A l’occasion de sa venue en France, Gary Shenk, président de Corbis, a reçu Michel Puech en exclusivité pour La Lettre de la Photographie, voici leur entretien.
La veille de l’entretien, Gary Shenk avait déclaré : « souhaiter accompagner la transformation du monde des médias grâce un partenariat avec Associated Press pour renforcer ses positions sur l’actualité.» Et puis, il répéta ce que tout le monde savait déjà : Corbis a acquis Splash News, une agence spécialisée dans ce que la profession nomme le « red carpet » c’est-à-dire la photographie de célébrités. Corbis a également investi dans Demotix, un web collaboratif, qui dispose « de plus de 5 000 photographes professionnels et amateurs dans 190 pays…/… et notamment de « 700 correspondants au Moyen-Orient dont 50 rien qu’à Gaza… » Les photojournalistes professionnels apprécieront !
Nous allons commencer par le futur et terminer par le passé. Lors de votre présentation, vous avez rappelé les dernières acquisitions de Corbis, mais franchement j’ai été très déçu… Je n’ai pas bien compris à quoi correspondait votre volonté de revenir sur l’actualité… Voulez-vous me préciser ce point ?
Gary Shenk : « Nous avons une vraie légitimité sur ce marché depuis vingt-cinq ans. Pendant longtemps, Corbis s’est basé principalement sur le marché des archives, mais si l’on regarde l’évolution du marché, nous ne pouvons pas rester uniquement sur les ventes d’archives et nous devons répondre à la demande de nos clients. »
Si je relis le communiqué de presse envoyé par Steve Davis en 2001, j’ai l’impression qu’il s’agit du même discours.
Gary Shenk : « Je ne peux pas me prononcer sur ce qui a été dit par Steve Davis en 2001, car je n’étais pas à Corbis à cette époque. La seule chose que je puisse dire maintenant, c’est qu’il y a une grande opportunité pour nous aujourd’hui. Toutes les sortes de challenges sont ouverts. Nous pouvons gagner dans la vente d’archives, et nous pouvons aller sur le marché des « wired », des agences télégraphiques, comme AFP ou Associated Press. La difficulté, c’est que nous avons fait un « focus » sur le marché de la presse, mais le marché a changé. Il y a dix ans les opportunités était différentes. Les différents médias auxquels on peut vendre des photos sont plus nombreux. Il y a de nouvelles énergies.
Vous avez dit que Corbis avait un objectif : la photo du photographe au client en huit secondes…
Gary Shenk : « Non en sept secondes… »
La question est comment, en huit secondes, on peut vérifier l’information, faire une bonne légende et mettre de bons mots-clés dans le fichier ?
Gary Shenk : « Il y va de la responsabilité du photographe de rédiger la légende. C’est la responsabilité du photographe de faire la photo, de rédiger la légende et de la transmettre. Dans un premier temps, les mots-clés ne seront pas présents dans le fichier, mais nous pourrons quand même exploiter la photo immédiatement. La rapidité de transmission nous ouvre des fenêtres sur de nouvelles opportunités.
La première, c’est vers les médias en temps réel. Un gros événement arrive, comme la mort de Ben Laden ou le printemps arabe… Nous devons distribuer immédiatement les photos. Nous devons être présents dans l’information immédiate.
La seconde fenêtre, c’est la diffusion d’un reportage complet grâce à l’indexation des mots-clés. »
Voulez-vous vraiment venir concurrencer les agences télégraphiques ?
Gary Shenk : Nous aimerions être plus rapides qu’elles ! Avec l’acquisition de “Splash News”, nous allons apprendre à faire comme eux, c’est-à-dire être devant les « wired agencies ».
Donc de plus en plus de travail pour le photographe, et si j’ai bien lu votre nouveau contrat, un pourcentage sur les ventes qui diminue ?
Gary Shenk : « Je crois qu’il y a plus de travail pour tout le monde dans le marché d’aujourd’hui. Les photographes et nous devons tous travailler ensemble. Le photographe envoie la photo, mais il faut que nous, nous ayons développé la bonne technologie pour l’envoyer au client. Nous devons tous travailler plus et plus vite. »
Et le photographe gagne moins ?
Gary Shenk : « Dans le réseau Corbis, les photographes « éditoriaux » sont les mieux payés, si on compare à d’autres agences, et les conditions de droits d’auteurs sont plus favorables. Il y a des réalités économiques, nous devons faire des investissements dans la technologie et le marketing. Ils sont importants. Nous essayons de donner les meilleures conditions aux photographes… »
En France, court la rumeur que vous allez fermer vos bureaux de Paris, et peut-être de Londres ou d’ailleurs…
Gary Shenk : « C’est vrai que depuis que je suis à Corbis, nous avons fermé quelques bureaux dans des petits marchés comme Singapour ou la Malaisie… Ce sont des petits marchés où l’on peut travailler par téléphone, mais dans les plus gros marchés comme ceux de l’Angleterre, de la France ou de l’Allemagne, non. Ces marchés sont suffisamment importants pour qu’il soit nécessaire d’avoir une force de vente en contact direct avec les clients.»
On peut être rassuré sur ce point ?
Gary Shenk : « Nous voulons garder ces bureaux, mais les effectifs ont été réduits car nous avons regroupé des centres administratifs à Seattle. Nous gardons les bureaux actuels en Europe.»
Passons aux questions qui fâchent. Il y a cinq photographes qui ont déposé une plainte concernant les conditions de transfert des contrats de Corbis Sygma à Corbis Corporation …
Gary Shenk : « Nous n’avons jamais reçu de plainte ! Nous savons ce qui a été rapporté par la presse mais nous ne pouvons pas faire de commentaires sur quelque chose que nous ignorons. »
Mais la plainte est une réalité, nous l’avons publiée car nous avions les reçus du Procureur de la République !
Gary Shenk : « Nous n’avons pas connaissance de cette plainte, s’il s’avère que nous la recevons nous pourrons faire un commentaire à ce moment-là. »
L’avenir des archives de l’agence Sygma inquiète le monde de la photographie, vous avez mis sous contrat quelques centaines des meilleurs photographes de Sygma, mais il reste quelques millions de photographies actuellement entre les mains de l’administrateur judiciaire chargé du dépôt de bilan de Corbis-Sygma. Pourriez-vous les reprendre ?
Gary Shenk : « Non je n’y pense pas ! Nous n’avons pas l’intention de reprendre ces photographies ! Nous avons de très, très, bonnes relations avec les anciens photographes de Sygma et nous en sommes très heureux. Ils continuent à produire. Nous avons même d’anciens photographes qui nous avaient quitté, et qui reviennent vers nous car nous avons développé un programme de valorisation de ces archives. »
Vos annonces de revenir sur l’actualité favorise-t-il la reconduction des contrats Sygma qui viennent à expiration l’an prochain ?
Gary Shenk : « Oui, j’ai été très heureux de voir hier, dans la salle, des anciens photographes de Sygma. Le fait que nous redevenions agressifs sur ce marché de l’actualité favorise non seulement la production d’actualité mais également la valorisation des archives. Nos clients vont voir du nouveau matériel arriver et donc utiliseront encore plus nos archives. »
J’ai été choqué par la phrase de votre nouveau contrat qui exclut les journalistes français de toute collaboration avec Corbis. Quelle est la raison de cet ostracisme ?
Gary Shenk demande à Stefan Biberfeld de répondre.
Stefan Biberfeld : «De quelle phrase parlez-vous ?»
« De plus, si vous résidez en France, vous déclarez et garantissez que vous n’êtes pas un journaliste (photo), ni titulaire d’une carte de presse et que vous n’avez pas l’intention de devenir un journaliste (photo), ni chercherez à détenir une carte de presse. Dans le cas où vous résidez en France et que vous avez une carte de presse, vous n’êtes pas admissible à entrer dans cet accord. » La version originale en anglais étant : « In addition, if you resid in France, you hereby represent and warrant that you are not a (photo) journalist nor a press card holder and that you do not intend on becoming a (photo) journalist nor will seek to hold a press card. In the event that you reside in France and have a press card, you are not eligible to enter into this agreement.”
Stefan Biberfeld : « Effectivement, notre objectif, qui est celui de la plupart des agences – surtout des grandes – est d’avoir des collaborateurs indépendants car il y a la loi française qui donne une protection spéciale aux journalistes en les assimilant à des salariés. »
Lorsqu’une société de l’importance de Corbis écrit cela, elle met tout son poids dans un débat… C’est quasiment une position politique.
Gary Shenk : « Corbis essaie d’avoir les meilleurs services pour ses clients et pour les photographes, nous ne faisons pas de politique. En effet, les collaborateurs ont le choix. Ils peuvent venir à Corbis ou non. Nous pensons que nous offrons les meilleurs contrats aux photographes, nous faisons le maximum pour valoriser leurs œuvres. »
Dont acte.
Propos recueillis par Michel Puech
Publié par La lettre de la photographie le vendredi 23 septembre 2011.
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