A 26 ans à peine, Ed Ou est l’étoile filante de l’écurie « Reportage by Getty Images ». Il vient de remporter le Prix du jeune reporter décerné par le jury de la 19ème édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre présidé par Gilles Peress de l’agence Magnum.
Article publié dans Le Journal de la Photographie et dans le Club Mediapart, le 18 octobre 2012
Cette année, il a déjà été selectionné par le programme TED. En 2011, à Amsterdam, le World Press Photo l’avait mis dans la lumière ainsi que Visa pour l’image à Perpignan. C’est à cette occasion qu’a été réalisé la courte interview que vous pouvez lire ci-dessous.
Michel Puech : Comment avez-vous découvert la photographie ?
Ed Ou : Dans mon enfance, la photographie a toujours été pour moi un passe-temps. J’ai beaucoup de chance d’avoir grandi dans cette époque numérique. Je suis un produit collatéral des nouvelles technologies. Avec les appareils numériques on peut prendre autant de photos que l’on veut sans gâcher de pellicules. Sans le numérique, je ne pense pas que j’aurais commencé à photographier…
MP : Où êtes vous né ?
EO : Je suis né en 1986 à Taiwan et quand j’avais deux ans mes parents ont émigré au Canada et c’est là que j’ai grandi.
MP : Vous êtes très jeune !
EO : Je n’ai pas de point de comparaison !
MP : A quel moment avez-vous l’idée de débuter professionnellement ?
EO : J’ai commencé alors que j’étais encore à l’université où j’étudiais la politique internationale, les relations internationales et l’arabe. C’était une période très tourmentée au Moyen-Orient et j’ai décidé de me concentrer sur cette zone là. En tant qu’étudiant, j’ai voyagé en Palestine, en Jordanie, en Israël et au Liban. C’était une période très mouvementée pour la région, particulièrement à Gaza. Et puis il y a eu la guerre au sud Liban…
En fait, c’est pendant la guerre du Liban que j’ai commencé à photographier plus professionnellement. J’ai débuté avec les agences « wired » (ndlr : télégraphiques) Associated Press et Reuters auxquelles je proposais mes photos. J’envoyais mes images dans ces machines de presse… C’était pour moi une autre façon d’étudier, car je voulais comparer la réalité avec mes connaissances universitaires. J’avais noté une différence entre les études et la réalité du terrain. Je voulais vérifier cette différence et voir comment je pouvais me situer. C’est ce qui m’a amené à photographier.
MP : Qu’avez-vous fait pour ces agences ?
EO : J’ai commencé avec un stage, en 2006, pour travailler sur le Moyen-Orient pour Associated Press et dans le même temps, je suis devenu « stringer » pour Reuters en Somalie et au Soudan. A l’époque je réagissais aux évènements du jour. Mais je devais jongler entre mon travail de « stringer » et mes études. Il fallait que je finisse mes études pour avoir un diplôme.
MP : Et à ce moment là, comment vous êtes-vous financé ?
EO : En fait, j’étais déjà au Moyen-Orient avec une bourse d’étudiant. Une fois sur place, c’est plus simple et puis je vivais comme un jeune. C’est drôle mais vous savez, j’avais une mentalité de jeune globe-trotter, donc je vivais avec peu. Je logeais dans les auberges de jeunesse, je prenais des bus pendant quinze heures au lieu de faire deux heures d’avion. Car en fait avec Associated Press et Reuters je ne gagnais pas grand-chose, mais ça me permettait de payer mes chambres et mes tickets de bus.
Et puis, j’ai eu beaucoup de chance avec Associated Press, Reuters et surtout Getty Images, car ils ont investi dans mes projets. J’ai eu cette chance que des agences croient en mon travail et me fassent confiance.
MP : Comment en êtes-vous venu à travailler avec Getty Images ?
EO : Pendant que je travaillais pour Associated Press et Reuters, c’était une période vraiment très difficile pour le journalisme. C’était le début de la crise de 2008, personne n’embauchait. Je suis parti à New York pour participer à une remise de prix au PDN 30 et j’ai rencontré des gens de Getty Images qui ont regardé mon portfolio. Getty Images m’a donné une bourse et puis une chose en a entraîné une autre…
MP : Vos premières récompenses professionnelles ?
EO : C’est difficile à dire… Le premier c’est le PDN 30, j’avais 21 ans. Ensuite pour mon travail en Palestine et au Moyen-Orient j’ai eu le prix étudiant de Overseas Press Club of America … Mais c’était un prix pour étudiant. Ensuite j’ai eu la bourse POYi et la bourse Grant Getty qui m’ont permis de financer certains de mes projets.
MP : Et vous avez obtenu également obtenu deux récompenses au World press de cette année : la première place pour le « Contemporary Issues : Stories » et la seconde pour l’image isolée d’actualité…
EO : Ouiiiii… J’ai reçu le World Press, le prix POI, l’ADDY. Mais vous savez c’est étrange les prix… C’est un peu mystérieux. On ne s’y attend pas. Pour le prix de la Ville de Perpignan, je n’étais même pas candidat. J’ai reçu un coup de fil de Jean-François Leroy… Mais vous savez pour moi ce qui compte le plus ce ne sont pas les prix, c’est de beaucoup travailler et surtout de publier aussi vite que possible. Evidemment les prix sont une reconnaissance professionnelle donc c’est vraiment intéressant d’en recevoir. Et puis, en plus, ça permet de financer d’autres projets.
MP : Vos premières publications…
EO : Je suis vraiment chanceux car Getty images sait vendre les images. Ils savent trouver le marché. Ils savent trouver l’argent. J’ai été vraiment gâté par Getty images car ils travaillent dans le monde entier. C’est grâce à la force de leur marque, à la qualité de leur édition que j’ai pu voir mes reportages publiés rapidement. Récemment, j’ai commencé une collaboration avec le New York Time.
MP : Où vivez-vous habituellement ? Où êtes-vous basé ?
EO : Je vis nulle part. C’est difficile à comprendre quand on ne fait pas ce métier… Mais je travaille souvent au Moyen-Orient, surtout cette année avec le « printemps arabe ». Et puis, depuis trois à quatre ans, je vais régulièrement en Afrique de l’Est… Alors je ne vois pas l’intérêt de payer un loyer quelque part. J’aurais beaucoup de soucis si j’avais des charges pour un appartement où je ne passerais pas beaucoup de temps.
Vous savez, j’ai vraiment de la chance. Je travaille pour le New York Time qui a des bureaux partout : à Nairobi, au Caire, à Jérusalem… A Nairobi cette année, j’ai passé quatre mois et toutes mes affaires personnelles sont là-bas en ce moment… Les journalistes du NYT sont très généreux. Le journalisme est un petit milieu, tout le monde se connait, et je trouve toujours un canapé pour dormir… Quand ce n’est pas le cas, je dors dans les aéroports, les gares, les stations de bus… Cela tient aussi à la façon dont je suis entré dans cette profession. J’ai conservé cet esprit de jeune globe-trotter. J’imagine qu’à l’ avenir je devrais avoir un « chez moi », mais pour le moment je n’en vois pas l’intérêt.
Michel PuechDernière révision le 12 mars 2024 à 12:10 pm GMT+0100 par Michel Puech
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