« J’aime bien me sentir utile et être là où les confrères ne sont pas. » dit James de Caupenne-Keogh en souriant. Le prix du jeune reporter au dernier Scoop de Lille (France) est ambitieux, modeste et organisé.
Le Soudan, il le sait inaccessible par le Nord, il va passer par le Sud ,et séjourner six jours dans les Monts Nouba, dans la province du Kordofan du Sud.
« C’est un décor de fin du monde cerné par la plaine aride et les collines de pierre. À perte de vue, des murs éventrés, des vestiges criblés d’impacts, des maisons dévastées, des débris métalliques. Tous les bâtiments sans exception tombent en ruine. Au milieu des décombres, il n’y a pas le moindre signe de vie. On cherche un habit déchiré, une chaise cassée, un outil rouillé, bref, n’importe quel objet qui rappellerait l’existence d’une communauté paysanne. »
« On ne trouve rien. Le village de Buram a été rayé de la carte de la province soudanaise du Kordofan du Sud. » écrit en juin dernier, à leur retour, son confrère et compagnon de route, Olivier Tallès dans La Croix
« Les Nouba sont un peuple fier. » dit gravement James de Caupenne-Keogh . Les Nouba, ce sont ces guerriers magnifiques que Leni Riefenstahl a photographiés au siècle dernier pour mettre en évidence leur beauté corporelle. Au grand dam de Susan Sontag qui l’attaqua dans un article fameux du New Yorker pour sa collaboration avec les nazis.
Médecins sans Frontières sonne l’alerte
Près d’un demi-siècle plus tard, James de Caupenne-Keogh est frappé par la tragédie que vit ce peuple du fait du conflit entre le Nord et le Sud Soudan.
« Les familles que j’ai rencontrées dans les Monts Nouba vivaient dans des cavernes et n’avaient mangé que des feuilles depuis déjà pas mal de temps. Pour les Nouba, quitter sa terre c’est déchoir. Ils restent là tant qu’ils le peuvent ou se mettent en route pour une longue marche vers le camp de réfugiés de Yida, plus au Sud.
« Plus de 170 000 personnes ont fui les combats qui ont éclaté à l’été 2011 entre forces de Khartoum et rebelles, dans les régions frontalières entre Soudan et Soudan du Sud. Quelque 55 000 réfugiés (dont 22 % d’enfants de moins de 5 ans) s’entassent dans le camp de Yida, au Soudan du Sud, où sévit une forte mortalité » a indiqué Médecins Sans Frontières, début août, dans un communiqué de presse.
« La population de ce camp, prévu pour accueillir 15 000 personnes, a plus que triplé depuis février. Les réfugiés ont fui les monts Nouba et le Kordofan du Sud, le manque de nourriture et les bombardements », a déclaré au quotidien Ouest-France, André Heller-Pérache, chef de mission de MSF au Soudan du Sud.
Making off du reportage
« J’ai constaté qu’il n’y avait pas beaucoup d’informations sur le Sud Soudan, que peu de journalistes allaient sur place. Comme la France n’a pas de passé colonial fort avec le Soudan, la presse française s’y intéresse peu. Les anglo-saxons sont plus présents. »
« J’ai commencé à passer des coups de fil et très vite j’ai rencontré un chercheur qui m’a mis en contact avec un relais de la rébellion en France. A partir du moment où j’ai pu discuter par Skype, ou par courriel, avec un représentant de la rébellion là-bas, j’ai très vite obtenu leur accord pour avoir une voiture et une escorte pour passer illégalement la frontière et aller dans le Mont Nouba. J’avais ça… Et l’accord de mon agence. J’ai donc averti des rédactions françaises de mon projet. »
« La Croix m’a répondu en me mettant en contact avec Olivier Tallès qui avait le même projet. Spécialiste des questions humanitaires, il est connu des ONG sur le terrain. »
« Nos contacts étant complémentaires, nous avons décidé de partir ensemble et de partager les frais. Moi j’avais la promesse de la voiture des rebelles qui m’attendait au camp de Yida, ce qui est capital là-bas, car il faut faire de la piste et il y a une pénurie d’essence. J’ai vu des confrères qui attendaient depuis une semaine pour avoir une voiture… ».
« Olivier Tallès avait la possibilité de prendre un avion affrété par MSF pour aller au camp de Yida, ce qui facilitait grandement notre reportage. Il n’y a évidemment pas de vol commercial vers le camp de réfugiés. Le plus proche aéroport est à Bentiou. De là il faut trouver une voiture… J’avais lu une interview de Dominic Nahr de Magnum où il disait avoir perdu du temps sur ce trajet. »
« Nous avons eu beaucoup de chance côté logistique. Nous ne sommes restés qu’une journée au camp de réfugiés. On a pu filer très vite vers les Monts Nouba pour aller à la rencontre des populations. »
« Nous avons également pu nous rendre dans le seul hôpital de cette région qui est tenu depuis 2008 par un médecin américain d’une ONG catholique. C’est le seul médecin sur place. Il soigne tout : les maladies, la famine et les blessés de guerre… Enfin, il fait ce qu’il peut avec très peu. »
« Les bombardiers Antonov lâchent des bombes qui ont le même effet que le napalm. Les rares fois où j’ai vu des victimes, c’étaient des cadavres. Là, dans cet hôpital, il y avait des vivants mais tellement grièvement brûlés qu’on ne peut que s’interroger sur leur avenir. »
Et côté publications, au retour ?
« La Croix m’a fait de belles parutions sur le papier et sur le web. Après j’ai fait des propositions à plusieurs magazines dont Paris Match, mais je n’ai pas eu de réponse. Polka était intéressé mais voulait que j’y retourne… Le problème c’est qu’avec la saison des pluies les pistes sont impraticables depuis le Sud. Et par le Nord, les autorités ne donnent pas de visa ! »
« Ce qu’a fait La Croix est très bien et très satisfaisant. J’ai le sentiment que le témoignage est passé. La catastrophe humanitaire a été annoncée. J’ai fait mon travail. »
Et financièrement ?
Nous avions fait un budget de 2000 euros pour la logistique sur place sans compter les 800 euros du billet d’avion que l’agence Wostok a pris en charge pour la moitié, ainsi qu’une partie. Je dois dire que Frank Medan, le directeur de l’agence, fait le maximum d’efforts pour que nous puissions partir en reportage. Et puis les frais se sont révélés un peu moins onéreux que les prévisions. Donc, actuellement je pense être rentré dans mes frais, et peut-être avoir fait un bénéfice de 500 euros… Mais bon, comme les confrères, je ne fais pas ça pour l’argent.»
Michel PuechDernière révision le 3 mars 2024 à 7:22 pm GMT+0100 par Michel Puech
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