… Tu as peur en permanence, car tu sais que tu prends un risque incalculable » dit tranquillement en souriant le reporter alors que nous sommes tranquillement attablés au Café de la Bourse, à Perpignan.
En avril 1986, « J’avais quinze ans, et la catastrophe de Tchernobyl m’a mis très en colère. J’y suis toujours ! » Sur ce point nous sommes en parfaite harmonie, l’interviewé et l’intervieweur. Le 30 avril 1986 au soir, votre serviteur a fui Paris pour l’anticyclone des Açores, avec femme, enfants et une malle contenant vêtements d’hiver et d’été, plus les indispensables papiers de famille… Comme les réalisateurs de « La Zone », je suis toujours en colère.
Ce webdocumentaire, résultat du travail de mes deux confrères, n’efface pas la zone noire dans laquelle le journalisme français est tombé en 1986 en gobant la thèse des pro-nucléaires gouvernementaux sur le fameux nuage qui s’arrête à nos frontières… L’anecdote ne fait pas sourire Guillaume Herbaut, il l’écoute attentivement et dit « Il n’y a pas longtemps que je sais exactement la dose d’irradiation de la région parisienne… ».Nous restons un instant songeurs devant nos cafés.
« Cela fait dix ans que je travaille sur Tchernobyl. C’était une obsession. J’ai fait six voyages , beaucoup de parutions dans la presse, un livre en 2OO3… Mais cet été, enfin je me suis vidé la tête, et j’ai cessé d’y penser. »
« Quand un grand journal américain m’a proposé de m’envoyer à Fukushima… j’ai dit non. »
« Quand un grand journal américain m’a proposé de m’envoyer à Fukushima… j’ai dit non. Je pense que j’ai assez donné sur ce sujet, et je n’ai même pas envie d’aller à Tokyo. D’ailleurs, ce qui m’afflige, c’est que vingt-cinq ans après Tchernobyl, il y a eu la même désinformation sur la catastrophe japonaise. J’ai des amis là-bas qui croient les thèses gouvernementales… »
« La réalisation de ce webdocumentaire a commencé en novembre 2009. Avec Bruno Masi nous sommes partis grâce à l’aide à l’écriture du Centre National du Cinéma (CNC)… Nous sommes allés à Pripiat, la ville fantôme. Mais nous étions déjà venus. Alors nous sommes partis à Strakholessie, à la limite de la zone interdite. Un soir on s’ennuyait… J’avais l’impression de recommencer un reportage déjà fait. L’interprète n’était pas là, mais dans un bar nous avons rencontré l’homme qui nous a mis sur la piste du trafic de métaux contaminés… A partir de là, nous avons vu Tchernobyl comme un décor dans lequel vivent des gens, et c’est vers eux que nous sommes allés et qui font je crois l’intérêt de notre travail. »
Guillaume Herbaut et Bruno Masi m’ont réconcilié avec ce nouveau genre appelé webdocumentaire. Jusqu’alors, j’étais très sceptique devant ces productions dites « multimédia » qui ressemblent soit à des diaporamas sonorisés, soit à des documentaires de télévision auxquels on ajoute trois boutons, quelques feuillets de textes et des photos dans lesquelles une caméra zoome… Au mieux, la production devenait un véritable jeu vidéo mâtiné de Facebook comme dans « Prison Valley »…
Le coût de « La Zone »
Mais « La Zone » allie à la qualité de l’enquête journalistique celle de la production visuelle. Dans ce webdocumentaire il n’y a aucun formatage. Une séquence peut faire un instant, ou devenir un petit court-métrage. On navigue sans effort. Ni trop, ni pas assez d’informations que l’on découvre à sa vitesse sans que rien ne soit imposé. « Nous voulions arriver à un produit éclaté » dit Guillaume Herbaut « comme ce qui s’est passé, comme ce que nous avons constaté sur place : des zones de tailles différentes, irradiées ici et là… Là ! Et pas là-bas. »
Il reste que pour arriver à une telle production il faut beaucoup de temps. « J’ai commencé à aller à Tchernobyl en 2001 sur mes fonds propres. En 2002, j’y suis retourné pour le magazine BIBA, en 2005 pour Paris Match. En 2009 c’est l’aide à l’écriture, environ 20 000 € qui nous a permis de commencer le projet du webdocumentaire. Ensuite nous avons reçu 50 000 € d’aide à la production. Nikon nous a prêté le matériel de tournage ce qui représente plus ou moins 15 000 €… C’est lourd à produire ce type de travail. Lemonde.fr nous a aidés pour faire le montage, ce qui représente aussi des milliers d’euros…. En tout j’évalue le coût de ce web-documentaire à 150 000 € dont 60 000 ont été financés par la presse traditionnelle ! »
Un constat encourageant quand on pense aux difficultés financières du photojournalisme d’aujourd’hui ! Un travail qui a reçu le Prix France 24/RFI ( 8000 €) du webdocumentaire 2011, dont le jury était présidé par Jérôme Delay, responsable de la photographie en Afrique pour Associated Press.Dernière révision le 21 juin 2024 à 7:41 pm GMT+0100 par la rédaction
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