« Le jour où tu dois mourir » , « Soldats de papier » … Les éditions Albin Michel ont mis la main sur une nouvelle plume noire : Marc Charuel. Son deuxième thriller vient de sortir, mais lui d’où vient- il ?
Le public âgé de plus de quarante ans a encore en tête la sombre affaire des « disparus de Mourmelon », en réalité une série de meurtres atroces commis par l’adjudant-chef Pierre Chanal qui travaillait au camp militaire de Mourmelon. C’’est de ce fait divers que Marc Charuel est parti pour écrire ce deuxième thriller qui succède à son premier sorti l’an dernier : « Le jour où tu dois mourir ».
Comme Marc Charuel, je ne suis pas un amateur de roman policier et je n’aurais sûrement jamais lu ces deux livres, sans un concours de circonstances, et si l’auteur ne m’était pas inconnu.
Début des années 80, rue Michel Lecomte dans le Marais à Paris, je suis directeur d’une petite agence de presse, La Compagnie des Reporters. François Mitterrand, vient d’ouvrir la porte du pays aux idées des néoconservateurs américains : libres échanges et privatisation des sociétés d’Etat.
En Compagnie des Reporters…
Les années 70 et leurs utopies sont bien enterrées. Sous le masque du « leader de gauche » réapparaît le ministre de la Justice de la guerre d’Algérie. Retour au réalisme froid. Il faut « faire de la tune ».
Notre Compagnie des Reporters s’est donc spécialisée dans les reportages magazines, texte et photos couleurs, style : « Les gauchos de la pampa », « La descente de la Loire en canoë » ou « L’école des cadres japonais ». Adieu Libération, en avant vers Le Figaro Magazine, Géo…
Adieu les « news » et la photographie sociale en N&B qui nous ont occupés la décennie précédente.
Malgré tout, malgré nous, le nom de La Compagnie des Reporters a fait le tour du monde à la suite de l’arrestation de deux des six membres d’une équipe de journalistes partie « faire le point » dans l’Afghanistan occupé par les soviétiques. En mettant en prison François Missen, prix Albert Londres et le jeune photographe Antoine Darnaud, l’armée rouge a fait involontairement une publicité à notre petite agence. Pour les freelances, nous faisons partie des agences à démarcher. Beaucoup de monde frappe à la porte.
«La guerre du Vietnam nous laissait
un beau paquet de macchabées»
Un jour, Sylvie Languin, « mon bras droit », m’annonce mon prochain rendez-vous : Marc Charuel. Quand je lève les yeux, je croise le regard noir d’un jeune homme aux joues creuses surmonté d’une tignasse longue et sombre. Dans mes souvenirs, il porte une tenue style baroudeur, pantalon treillis militaire…
Le jeune homme n’est ni souriant, ni engageant. Il me dit revenir de la jungle birmane, me parle avec passion de rebellions dans des pays dont je n’ai jamais entendu parler. La Birmanie est à l’époque un pays fermé et très mal connu sur lequel l’agence ne dispose que d’un magnifique reportage réalisé par Philippe Charliat entre deux prises de vue pour les compagnies pétrolières. Pagodes, temples, moines, le reportage a fait plusieurs pages « tourisme » dans le Figaro Magazine. Mais sur la Birmanie, nous n’avons rien d’autre et le triangle d’or n’évoque en moi que le trafic de drogue.
Marc Charuel, lui, ne revient pas d’une tournée touristique. C’est un photoreporter style baroudeur. Un de ces mecs qui, comme Patrick Chauvel, photographie alors la colère au ventre, et la « 317ème section » dans le regard.
Il est entré clandestinement en Birmanie par la Thaïlande et a crapahuté dans la jungle avec les combattants karens. Je regarde ses photographies, en N&B et en couleur : des hommes en armes, des groupes qui marchent dans la forêt, des rassemblements dans des villages de cases sur pilotis… Quelques scènes de combats. Quelques images d’une cruauté insoutenable…
Je suis sceptique sur les possibilités de vendre ce matériel, et lui dit. Effectivement, je ne me souviens pas avoir réussi à faire des parutions. Quelque temps plus tard, le jeune homme revient à l’agence. Il est en colère. Il gronde… Je bats en retraite.
L’homme n’a pas l’air commode, et au fil de quelques discussions, j’ai appris sa proximité de jeunesse avec l’extrême droite, son passé militaire. Bref, j’ai compris qu’il n’hésiterait pas à se battre. Avec délicatesse, je le reconduis à la sortie. Il repart vers la Thaïlande, et j’oublie Marc Charuel.
« Le jour où tu dois mourir »
Presque trois dizaines d’années plus tard, l’an passé, Geneviève Delalot me téléphone pour me signaler une double page dans le Figaro Magazine : « Ca va t’intéresser, c’est un photographe qui publie un polar, il s’appelle Marc Charuel… »
Je m’exclame : « Putain ! Charuel et ses Karens ! »
« Oui » me répond Geneviève, « Il y a des photos qu’il a faites en Birmanie. »
Je lis l’article, découvre alors que Marc Charuel travaille depuis des années au groupe de presse Valmonde qui édite Le Spectacle du Monde et Valeurs Actuelles, deux publications fortement ancrées très à droite et que je n’ouvre jamais !
Mais le personnage m’a jadis tellement intrigué que j’achète le jour même son bouquin : « Le jour où tu dois mourir ». Et là, j’ai un choc. Je ne lâche pas le livre avant de l’avoir terminé. Il y a une écriture dense, haletante qui me fait l’impression d’un coup de foudre… C’est, je l’apprendrais pour l’occasion, ce que les spécialistes nomment un « page-turner » : un bouquin qu’on ne peut lâcher avant d’avoir tourné la dernière page.
Et, en mars dernier, quand trois parachutistes sont abattus à Montauban, j’ai immédiatement pensé au livre de Marc Charuel. Vague impression qui sera renforcée ensuite par le fait que le tueur filme ses assassinats… Je ne vous en dis pas plus, il faut lire « Le jour où tu dois mourir ». Ensuite le fait divers diverge du premier thriller de Marc Charuel, mais annonce peut-être le troisième…
Coëtquidan – Sarajevo (AR)
Ce qui frappe dans ces deux thrillers, bâtis selon des schémas d’écriture totalement différents, c’est la précision du style. Une précision journalistique évidement, basée sur la froideur de la description des faits, et sur une très grande capacité à incarner les personnages allant même parfois à une sorte d’empathie pour certains.
Dans le premier, « Le jour où tu dois mourir », l’auteur nous entraîne du bassin d’Arcachon à une Asie qu’il connait presque comme sa poche. Comme reporter il a arpenté Vietnam, Cambodge, Philippines, Thaïlande, Birmanie…. Son héros est un photographe, comme lui… Il est en terrain connu et les photojournalistes correspondants de guerre reconnaîtront qu’ils ont affaire à un autre professionnel.
Geoffroy de la Roche, le héros des « Soldats de papier » est aux antipodes, c’est un « psy » lieutenant de réserve qui fait « une période » à Toulouse quand il est envoyé subitement et sans explication à la base de Coëtquidan où se déroule de curieuses « désertions ». On est en 1992, en pleine guerre de Bosnie. A première vue, ce personnage de psychologue est très éloigné de l’auteur, ce photoreporter baroudeur.
En réalité, c’est son double. La longue expérience journalistique en terrain de guerre de Marc Charuel est incontestablement un terreau qui lui permet de développer des romans documentés, fouillés et glaçants d’horreur. Mais, il y a un autre aspect de la vie de Marc Charuel qui l’inspire : son expérience et son respect pour la chose militaire. L’expérience de l’appelé qui a fait l’école des officiers de réserve, mais celle aussi acquise dans la fraternité d’armes qui soude inévitablement les reporters et les militaires sur le terrain.
« Il y a une chose que personne n’avouait, c’est que les morts étaient pour beaucoup d’entre nous une bombe à retardement. Ils vous sautaient au visage bien longtemps après que vous les aviez croisés. »
Les deux thrillers de Marc Charuel sont des romans d’horreurs. Ce ne sont pas des romans de guerre. Pour la guerre, il faut lire ses souvenirs rassemblés en 1998 dans un formidable livre « Les cercueils de toile » intelligemment préfacé par Christian Caujolle. Les deux thrillers sont des polars de faits divers. Mais pour écrire avec cette précision l’horreur, il faut avoir été confronté aux « cercueils de toile ».
« Découvrir qu’on a été un peu dingue d’être venu là et qu’on a beaucoup menti prend parfois du temps, parfois pas. Au bout du compte, c’est toujours beaucoup d’efforts, beaucoup de souffrances avant de réaliser que vos images n’ont vraiment changé que vous, qu’elles vous ont blessé, qu’elles vous ont volé une part essentielle de vous-même et vous on conduit avant l’heure à la Grande Tribu des Morts du proverbe bantou. »
Mais également, le temps passant, dans le club privé des grands auteurs de romans noirs.
Michel Puech
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