Lundi 21 janvier 2013, Maître Poli, administratrice judiciaire, aura sur son bureau les propositions des candidats à la reprise de l’agence Sipa press, en redressement judicaire depuis le 6 décembre 2012. De la qualité de ces offres dépendra l’avenir de l’agence. Update du mardi 22 janvier: 6 dossiers auraient été déposés chez l’admnistratrice judiciaire.
Article publié vendredi 18 janvier 2013 dans Le Journal de la Photographie
Depuis la fin décembre 2012, une vingtaine d’avocats et/ou de sociétés ont demandé communication du dossier à Maître Poli, administratrice judiciaire « chargée d’une mission d’assistance » dans le cadre du redressement judiciaire.
Une « situation effrayante »
Selon les déclarations légales au Tribunal de Commerce de Paris, le chiffre d’affaires 2011 de Sipa press est de 9 613 k€ avec soixante dix huit salariés. La perte déclarée est de 5 962 k€ soit le double de 2010, année où il y avait encore quatre-vingt-quinze salariés. La reprise de Sipa press, détenue par Sud Communication (Groupe Pierre Fabre), par DAPD Media Holding AG, a été l’occasion d’un plan de licenciement qui a ramené les effectifs à soixante-et-un salariés dont huit photographes. Mais la désorganisation introduite par les discours « va-t-en guerre » des investisseurs allemands et la déconfiture de leur projet d’agence texte et photo pour concurrencer l’AFP, baptisé Sipa News, aura certainement eu un impact négatif sur le chiffre d’affaires 2012.
Arrivé en juillet 2012 à la tête des différentes sociétés reprises ou créées par les deux investisseurs allemands de DAPD, Olivier Mégean s’est trouvé confronté dès le mois d’octobre dernier à leur disparition. En fait, les deux compères venaient de déposer le bilan à Berlin de huit de leurs sociétés constituant la holding DAPD. Aujourd’hui la DAPD Media Holding rebaptisée HQTA n’aurait plus aucun lien avec Sipa press…
En démissionnant de leurs mandats et de leurs engagements, les investisseurs allemands ont conduit Sipa press à une cessation de paiement en date du 22 novembre 2012. Alors qu’il liquidait les deux sociétés Sipa News et FLS France, le Tribunal de commerce a placé l’agence photo en redressement judiciaire le 6 décembre 2012 avec une période d’observation de trois mois, soit jusqu’au 6 mars 2013. Mais cette date est virtuelle, car pour aller jusque là, encore faut-il que Sipa press puisse faire face à ses engagements, notamment payer ses salariés !
Il faut donc aller le plus vite possible. Maître Poli, administratrice judiciaire, a fixé au 21 janvier 2013 la « deadline » pour que les repreneurs se manifestent alors que les dossiers leur sont parvenus à la toute fin décembre 2012.
Qui peut sauver Sipa press ?
Comme nous l’avions indiqué dans un précédent article en date du 6 décembre 2012, parmi les potentiels candidats se trouveraient des hommes déjà présents début 2010 lors du redressement judiciaire du Groupe Eyedea (Gamma, Rapho, Keystone etc.) : Jean-Michel Psaïla et Bruno Cassajus de l’agence Abaca, François Lochon de Gamma-Rapho, Frank Ulmann de Verdoso Media et Philippe Bigart. Bertrand Eveno, ancien directeur d’Hachette Filippachi Photo s’est éloigné du monde des agences photo.
François Lochon, qui avait, en avril 2010, magistralement repris les actifs d’Eyedea, est tenté par la synergie des archives de Gamma avec celles de Sipa mais il ne semble pas en mesure de réunir seul les fonds nécessaires estimés selon plusieurs sources « au minimum à 1,5 millions d’euros ».
Une somme trop importante pour le propriétaire de Gamma-Rapho, qui s’il affirme pouvoir présenter un bilan équilibré sur l’exercice 2012, n’a pas atteint cet objectif avec le premier exercice (avril 2010-décembre 2011). Il a accusé une perte de 596 k€ pour 5 656 k€ de chiffre d’affaires. François Lochon ne semble pas décidé à remettre seul la main à la poche pour sauver Sipa press, même si sa situation financière personnelle est confortable.
Chez Abaca, l’hésitation est également très grande (MAJ 18/01/13: Abaca ne sera pas candidat) . Avec un bénéfice de 38 k€ pour un chiffre d’affaires 2011 de 6 536 k€, l’agence ne peut pas investir la totalité des sommes nécessaires à la reprise de Sipa press. Il lui faudrait également trouver un associé financier pour réaliser l’opération. Une proposition Abaca+Gamma-Rapho+Bigart semblait encore possible la semaine dernière, mais Philippe Bigart disposé dans un premier temps a mettre 1M€ dans l’affaire dit avoir renoncer.
« Nous n’avons pas étudié le dossier » me déclare Franck Ulmann de Verdoso Media, malgré les rumeurs persistantes concernant un possible partenariat avec l’agence KCS Press dont les trois dernier exercices (2010, 2009 et 2008) montrent un chiffre d’affaires autour de 3 m€ et des bénéfices de l’ordre de 200 k€. « Nous avons eu le dossier très tard, et cette affaire n’est pas simple » précise David Ker, son directeur, qui ajoute : « Oui, nous l’étudions mais il est encore trop tôt pour vous dire si nous allons faire une offre. »
Michel Chicheportiche, directeur de la nouvelle agence News pictures et ancien « vendeur » historique de Sipa press a, lui aussi, demandé un dossier. « Mais c’est au-dessus de mes moyens » confie-t-il, avant d’ajouter « Evidemment, je suis prêt à aider Sipa, dans le cadre de mes compétences. »
L’Agence France Presse aurait également demandé à participer à la « data room »… Même si l’on peut imaginer que l’AFP a, un temps, été effrayée par la perspective d’une concurrence du projet Sipa News, frayeur confirmée par la baisse de certains de ses tarifs, il parait assez invraisemblable que l’agence de la place de la Bourse se lance dans une opération de reprise de Sipa press.
Chez Getty images, « no comment » comme d’habitude. Il est vraisemblable qu’ils aient demandé également un dossier pour voir… « Nous suivons toutes les évolutions du marché dans tous les pays » dit-on laconiquement au bureau parisien.
Quant aux « agents historiques » de Sipa press, Rex Feature Ltd de Londres, Isopix de Bruxelles ou Scanpix de Stockholm, leur présence pouvait avoir un sens dans une proposition amenée par l’historique directeur général adjoint de Sipa press, Mete Zhinoglu. Mais à la suite de confidences maladroites sur son intention de ne pas reprendre de photographes, ce dernier se verrait, contre toute logique, assimilé à un « dirigeant de fait ». Situation qui lui interdit d’être candidat à une reprise de l’agence dans laquelle il travaille depuis son plus jeune âge et, dont il connait tous les rouages et les secrets.
Dans la profession, les rumeurs vont bon train, car Sipa fut une étoile du photojournalisme français du XXème siècle. Bernard Tapie se cacherait derrière un avocat, un ou deux chinois seraient en course… Le nom de Xavier Niel de l’opérateur de télécoms Free est également avancé. On ne prête qu’aux riches !
Une chose est certaine, personne, à ce jour, ne nous a confirmé son réel intérêt pour la reprise de Sipa press alors que les propositions doivent parvenir à Maître Poli ce lundi !
L’hypothèse d’une liquidation pure et simple de l’agence fondée en 1973 par Göksin Sipahioglu ne peut être écartée, avec pour conséquence le licenciement des soixante-et-un salariés (dont 6 protégés par des mandats sociaux) et la possible déshérence d’un fonds photographique de plusieurs millions d’images représentant cinquante ans d’histoire mondiale.
Dans ce cas, c’est à Maître Gorrias, mandataire judiciaire, que reviendrait la mission de trouver un acquéreur pour les tables, les ordinateurs et les 14 millions de photographies rangées dans d’innombrables classeurs dans les sous-sols du boulevard Murat…
Or, fait quelque peu inquiétant, Maître Gorrias a toujours sur les bras, si je puis dire, faute de repreneur, une partie non négligeable du fonds photographique de l’agence Sygma, suite au dépôt de bilan de Corbis Sygma le 25 mai 2010.
Ce stock ayant été soigneusement trié par Corbis qui a fait signer des contrats avec Corbis US aux meilleurs photographes de l’agence créée par Hubert Henrotte. On ne sait pas exactement ce qui reste dans le « bunker» de Normandie… Une chose est certaine, les photographes, faute d’avoir revendiqué leur droit à la propriété des films, ne peuvent plus aujourd’hui prétendre légalement en être propriétaires. Une leçon pour les photojournalistes de Sipa.
Sans la plainte au pénal, pour « délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, abus de bien social et abus de confiance », déposée en décembre 2011 par cinq photographes de Sygma contre Corbis, plainte instruite depuis juin 2012 par le juge Renaud Van Ruymbeke, ce fonds ne serait peut-être plus aussi soigneusement entreposé.
Les fonds de Sipa press, qui comprennent, outre les images des photographes salariés et des innombrables pigistes, les archives de l’agence Delmas, d’Eclair Film et de quelques autres anciennes agences, dormiront-ils, eux aussi, des années dans un entrepôt avant d’être bradés ou détruits ? Le risque est bel et bien là et ne peut aujourd’hui être sous-estimé.
Quelle protection pour les photographes ?
Mercredi 9 janvier 2013 à 19h, à Paris, dans les locaux de l’Union des Photographes Professionnels (UPP), une trentaine de photographes salariés ou collaborateurs occasionnels de Sipa press se sont réunis pour entendre les conseils de Maître Jean-Louis Lagarde, avocat de plusieurs photographes de l’agence Sipa et de Michel Diard, du syndicat des journalistes (SNJ-CGT).
« Pour vous photographes, l’important ce sont vos archives qui se décomposent entre vos images argentiques et vos images numériques. » explique Maître Lagarde. « Pour les images numériques, j’imagine que vous avez des copies des fichiers, car il n’y a pas d’originaux dans cette technique ; par contre j’attire votre attention sur vos archives argentiques. »
« Ces supports doivent être revendiqués. La loi est très stricte. A compter de la publication du redressement judiciaire de Sipa press au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) – pour Sipa press en date du 3 janvier 2013 – vous avez deux délais qui courent. L’un, c’est le délai pour déclarer votre créance : Sipa vous doit telle somme à la date de la cessation de paiement (22 novembre 2012). Cette revendication ne devrait pas poser de problème. Normalement on va vous écrire pour vous dire de le faire. »
« Par contre, personne ne va vous parler de vos droits de propriété sur les films argentiques et c’est très important pour vous lorsque vous voudrez réclamer vos films et vos diapositives. »
« Pour revendiquer vos droits de propriété sur les supports, vous avez trois mois pour écrire à l’administratrice judiciaire Maître Poli en mentionnant avec le maximum de précisions les reportages que vous avez effectués et le nombre d’images. »
« Si vous ne le faites pas, vous êtes exproprié. C’est un cas rarissime en droit français, mais c’est la loi en cas de faillite. A compter de votre revendication, l’administrateur judiciaire a un mois pour acquiescer à votre demande. S’il répond que vous n’êtes pas propriétaire de vos photos, vous avez un mois pour saisir Dominique Alduy, la juge commissaire. Et là, on ne peut pas s’opposer à votre revendication. »
Revendiquer la propriété des supports de ses images, ne signifie pas les sortir des archives de Sipa press. Bien peu de photographes en ont l’intention, si l’agence continue à vivre. Qu’en feraient-ils ? Aujourd’hui, aucune agence de photo n’accepte des fonds non numérisés car la numérisation et l’indexation des photos coûtent trop cher. Dès lors, tous ont un intérêt à poursuivre leur activité avec un repreneur, pour autant que leurs droits soient reconnus et la diffusion de leurs images assurée.
Aujourd’hui toute la profession est émue par une éventuelle disparition de Sipa press, mais comme on le sait, les sentiments et la nostalgie, n’ont pas leur place dans les comptes d’exploitation.
Michel Puech
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Dernière révision le 26 mars 2024 à 4:51 pm GMT+0100 par
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