Les derniers jours de Visa – Bloc note en direct de Perpignan publié dansLe Journal de la Photographie et dans le Club Mediapart
Perpignan, dimanche, 4 heures du matin, le Café de la Poste ferme.
La 24ème édition est bouclée. Hier soir au Campo Santo, Jean-François Leroy lance à Sylvie Grumbach, sa partenaire du « 2ème Bureau »: « Demain on commence à préparer les 25 ans de Visa ! ». Tous rient. En attendant, voici les derniers échos
Vendredi 7 septembre, avant-dernier jour
18h00 – Au restaurant le Saint-Jean, l’association Lucas Dolega offre un verre pour annoncer l’appel à candidatures de la deuxième édition du Prix Lucas Dolega dont la clôture sera en novembre. Dépêchez-vous d’envoyer vos dossiers. (Voir le site de l’association)
19h00 – Pour accéder au 7ème étage du Palais des Congrès pour la « party de Getty-AFP » il faut pratiquement un passeport et un visa en règle ! Le saint des saints nécessite autant d’accréditations que le Pentagone !
Le bon côté, c’est d’arriver enfin à serrer la main d’une personne de l’AFP ! J’ai aussi le plaisir de rencontrer Barbara Bufkens la nouvelle Media Coordinator du World Press Photo qui a le bon goût d’être belge et de parler français. C’est reposant au milieu de tous ces anglo-saxons.
21h30 – Il fallait s’y attendre, la projection de ce soir est source de beaucoup d’émotions. « Bonsoir à tous, bonsoir à nos amis de la place de la République et, je vous demande le silence pour le lancement de ce premier sujet. » lance Jean-François Leroy.
« Il y a juste 8 ans, ici même je vous présentais un jeune photographe Rémi Ochlik… /… Et puis le 22 février dernier, nous apprenons sa mort à Homs avec Marie Colvin. Avec le maire de Perpignan nous décidons de renommer le Prix de la Ville, Prix Rémi Ochlik parce que ce jeune reporter de talent, c’est tellement lui …/… Salut Petit Prince ! »
Suit une projection rétrospective du travail de Rémi Ochlik en Haïti, en France, en Tunisie où il était à côté de son ami Lucas Dolega lorsqu’il a été assassiné. On visionne également l’Egypte et son admirable et récompensé travail pendant la guerre de Libye. Puis c’est la Syrie où Rémi a trouvé la mort.
Toutes les morts sont inacceptables, mais celle de Rémi plus que tout autre, parce qu’elle arrivait après celle de Lucas Dolega en Tunisie et celles d’autres reporters en Libye. La première fois que j’ai entendu son nom c’était en 2004 dans la bouche de Mark Grosset, ancien directeur de l’agence Rapho et directeur de l’école Icart Photo où Rémi étudiait tout en faisant ces premières piges. Mon ami Mark voulait que je vienne à Visa voir la projection d’Haïti car son jeune poulain allait avoir une projection …
« En septembre 2002, grâce à Mark Grosset, je me suis présenté à l’agence Wostok. Slavica, la fondatrice, était une femme étonnante. Elle nous faisait à manger, nous offrait de la vodka et éditait nos photos. Elle disait : ça c’est bon, ça poubelle. J’ai beaucoup appris. Je faisais des manifestations, encore des manifestations et puis en 2004 il y a la guerre civile en Haïti. Je me suis dit : ça c’est ma guerre ! » Je revois Rémi comme si c’était hier, attablé, chez moi devant une bière et mon carnet de notes.
Hier soir au Campo Santo, planait non seulement l’ombre de Rémi, mais aussi celle de Mark. Autant dire que lorsqu’Emilie Blachère la compagne de Rémi Ochlik est montée sur scène, elle n’était pas la seule à avoir les yeux embués. Sûr que Sebastian Liste, lauréat du premier prix de la Ville de perpignan à porter le nom de Rémi Ochlik, sera longtemps accompagné en reportage par « le petit Prince » comme l’a surnommé Jean-François Leroy.
On enchaîna sur le Visa d’or Magazine
Sans surprise, c’est Stéphanie Sinclair qui fut l’heureuse gagnante. Son sujet « Le mariage des petites filles », la longueur de son enquête (9 ans !),le soutien de nombreuses ONG, de magazines comme National Geographic, Géo , son fans’club dont le Président est Jean-François Leroy mais, évidement principalement la qualité de ses images l’ont imposée. Tout le monde s’y attendait. Personne n’a été déçu, sauf peut-être les nominés qui devront revenir une autre année.
Personnellement, je ne n’ai pas honte de dire que je n’aurais pas voté pour elle, même si – une fois encore – la qualité est au rendez-vous, mais il me semble qu’à l’heure où la dotation de 8000 euros est âprement disputée, la somme aurait pu aller à un reporter moins bien loti en « assignment ». Et, puis, j’ose le dire : je suis un peu gêné par ces reportages sur les droits de l’homme qui ne dénoncent que des fléaux dans les pays du tiers-monde. Pardon : pays émergents.
Il m’arrive de rêver d’un Visa d’or Magazine décerné à un grand reportage sur la crise économique sans précédent qui secoue le monde et dont nos Présidents ont bien du mal à nous sortir.
Justement les Présidents… Guillaume Binet, Lionel Charrier Ulrich Lebeuf, Denis Allard, Jean-Claude Coutausse et Olivier Laban-Mattei ont suivi la campagne présidentielle française avec des regards souvent ironiques. Une mention spéciale à la rédaction du quotidien Le Monde qui a donné des « assignments » pour publier des photos non extraites des fils des « wired ». Une bouffée d’air frais pour Jean-Claude Coutausse et Olivier Laban-Mattei.
A défaut de voir les violences faites aux femmes en Europe, on frémit ensuite d’horreur devant celles qui leur sont faites en Papouasie-Nouvelle Guinée…. Pour sourire un peu et pour les amateurs nombreux ici, Visa nous projeta un petit bijou : Brassai in America des photos de 1957. Merci !
Restait un gros morceau : la Syrie avec une histoire tragique de ce pays de 1920 à aujourd’hui. Outre les photos d’archives nous vîmes des portfolios tous très forts de Caroline Poiron/Fedephoto, John Cantlie Fastfeatures, Robert King/Polaris-Starface, Giulio Piscitelli, Laurent van der Stockt/Le Monde, Nicole Tung / Time Magazine et le très grand Goran Tomasevic de Reuters. Magnifique et horrible à la fois.
23h30 – Les courageux, dont je ne fus pas, se dirigèrent vers la fête organisée conjointement par le Figaro Magazine et Canon Europe. L’heure est aux économies et les fêtes sont divisées par deux.
Samedi 8 septembre
10h00 – Rencontre avec Robin Hammond pour son travail sur la santé mentale dans les pays africains en conflit et sur le Zimbabwé
11h00 – Rencontre avec Ilvy Njiokiktjien et Sarah Caron, lauréates du Prix Canon de la Femme Photojournaliste 2011 et 2012, décerné par l’association des femmes journalistes (AFJ) et soutenu par le Figaro Magazine
12h00 – Hier après-midi, Jordan Pouille, journaliste basé à Pékin et collaborateur régulier de Mediapart, m’a indiqué qu’un « jeune type de vingt ans se promenait dans les stands avec des photos d’Alep (Syrie) d’où il arrivait ». Je fais le tour des agences en vain. Personne n’a semble-t-il vu l’oiseau rare. Par contre, plusieurs me glissent dans l’oreille qu’ils ne sont pas mécontents de cette 24ème édition de Visa.
« Quand tu penses que j’ai été licencié de Corbis » me confie Jean Favreau fondateur de PixPalace « et que cette année c’est moi qui occupe la place de leur stand … C’est amusant. » Content ? « Oui, nous avons vu beaucoup de monde. Plus que l’an dernier. Il faut dire que nous avons des nouveaux produits PixPalace : la traduction automatique, l’accès à toutes les archives de nos partenaires… Bref, on a rencontré de nouveaux clients potentiels mais nous avons approfondi les relations avec ceux que nous connaissons déjà. »
Je m’inquiète de la santé de sa collaboratrice qui a fait un malaise hier soir au Campo Santo, interrompant brièvement la projection pour qu’un médecin vienne l’ausculter. « Elle est là ! Debout devant toi… La fatigue, et puis nous n’avions pas eu le temps de dîner. »
Il est vrai, que beaucoup travaillent beaucoup ! Bien sûr il y a des fiestas, des pots au bistrot… Mais en fait, mis à part les autochtones et les touristes qui sont là pour voir les expositions, les autres, les professionnels sont à Perpignan pour faire des contacts.
« On met des visages sur des adresses e-mails ! » me confie Gaby Godelier de ProPixo, une société qui diffuse un système de gestion des images pour agences de presse et banques de photos. Je connais Gaby depuis une quinzaine d’années. Ancien vendeur de photos, il en a eu assez de courir Paris à scooter et s’est lancé avec un ami informaticien dans la création d’un système de gestion complet de vente d’images via Internet, c’était à la fin des années 90. « Aujourd’hui nous avons 35 agences comme clients. »
13h00 – En route pour « la playa ».
Chaque année, le déjeuner de Paris Match est le moment phare du festival .Y être invité est un « must ». Une fois le carton en poche, encore faut-il trouver l’endroit ainsi qu’un véhicule, si comme moi, on ne conduit pas. Cette année, j’embarque avec Jean-François Pekal, le patron de l’agence Starface, un habitué. Jeff, comme tout le monde l’appelle n’est pourtant pas sûr de lui. « Il faut que je me concentre » annonce-t-il dès que nous avons quitté Perpignan « Chaque année c’est la même chose, on ne dort pas assez à Perpignan, et j’oublie… ».
On passe Torreilles-Plage, on trouve le camping de référence après un premier demi-tour. Ensuite on prend une piste pleine de nids de poule pour finir par nous égarer dans un parking. Demi tour. Le prochain parking est le bon. Il y a là une paillotte tout droit sortie de la bande dessinée «Le café de la plage » de Régis Franc publiée dans les années 1970 dans « Le Matin de Paris ». « Un endroit woodstockien » commente Jeff.
« Depuis 24 ans, nous sommes aux côtés de Visa pour l’image et nous serons là l’an prochain pour la 25ème édition» déclare dans un bref speech Olivier Royant, le directeur de la rédaction de Paris Match, en bras de chemise. Tout le monde est décontracté. Certains se baignent en sirotant un planteur.
« Chaque année c’est le signal de la fin des vacances » commente Olivier Royant qui annonce la sortie le 24 octobre d’un livre rétrospective des couvertures de l’hebdomadaire illustré. « Nous en avons sélectionné 400 ». « 400, ça va faire beaucoup pour une exposition » plaisante Jean-François Leroy.
15h30 – Il faut se préoccuper de quitter cet endroit paradisiaque si l’on veut assister à « La poudrière», c’est-à-dire à la librairie officielle du festival, à la signature de « 40 ans de photojournalisme, génération Sipa »…
Patrick Chauvel et Phyllis Springer compagne de Goksin SipahiogluPatrick Chauvel et Phyllis Springer compagne de Goksin Sipahioglu© Geneviève Delalot
La bonne solution consiste à suivre Rémy Ourdan, grand reporter au quotidien « Le Monde » et Patrick Chauvel qui doit signer également son livre « Les pompes de Ricardo Jésus ». Mais la Ford Mustang est déjà bien pleine, et ses amortisseurs bien fatigués. Heureusement, un jeune homme qui discute avec Stéphane Dock de l’agence Vu’, se propose de nous prendre à bord de sa Peugeot 206. C’est moins romantique que la Mustang mais ça roule.
Une fois à bord, je comprends qu’il s’agit du jeune photographe qui revient de Syrie… La chance est avec nous : c’est celui que je cherche depuis hier.
Edouard Elias a 21 ans, il est étudiant en photographie à Nancy et a profité des vacances scolaires pour gagner la Turquie pour faire un reportage sur les camps de réfugiés syriens. Arrivé à la frontière le 16 août, il a rencontré Stéphane Dock et, ensemble, ils sont allés à Alep. « C’est la première fois que j’allais en zone de conflit » me raconte-t-il tranquillement « alors évidement je ne savais rien. Patrick Chauvel m’a engueulé car je n’avais pas pris d’assurance et que je ne sais pas quoi faire si un confrère est blessé. Je vais me former. »
Combien de temps est-il resté en Syrie, à Alep ? « Du 16 au 23 août… Et j’ai dû vendre un objectif en Turquie pour payer mon avion de retour… Là-bas, c’était l’horreur. Ça tirait dans tous les sens. On dit que les balles sifflent, moi j’ai trouvé qu’elles claquaient. En plus il y a les bombardements. C’est l’enfer. J’ai pataugé dans le sang. Par moment je devais souffler, car c’est trop horrible… Mais, j’ai dépassé l’horreur pour témoigner puisque j’étais là ! »
Au retour Stéphane Dock lui conseille de venir à Visa pour l’image, ce qu’il a fait. « Je dois tout à Stéphane » dit Edouard Elias « Il m’a expliqué qui voir. Et puis il m’a fait rencontrer Patrick Chauvel qui est vraiment sympa. Il a regardé mes photos et m’a dit que j’avais quatre plaques… Je suis allé voir Getty images et ils ont tout de suite décidé de prendre mon reportage en diffusion. Depuis il y a plein de gens qui veulent me voir… je suis un peu dépassé par les évènements. Il faut que je réfléchisse, mais j’ai beaucoup de chance et je ne vais pas la laisser passer. »
Edouard Elias est la preuve vivante que le photojournalisme n’est pas mort, qu’il y a toujours comme au temps de la création de Gamma ou de Sipa des jeunes gens passionnés pour raconter le monde. Ensemble nous nous retrouvons à la Poudrière où une bande de « Sipa boys » dédicace le livre dont l’obstination de Michel Setboun a permis qu’il soit en vente aujourd’hui. Chaude ambiance à « La Poudrière » où une vingtaine des 80 photographes qui témoignent dans ce livre sont là.
23h30 – Sipa encore à la soirée de projection au Campo Santo qui se termine curieusement et tristement sur l’hommage à Goksin Sipahioglu.
Jean-François Leroy fait monter sur scène toute la bande des photographes, iconographes, rédacteurs de Sipa. Ambiance étrange pour ce dernier soir, car la « nécro » du « grand turc » comme tout le monde appelait Göksin Sipahioglu est aussi « bordélique » que le fut l’agence Sipa. La projection fut un étrange mélange des photos du patron avec celle des photographes qui sont passés par Sipa. Et puis finir un festival sur une nécro, alors que les années passées, Abax nous avait chauffé avec des sujets musicaux…
Nous étions quelques uns à nous regarder d’un air interrogatif. Plus tôt dans la soirée, l’hommage rendu à Horst Faas, décédé en mai dernier, était plus structuré et plus émouvant.
Durant cette projection, j’ai été également ravi par le reportage de Massimo Sciacca de Prospekt sur le Nigéria et par celui de Williams Daniel, de Panos, sur la chute de Tripoli.
Je vais également me procurer le livre de Miquel Dewever-Plana de l’agence Vu’ sur les « Maras » ces gangs guatemaltèques, « L’autre Guerre » aux éditions Le Bec en l’Air. Un reportage engagé qui fait penser à « La Vida Loca » de Christian Poveda.
Finissons par où la soirée a commencé avec la remise du Prix Canon de la femme photojournaliste qui est allé à la talentueuse Sarah Caron. Avec les 8000 euros remis par le sponsor, Sarah va pouvoir réaliser son projet de reportage sur les femmes pachtounes au Pakistan.
Le Visa d’or News est allé à Eric Bouvet pour sa couverture de la prise de la caserne Bab Al-Azizia à Tripoli pendant la guerre en Libye. Un reportage publié par le Figaro Magazine récompensé par un Visa d’or parrainé par Paris Match dans un jury où il y avait Marc Simon de VSD… Comme quoi, finalement en cette période de crise, de conflits et de guerres, les hommes peuvent encore s’entendre sur l’impérieuse nécessité de témoigner.
Rendez-vous l’an prochain pour les 25 ans de Visa pour l’image.
Dernière révision le 3 avril 2024 à 5:31 pm GMT+0100 par la rédaction
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