Le 18 janvier prochain, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, remettra le Prix Lucas Dolega 2012 à Emilio Morenatti, un photographe espagnol travaillant pour Associated Press. C’est la première édition de ce nouveau prix créé par l’association Lucas Dolega en mémoire de ce jeune photojournaliste mortellement touché par un tir tendu de grenade lacrymogène de la police tunisienne lors de la première grande manifestation de « la révolution de jasmin » à Tunis.
Le jury de cette première édition était présidé par Daphné Anglès, (The New York Times – Europe) et composé d’Armelle Canitrot (La Croix), de Barbara Herrmann, (Stern – Paris), de Kathleen Grosset, présidente de la Fédération française des agences de presse (FFAP), de Jean-Luc Monterosso, fondateur et directeur de la Maison Européenne de la Photographie à Paris (MEP), d’Alain Mingam, photojournaliste et membre du bureau exécutif de Reporters sans frontières (RSF), de Laurent Rebours (AP France), de Dimitri Beck (Polka Magazine), de Patrick Chauvel, reporter photographe et de Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF
Parmi les 130 reportages envoyés par 98 photographes de 22 nationalités, le jury a retenu le travail d’Emilio Morenatti intitulé Displaced in Tunisia , un reportage sur les réfugiés libyens à la frontière tunisienne réalisé au début de la guerre en Libye. Une distinction pour un remarquable travail de photojournalisme, par un homme qui court la planète pour son agence, avec une jambe artificielle. Entre les deux fêtes de fin d’année, Emilio Morenatti a répondu aux questions de « La lettre ».
Quand avez-vous eu connaissance de l’existence du Prix Lucas Dolega?
J’ai appris l’existence de l’Association Lucas Dolega après la mort de notre confrère, mais je ne savais rien du prix jusqu’à l’appel téléphonique du jury qui m’a annoncé que j’avais gagné ! En fait, je n’ai pas postulé moi-même, c’est Associated Press qui a envoyé le reportage.
Avez-vous rencontré ou entendu parler de Lucas Dolega, avant de remporter ce prix?
Je n’ai jamais rencontré Lucas Dolega, mais quand j’ai entendu la triste nouvelle de sa mort, j’ai été en état de choc comme tous mes confrères.
Après votre blessure en Afghanistan, avez-vous pensé arrêter le photojournalisme? Et quelles sont les difficultés que vous rencontrez aujourd’hui pour travailler?
Je n’ai jamais pensé à cesser de faire du photojournalisme. En fait, lors de ma convalescence, toute mon énergie était concentrée pour revenir à mon travail et reprendre mon travail de photojournaliste. J’ai été totalement convaincu depuis le début de l’accident que je trouverai le moyen de revenir à mon métier et que je pourrai à nouveau raconter des histoires à travers mes photographies. La reprise ne fut pas une tâche facile, il m’a fallu du temps pour m’habituer à la prothèse.
Vous pouvez vous imaginer… Après avoir perdu une jambe, vous devez réapprendre à marcher, à faire fonctionner votre nouvelle jambe et faire toutes les choses du quotidien. Le processus de récupération n’est pas encore terminé. En fait, je pense que je ne serai jamais complètement remis de cette blessure. Cependant, j’essaie de compenser le manque d’aptitudes physiques en étant plus intelligent dans la recherche de photos et d’histoires !
L’affectation à la frontière Tunisie a été très intéressante et, pour moi, pas trop compliquée à couvrir. Les histoires dramatiques de milliers de personnes séjournant dans un immense camp de réfugiés sur la zone frontalière étaient à ma portée. La plupart de ces réfugiés étaient disponibles pour nous raconter leurs histoires. Notre responsabilité en tant que photojournalistes était de montrer un autre visage de la tragique guerre en Libye.
Quand et comment avez-vous commencé la photographie? Nous savons que vous êtes né en Espagne en 1969, mais pouvez-vous nous parler de votre jeunesse et de votre première approche de la photo?
J’étais étudiant en graphisme et design quand mon frère a commencé à étudier la photographie. Je n’oublierai jamais la première fois où il m’a invité dans la chambre noire. J’avais 22 ans et c’était mon premier contact avec la photographie. Mon frère m’a montré comment des photos en noir et blanc se développaient par « magie », et j’ai été complètement surpris et séduit par le processus de développement.
Cette découverte a changé ma vie car depuis ce jour, je n’ai jamais cessé de prendre des photos. Quelques mois après la découverte de la photographie et de la chambre noire, j’ai compris que le fait de tenir un appareil photo est une excuse parfaite pour choisir le meilleur point de vue et témoigner de la réalité. J’ai toujours été un gars très curieux.
Je n’avais pas d’expérience quand j’ai commencé à vendre des photos au journal local dans la ville où j’ai grandi et mes photos étaient très mauvaises techniquement. Cependant, j’ai commencé à apprendre en couvrant l’actualité et en « courant » à moto derrière les voitures de police ou de pompier qui se rendaient sur les faits divers. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler pour le journal de ma ville, j’avais près de 30 ans.
Quand et comment avez-vous commencé votre collaboration avec l’AP ?
Après le quotidien de ma ville, j’ai travaillé pour l’agence de presse espagnole EFE et en 2004 Santiago Lyon, directeur de la photographie de l’Associated Press, m’a appelé pour me joindre à eux. Ma première affectation pour AP fut de couvrir la situation en Afghanistan. J’ai été basé à Kaboul pendant un an. C’était un grand défi pour moi. L’Afghanistan était à la une de la presse mondiale et j’étais à cette époque le seul photographe étranger habitant dans le pays.
Après cette année intense, j’ai été envoyé au Moyen-Orient, basé à Jérusalem, où j’ai couvert quelques années l’actualité. Puis j’ai été envoyé au Pakistan, où j’ai vécu pendant presque deux ans. Maintenant, je vis à Barcelone et je voyage à travers le monde pour couvrir le « hot news » comme tous les confrères d’AP.
Avez-vous l’intention de venir à Paris pour recevoir le prix de Lucas Dolega et participer au vernissage de votre exposition ?
Oui, je prévois ça, mais avec l’actualité, on ne sait jamais…
« Nous avons présenté le travail d’Emilio dans ce concours de la même façon que nous le faisons pour d’autres prix photo partout dans le monde. » a confirmé Santiago Lyon, directeur de la photographie d’Associated Press qui a ajouté « Emilio a un œil unique. Il est maître de la composition et utilise la lumière pour dépeindre ses sujets d’une façon très convaincante et puissante. Il est l’un des meilleurs photographes de l’AP et nous sommes très fiers qu’il ait remporté ce prix. »
Michel Puech
Article publié dans La Lettre de la Photographie
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A noter
Le prix Lucas Dolega est en partenariat avec la Mairie de Paris, Nikon, Polka magazine, Reporters sans frontières (RSF), l’Union des photographes professionnels (UPP), FreeLens et le laboratoire photo Label image. Il est doté d’un montant de 10 000 euros, assorti d’une commande pour le magazine Polka et d’une exposition du 2 au 29 février 2012 dans les locaux de l’UPP à Paris.
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http://www.puech.infoDernière révision le 3 mars 2024 à 6:17 pm GMT+0100 par Michel Puech
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