Avec « Les pompes de Ricardo Jésus », Patrick Chauvel raconte dans son troisième ouvrage, sa vie de photojournaliste d’avant « Rapporteur de guerre », son premier livre . Une vie faite de rencontres improbables dans des pays en guerre.
« Ce type de reporters sont des gens qui croient à ce qu’ils font. J’entends beaucoup de critiques sur le reportage de guerre, sur le journalisme violent… La plupart de mes collègues sont des femmes ou des hommes qui croient à ce qu’ils font, qui croient que leurs témoignages sont importants» a expliqué, jeudi 17 mai 2012, Patrick Chauvel dans l’émission de Laurent Goumarre, en évoquant l’assassinat de Christian Poveda qui « était un ami et un très bon reporter »
Les reporters de guerre, qu’ils soient photographes, cinéastes, preneurs de son, inspirent films et séries télé, mais ils sont de plus en plus critiqués par le public. A la fin des années 1960, au début des années 1970, quand Patrick Chauvel a, pour la première fois, voulu voir la guerre en Israël, les correspondants de guerre étaient des héros. Le mythe allait s’installer avec la guerre du Vietnam et les soixante-dix journalistes qui y laissèrent leurs vies.
Avec le début des prises d’otage, dans les années 1980, l’opinion publique allait, hélas, progressivement évoluer. Le nombre des journalistes pris en otage, le nombre des morts auxquels la profession rend hommage firent naître une certaine suspicion sur laquelle, in fine, Nicolas Sarkozy allait jouer comme à son habitude. On se souvient de ses paroles à propos de la prise en otage des deux journalistes de France Télévision en Afghanistan. Parler « d’imprudence coupable » fut alors scandaleux et d’autant plus ignoble que quelques mois plus tard, la Ministre de la Défense eut la « géniale » intuition de proposer le savoir-faire de la France au dictateur tunisien ! Passons.
« Tant qu’il y aura des héros »
« Un d’entre nous a disparu, un de plus dans la cohorte de ces envoyés spéciaux qui sont vos yeux et vos oreilles dans le monde. Vous continuerez à être informés parce que d’autres assureront la relève » écrivait dans Le Figaro, en août 1970, Jean-François Chauvel, le père de Patrick, à propos de son ami René Puissesseau disparu à l’âge de 50 ans, le 7 juillet 1970, au Cambodge.
« Je ne crois pas qu’un journaliste puisse mourir pour son journal. S’il lui arrive de risquer sa vie, c’est pour lui-même, pour une certaine idée qu’il se fait de son métier. » écrivait le même Jean-François Chauvel dans “A rebrousse-poil” (Editions Olivier Orban 1976), un livre de récits de reportages enregistrés par Philippe Gildas. Un livre dont le dernier chapitre s’intitule « Tant qu’il y aura des héros »
Sur le berceau de beaucoup enfants se penchent, parait-il, des fées. Sur celui de Patrick Chauvel, ce sont des barbus, des poilus, des baroudeurs fumeurs et buveurs qui lui ont soufflé l’haleine des routes et des combats. Qu’on en juge, le grand-père est ambassadeur de France, le père, grand reporter à l’AFP, au Figaro, à « Cinq colonnes à la Une », l’oncle se nomme Pierre Schoendoerffer. Pierre Schoendoerffer et Joseph Kessel s’étaient, selon la biographie d’Yves Courrière, connus en mars 1955 dans les bureau de l’AFP à Saigon…
Le père et l’oncle font la tournée des cabarets russes avec leur ami Joseph Kessel. Quand ils s’arrêtent un peu trop longtemps dans un cabaret, ils posent le petit Patrick sur la moleskine rouge de la brasserie, où il s’endort dans la fumée et les bruits de verres entrechoqués.
« Geneviève Chauvel, épouse de Jean-François Chauvel, diffusera sa production dès la fin des années soixante par l’intermédiaire de Gamma. » écrit Hubert Henrotte dans son livre de souvenirs, « Lors de la scission de 1973, elle nous suit à Sygma et nous offre bientôt deux superbes cadeaux, deux scoops réalisés à quelques mois d’intervalle ». En juillet 1973, un Boeing de Japan Airlines est détruit à Benghazi par des Brigades rouges italo-japonaises devant l’objectif de Geneviève Chauvel qui, en octobre, photographie Kadhafi, déjà l’ennemi public numéro 1, en prière dans le désert…
Que voulez-vous qu’un enfant grandi dans ce milieu fit ? Il devint, il y a plus de quarante ans, ce qu’il a nommé du titre de son premier livre un « Rapporteur de guerre ».
« Mon père n’a pas assez écrit » me confia un dimanche après-midi à la terrasse de l’un de ses bistrots, « Le Corso » Patrick Chauvel. Il relève donc le défi. Après « Rapporteur de guerre », publié en 1998 et vendu à 18 000 exemplaires « sans compter Le livre de Poche », il rédige un « récit romancé », Sky, que je considère comme son meilleur livre. L’histoire d’une amitié qui débute en opération au Vietnam et se termine en territoire indien aux Etats-Unis !
« Quand tu écris un récit » m’affirme Patrick Chauvel « on te demande ce qui est faux. Quand tu écris un roman on te demande ce qui est vrai. » Les pompes de Ricardo Jésus est le récit des aventures de Patrick Chauvel dans les années 1970/1980. La période qui précède celles racontées dans « Rapporteur de guerre. »
L’un commence à Panama le jour où il patiente pendant quatre heures au milieu d’un carrefour par 35 degrés à l’ombre « Mais j’étais au soleil, les tripes à l’air et ça tirait sans arrêt, c’est pour cela qu’ils ont mis tout ce temps à venir me chercher. Ensuite j’ai été opéré, et les chirurgiens, une fois que j’ai été sauvé, m’ont envoyé un mauvais polaroid où ils posent avec mes tripes dans les mains et leurs deux tronches hilares avec des bobs à fleurs… Tu le crois ? »
Oui, on te croit Patrick !
« Tu as l’air mort ! » ce sont les premiers mots de son dernier livre « Les pompes de Ricardo Jésus » et c’est Pierre Schoendoerffer qui les prononcent en regardant Patrick Chauvel photographié blessé au Cambodge en avril 1974. Lui, il écrit ses lignes alors qu’il fait ses premiers pas avec des béquilles suite à « une balle dans la jambe gauche au niveau de la cheville. Un cadeau des gardiens de la révolution à Tabriz » en 1980…
A propos des blessures de Patrick Chauvel, Jean-François Leroy, qui le connait bien et qui a recueilli les témoignages de leurs nombreuses connaissances communes, dit « A poil, le corps de Patrick, c’est la carte des guerres des quarante dernières années. »
Dans la revue Medias, Alain Mingam, ancien rédacteur en chef et aujourd’hui commissaire d’expositions le décrit ainsi : « C’est un séducteur né qui mêle récit et bagout avec un sens de l’anecdote, de l’autodérision et de l’humour, à faire renoncer au couvent une congrégation de bonnes sœurs priant pour son âme dévoyée dans les coupables turpitudes des saloperies de la guerre ou de toutes les bassesses humaines. »
« Je crois pouvoir dire que Patrick Chauvel m’a un jour sauvé la vie à Port-au-Prince ! » raconte Dominique Aubert, ancien grand reporter à l’agence Sygma et aujourd’hui reconverti commandant de bord sur Boeing « triple 7 ».
« Pendant un de mes tous derniers reportages, je couvrais pour l’agence Sygma avec Patrick Chauvel une manifestation de « Pros Duvalier » en Haïti. Je me trouvais face à des manifestants armés quand j’aperçus Patrick posté beaucoup plus loin qui gesticulait et hurlait comme un diable dans ma direction. Patrick tentait vainement de m’avertir que j’étais pris en joue par un manifestant et m’a permis ainsi de me déplacer légèrement de ma position. Un instant plus tard en rechargeant des films, je découvris une multitude de tâches de sang sur moi et sur le confrère situé à mes côtés qui était allongé par terre sur mes pieds. Il venait de prendre une balle dans la tête !»
« C’est un mythe vivant » dit le jeune Corentin Fohlen « J’ai lu ses livres, je l’ai croisé sans lui parler en Libye, et je croyais qu’il ne m’avait pas remarqué. Et puis l’autre semaine je le rencontre au laboratoire Negatif+. Il me salue. Et me dit « Ne va plus à la guerre, c’est trop dangereux… »
« Ils ne se rendent pas compte tous ces jeunes photographes que j’ai vus en Egypte ou en Lybie… » raconte Patrick Chauvel « Moi, tous les trois à quatre ans, je fais un stage au service santé de l’armée. Tu comprends, une balle dans la cuisse, si l’artère fémorale est touchée, tu as cinq minutes à vivre. Il faut ouvrir la plaie au couteau si elle n’est pas assez grande, plonger la main, attraper l’artère. Tu la sens, ça palpite sous tes doigts, et là tu mets un clip. Le mec va peut-être perdre sa jambe mais pas sa vie. »
Ecouter Patrick Chauvel parler, c’est exactement comme lire « Les pompes de Ricardo Jésus »… Tout à coup vous redevenez un jeune garçon qui lit un roman d’aventures. C’est Le Comte de Monte-Christo, d’Artagnan et ses copains qui débarquent dans votre tête.
Sauf que ça sent la merde et le sang, que le bruit des hélicoptères et des roquettes est insupportable et qu’après cinq Bloody Mary vous pouvez plonger dans la piscine du Hilton avant de vous faire saigner à un carrefour…
« Ca ne cesse de me surprendre, cet étonnement envers la guerre, c’est pourtant un des phénomènes les plus anciens de l’humanité » écrit Patrick dans « Les pompes de Ricardo Jésus ». « Le conflit entre la bête humaine, dont le réflexe est de tuer, et la petite lueur d’humanité qui quelquefois se manifeste tout au fond des hommes. Je cherche ceux qui croient au milieu du chaos. La guerre m’intéresse parce que c’est en elle que je trouve cette faible lueur. Pour le reste, je fais ce que je peux, je raconte l’Histoire. Pour la mémoire, pour le plaisir de subir et ensuite d’avoir le privilège de raconter aux autres… C’est ça l’idée ! »
Dans le numéro spécial que le mensuel « Spectacles du Monde » a consacré ce mois ci à Pierre Schoendoerffer, un autre grand reporter Marc Charuel a ses mots : « Ces hommes qui couvrent les combats ont entre vingt et vingt-cinq ans. Rarement plus…/… « We few, we happpy few, we band of brothers », se rappelait récemment Schoendoerffer en citant Shakespeare. Et en hommage à Conrad : “Nous étions jeunes et maigres. Nous nous contentions de tenir dans nos mains nos biens et notre vie. »
Alors on se demande comment Patrick Chauvel, un type qui n’a apparemment pas le physique de l’emploi – ce n’est qu’une apparence – fait pour être encore vivant après avoir « couvert » les guerres en Israël (1967), au Vietnam et en Irlande, au Cambodge (1970), au Mozambique (1972), en Erythrée, au Liban, en Angola (1975), au Liban « again » (1977), en Iran (1979), de nouveau le Liban (1982 et 1992), Haïti (1991), Tchétchénie (1994), Panama (1989)… J’oublie le siège de Sarajevo, le Nicaragua, le Salvador, l’Irak etc… Impossible de faire la liste exhaustive.
« En fait, on ne peut pas les contrôler »
A la soixantaine, Patrick Chauvel a encore crapahuté en Afghanistan et l’an dernier couru dans le sable du désert libyen …
« Les magazines américains considèrent les photographes des agences françaises un peu comme des mercenaires, des baroudeurs. » confiait, dans les années 1990, Robert Pledge « patron » de l’agence américaine Contact Press à Michel Guerrin du quotidien Le Monde « Ils apprécient leur savoir-faire, leur débrouillardise, mais ils contestent parfois leur fiabilité. En fait, on ne peut pas les contrôler »
Incontrôlable, voilà bien un mot qui va bien à Patrick Chauvel. « Les gardiens de la révolution fouettent les gens pour se frayer un passage. » raconte Patrick Zackmann dans Profession Photoreporter (Editions Gallimard). « Je me bats pour ne pas être asphyxié. Et là, je vois Patrick Chauvel, de Sygma, un kamikaze de première, un fou ! On est bloqué tous les deux derrière une porte vitrée. Il faut passer à tout prix. Chauvel donne un coup de téléobjectif sur le crâne de quelqu’un pour passer. Et on passe ! »
Alors, in fine, il y aura des photographes pour pinailler sur la qualité des tirages de son exposition, des journalistes pour relever quelques erreurs dans ses bouquins, des rédacteurs en chef pour hausser les épaules et maugréer : « Incontrôlable ! » en parlant de Patrick Chauvel, de ses œuvres et de ses pompes.
Ecouter ou lire Patrick Chauvel, vous mène de la stupeur macabre à l’hilarité la plus désopilante. Dans son récit, il n’est pas question que de sueur, de sang et de larmes. Il y a aussi de l’amour pour Maria, la belle révolutionnaire qui trinque avec les envoyés spéciaux au bord de la piscine de l’hôtel mais finira… Je vous laisse le soin de le découvrir.
Dans « Les pompes de Ricardo Jésus », on découvre aussi un Patrick Chauvel, homme délicat, petit fils d’ambassadeur, sachant prendre le thé avec une Marguerite Yourcenar, tout juste élue à l’Académie française, qui se cache de la presse sur un paquebot des croisières Paquet !
Vous lirez aussi sa désopilante rencontre avec Bob Marley : » I’m the King ! », « Et moi, je suis la reine d’Angleterre » lui répond Chauvel . Mais parfois il est « le pape » dans la même anecdote… Cela dépend de l’ambiance du jour. Mais peu importe. Comme l’écrit Hélène Cixous « Tout est vrai, ou presque… »
Et en plus, « Il a la manière… »
Michel Puech
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Exposition
Patrick Chauvel expose pour la première fois au Musée du Montparnasse, du 16 mai au 3 juin 2012, une centaine de photographies de guerre prises au cours de ses quarante ans de reportages.
Linsk
http://www.museedumontparnasse.net/
http://www.puech.infoDernière révision le 3 mars 2024 à 7:21 pm GMT+0100 par
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