Comme Tintin, Doisneau a été accommodé un peu à toutes les sauces de l’édition : au pays des physiciens, en Alsace, chez les américains, dans les Alpes etc. Cet automne, surgit un petit livre sans prétention où le « petit homme » se déguste à la meilleure des recettes, celle de l’amitié.
Article publié dans Le Journal de la Photographie le lundi 26 novembre 2012
« Inutile de raconter sa vie : il suffit de regarder ses photos pour l’aimer. Et puis cet homme, qui est le contemporain, l’égal, le semblable des inconnus qu’il apprécie ou déteste mais aime photographier, n’est pas un inconnu. Célèbre en Angleterre ou aux Etats-Unis autant sans doute qu’en France, il est certainement mieux perçu là-bas qu’ici où l’on a tendance à réduire ses images à l’anecdote, à les enfermer dans le pittoresque. » C’est par ces mots prémonitoires que le numéro 34 (Janvier/Février 1976) de ZOOM annonce le portfolio consacré à Robert Doisneau, préfacé par Jacques Prévert et enrichi d’une interview du rédacteur en chef de la revue, André Pozner. Ce dernier est l’auteur de « Robert Doisneau, comme un barbare.. » publié cet automne aux Editions Lux.
Pour du luxe, ce petit livre, l’est. A l’heure où les éditeurs sortent leurs pavés de Noël aussi chers qu’encombrants, difficiles à consulter et encore plus à lire, le fascicule bon marché d’André Pozner vous réconcilie avec la librairie. Je dis fascicule, non pour minimiser le livre, mais pour souligner la facilité de lecture et l’ironie qui pointe à chaque ligne le ridicule. Et puis, l’ouvrage… ça vous colle un poids incompatible avec ce livre, libre !
« Le charmant Doisneau, le doux, l’amusant, le plaisant, le divertissant. Non mais, ils ont les yeux en face des trous, mes contemporains qui le voient ainsi ? La banlieue avec ses banlieusards, autant de son temps que du temps maintenant, son ciel plus qu’ailleurs, ses chômeurs plus nombreux, ses maisons plus lézardées, ses bruits plus bruyants, ses gosses plus mal nourris, plus privés de vacances, de santé, mais c’est cela qu’il a photographié, Doisneau, dès qu’il avait un moment, entre deux commandes, oui chef, et s’il n’avait pas le temps, il le prenait, c’était même une de ses spécialités, il avait à peu près débuté comme ça dans la vie dite professionnelle, en se faisant foutre à la porte de chez Renault pour retards répétés ! »
Voilà résumé par ce paragraphe la colère amusée qui pousse « Monsieur André », c’est ainsi que Doisneau appelle l’auteur, à republier cette interview de 1975 et à raconter quelques moments partagés avec son ami Jacques Prévert et le photographe aujourd’hui « maître de l’humanisme ».
« Pour ce qui est de l’humanisme dont on a affublé ses photos, je sais qu’il souscrivait à la boutade de Prévert, qui le faisait rire : « L’humanisme, c’est comme les sacrifices humains, c’est humain. Moi, ça ne m’intéresse pas l’Homme. Ce qui m’intéresse, ce que j’aime, ce sont les femmes, les enfants, les hommes. Mais l’Homme, l’Homme, l’Homme ! »
Quand on a de tels amis, on ne peut pas être triste ! Aussi ne cesse-t-on de sourire en lisant, en parcourant – en courant à travers – les 132 pages de ces courtes mémoires d’un passant qui a croisé deux marcheurs de Paris. Sonnez trompettes, cors et durillons !
« Le réveille-matin, quand on le démonte, ne donne plus l’heure ! »
Et puis, du coup, j’ai attrapé ce numéro de ZOOM qui se trouve, grâce à l’amitié, dans ma bibliothèque. Comme le raconte André Pozner, la couverture est affriolante, une photo de Jacques Bourboulon.
Joël Laroche, le directeur gérant, « …/… comptait pour faire vendre sur ce qu’on appelait ingénument la photo de charme, c’est-à-dire la photo de nu, sinon de cul ; et pour de vrai, il adorait ça, les diapos déshabillées, on en recevait plein à la rédaction, il venait parfois les reluquer sur ma table lumière, je le virais de mon bureau, j’étais un jeune homme intransigeant. »
L’époque était ce mélange de liberté et de frustration, où pouvaient cohabiter – comme aujourd’hui dans Le Journal de la Photographie – de très jeunes femmes dévêtues avec des photographies des Halles de Paris de Robert Doisneau, ou les photos de plateau d’une Dominique Issermann sur Vices privés, un film de Miklos Jancso. Le tout entrelardé par les publicités des briquets Cartier ou celles de la gamme Pentax et du Canon EF. Nostalgie argentique.
« Mais quand il s’est agi de donner un coup de bélier en faveur de Doisneau, pas la moindre tergiversation : l’unanimité…/… Contrairement à ce qu’on imagine aujourd’hui, il (Robert Doisneau) courait après les commandes. »
Alors nait ce portfolio dans Zoom et cette interview où l’on découvre – ou redécouvre – ce paragraphe à méditer. C’est Doisneau qui parle :
« Mais j’ai peur que ces festivals, ces rencontres, ces congrès tournent trop à l’analyse. Le réveille-matin, quand on le démonte, ne donne plus l’heure ! Pour moi, ça devient gênant : on m’oblige à m’analyser, à me couper en morceaux, à mettre mes organes dans un bocal et à les contempler. Il y a des moments où l’on travaille comme un barbare, avec un besoin quasi animal de faire des choses, sans raison. Ce sont des moments de grande créativité, comme on dit. »
Alors oui, « Monsieur André » fait bien de nous parler d’un vrai Doisneau, bien vivant, bien présent sous ses mots. Merci. Nous avions bien besoin d’un petit coup d’air frais printanier dans ce glauque automne parisien.
« Gentil Doisneau de Gentilly,
dans la banlieue sud de Paris.
On dirait une chansonnette.
Gentil ? Mauvais garçon aussi, un humour cinglant par talent de langage, planqué à l’abri du pittoresque qui aide à « faire passer ». Faire passer la révolte, faire passer l’insolence, la colère, l’appel des chemins de traverse, le hors-piste urbain, le grand air de la liberté. »
Michel Puech
Robert Doisneau, comme un barbare
Lux Editions
136 pages
ISBN-13: 978-2895961475
14,00 €Dernière révision le 12 mars 2024 à 12:10 pm GMT+0100 par Michel Puech
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