Pendant trois heures, ce jeudi matin 13 octobre à Paris, toute la presse française et les bureaux parisiens de la presse internationale se sont vidés pour venir au Théâtre de l’Odéon rendre un dernier hommage à Göksin Sipahioglu.
Les sept cents places que compte ce théâtre étaient occupées par les innombrables photojournalistes qu’il a envoyés aux quatre coins du monde pendant plus de trente ans. En plus des photographes, les vendeurs d’agences, les pictures editors des magazines et toutes les « petites mains » indispensables à la chaîne de l’information se pressaient, s’embrassaient, pleuraient discrètement. Beaucoup n’avaient pas trouvé place assise.
La famille turque de « Monsieur Sipa » entourait Phyllis Springer, sa compagne depuis leur coup de foudre quarante-quatre ans plus tôt lors d’un vernissage d’une exposition de photos, évidemment. C’est grâce à l’entremise de Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre, auprès d’Olivier Py et de Paul Rondin, que Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image, et Mete Zihnioglu, directeur-adjoint de Sipa press, ont obtenu que cet évènement se déroule dans ce théâtre où le reporter Sipahioglu a fait en mai 1968 quelques unes des photos les plus chères à son cœur qu’il a rassemblées dans un livre et une exposition qui a fait le tour du monde.
Pendant une heure trente, les deux grands amis du défunt ont accueilli sur scène les témoignages que nous publions dans cette édition ou qui l’ont été lundi 10 octobre. Après la lecture par Jean-François Leroy du texte de Fréderic Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, (ndlr : le ministre est en voyage avec le Président de la République), se sont succédées sur scène les évocations par les unes et les autres des tranches de l’exceptionnelle carrière de Göksin Sipahioglu.
Toutes les étapes de la vie du « grand turc », de son enfance à sa jeunesse de basketteur, de ses scoops à Cuba, en Albanie, en Chine jusqu’à l’extraordinaire réussite de l’agence qui porte son nom, ont été abordées par des témoignages, des vidéos et naturellement beaucoup de photographies, parfois tout simplement sorties d’albums privés.
L’émotion de la salle était immense, palpable et communicative. Le moment n’était pas nostalgiquement triste, mais bien au contraire, la salle semblait être accrochée sous une montgolfière gonflée d’énergie, d’enthousiasme et de farouche volonté : l’esprit de Göksin Sipahioglu.
« Quand tu as senti la force et l’énergie qui se dégageaient de cette salle, tu ne peux que te demander pourquoi et comment le photojournalisme est dans un tel état aujourd’hui » confiait quelques heures après , Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image et organisateur avec Mete Zihnioglu, directeur adjoint de Sipa press, de cette manifestation à laquelle assistait Heinrich Ollenkiek, le nouveau directeur de Sipa press nommé par l’agence allemande DAPD qui a repris Sipa il y a peu.
« Comment peut-on être dans une telle merde ? » lâchait Jean-François Leroy, très ému. « J’avais 20 ans quand je suis allé voir Göksin. Il m’a donné dix pellicules Tri X et cinq cents balles… Ce jour là je suis devenu journaliste. J’ai perdu mon père quand j’avais 25 ans, puis Roger Thérond et maintenant lui…»
Ils étaient nombreux à partager de tels affectueux souvenirs et à s’interroger in petto : qui aujourd’hui peut donner une telle chance à un photographe ? Alors pour beaucoup de cheveux blancs qui à l’issue de la cérémonie s’éloignaient, c’était bien aussi à la fin d’une époque, qu’ils confessaient avoir assisté.
Le prince des milles et une nuit du photojournalisme nous a quittés et il laisse beaucoup d’orphelins.
Michel Puech
Publié dans La lettre de la photographie du 14 octobre 2011Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:19 pm GMT+0100 par Michel Puech
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