En dépit des difficultés économiques que subit la profession, ils étaient plus de deux cents à répondre à l’appel de leur Union professionnelle (UPP), ce samedi 26 janvier 2013 à l’Espace Pierre Cardin. Une occasion de faire le point et d’écouter les parcours de Sébastien Calvet et d’Eric Bouvet.
Article publié dans le Club Mediapart le mercredi 30 janvier 2013
« Le nombre des photographes adhérents qui soutiennent l’Union des Photographes Professionnels (UPP) reste stable malgré les difficultés de la profession » précise Philippe Schlienger, président de l’association. Malheureusement, au vu de la salle, où les têtes blanches dominaient, on ne peut que constater la faible présence de la jeune génération.
Le phénomène n’est pas propre à la photographie. Dans nombre d’associations et de syndicats, voire de manifestations, les têtes blanches sont majoritaires. Pourtant l’UPP dispose d’un site web fort utile pour qui démarre dans le métier. De même, nombre d’adhérents sont actifs sur les différents réseaux sociaux. Il n’empêche, la moyenne d’âge était plus près de la cinquantaine que de la trentaine.
Pourtant, l’UPP est présente sur beaucoup de terrains
A l’international, les interventions de l’association française sont très appréciées notamment au Center of the Picture Industry (CEPIC). D’ailleurs lors du prochain congrès, à Barcelone en 2013, l’UPP est invitée à organiser le Photographer Centric Day, un temps fort.
L’organisation professionnelle est également très active auprès du Ministère français de la Culture et de la Communication avec lequel elle se bat pour faire adopter des propositions de lois concernant notamment les « œuvres orphelines » et les photos dites « libres de droit ». Elle mène également des discussions souvent animées avec les représentants des éditeurs et des agences de presse pour faire valoir les droits des photographes et leurs rémunérations.
Le congrès de l’UPP est également l’occasion pour de nombreux photographes travaillant en région de s’informer. Un espace Partenaires réunissait des sociétés comme Canon, Nikon, Fuji, Leica et des associations ou organisations professionnelles voisines comme l’Association Nationale des Iconographes (ANI).
Des débats utiles et deux interventions passionnantes
Le congrès de l’UPP est aussi un lieu d’échanges et de débats. L’après-midi y était entièrement consacré avec un bon programme.
Si la table ronde « Photographie et pouvoir : information versus communication » a souffert de l’absence de Dominique Wolton, directeur de l’Institut des Sciences et de la Communication du CNRS qui aurait pu cerner les débats, celle sur « La photographie dans la tourmente des images » a bénéficié du recadrage historique d’André Rouillé, historien et professeur à l’université Paris VII. Dimitri Beck de Polka magazine apportait lui le point de vue d’un utilisateur et d’un observateur attentif du métier. Xavier Soule, PDG de l’agence Vu’ et de la galerie éponyme, a apporté un précieux savoir lié à sa connaissance de la profession mis en perspective par des visions non conformistes de l’acte photographique.
« Garder son fil rouge sur le cadrage » Sébastien Calvet
Pour autant, c’est le croisement des expériences de deux photographes qui a le plus passionné l’auditoire. L’après-midi a été ouvert par Sébastien Calvet, collaborateur régulier du journal Libération, qui a présenté « La politique est un théâtre », une compilation intelligemment commentée de ses reportages d’actualité pour le quotidien de la rue Béranger.
Sébastien Calvet est assez représentatif d’une nouvelle génération de photoreporter. Comme de nombreux photographes, il a suivi des cours dans des écoles. Un cursus qui était rare à l’époque du fameux « âge d’or du photojournalisme ». Sébastien Calvet a étudié le cinéma, puis la photographie à l’école d’Arles. Il a donc un sérieux bagage tant technique qu’esthétique.
Même s’il se qualifie de « soutier de l’information », puisque pour Libération il a « couvert » des conseils des ministres, des remises de rapport, des conférences de presse, il va y chercher le petit détail, l’attitude qui va « faire la photo ». Bref, il cherche à faire la « bonne » image. De plus, il en parle bien. Ecoutez ces propos dans la vidéo en ligne, voilà un photographe qui sait parler de son travail. Il sait aussi écrire, et je vous engage à lire son blog.
Ce qui m’a le plus frappé dans son discours, c’est la volonté d’avoir une écriture personnelle… Et c’est peut-être ce qui a vraiment changé dans le photoreportage d’aujourd’hui. Il y a quelques décennies, les photographes – qu’on n’appelait pas encore photojournaliste – avait une obsession : être là et capturer l’évènement.
En écoutant Sébastien Calvet, je repensais à un reportage que j’ai fait en 1974. Je « suivais » Nixon, lors de l’enterrement de Georges Pompidou. Nous étions alors au maximum une vingtaine de photographes à essayer de « faire une plaque »….
Aujourd’hui, sur ce type d’évènement, il peut y avoir plus de cent photographes, des dizaines de reporters radio et texte, sans oublier la cohorte des télévisions dont une bonne partie diffuse en direct « imposant à tous un rythme infernal » !
On comprend alors qu’il ne s’agit plus simplement de photographier « l’évènement » mais qu’il faut en plus l’écrire avec un regard particulier, avec une esthétique personnelle. Ce que fait magnifiquement Sébastien Calvet.
A l’issue de l’intervention de Sébastien Calvet, je m’interroge : est-ce l’arrivée du numérique qui a bouleversé la profession, ou la multiplication des reporters et des médias ?
« Je n’ai jamais été aussi heureux d’être photographe » Eric Bouvet
La clôture de la journée est revenue à Eric Bouvet pour une rétrospective autocritique de plus de trente ans de métier.
Qualifié de « rebelle » et de « cabochard » par ses professeurs, le jeune Eric Bouvet a été marqué par l’alunissage des astronautes américains en juillet 1969. « C’était une image tremblante en noir et blanc… Et c’est peut-être cette image qui a influencé ma vie ».
Dans les années 1980, il devient photographe à l’agence Gamma et saute d’avion en avion pour capturer l’actualité. « On se trimballait avec quatre boitiers, deux pour le N&B, deux pour la couleur, plus les flashs.. » Dans les années 1990, il quitte les « diapos » pour le film négatif couleur puis arrive le numérique. Aujourd’hui, il revient au film en travaillant avec des moyens formats. « C’est dire que le poids de mon sac n’a pas diminué » ironise-t-il. L’Iran, le Liban, la Tchétchénie… Eric Bouvet est ce qu’on appelle un grand reporter pourtant il reste d’une modestie à toute épreuve, même si elle se cache parfois derrière beaucoup de mots. Il dit, par exemple, ne pas avoir d’écriture photographique, mais des écritures…
A la cinquantaine, il fut, comme beaucoup de ses confrères, totalement déstabilisé par l’arrivée de la photo numérique, le déclin des agences de presse traditionnelles et la diffusion via Internet… Il faut savoir que les photographes de sa génération ont vu leurs revenus divisés par trois ou quatre en quelques années ! A Gamma, à Sipa, à Sygma, ils vivaient comme des stars. Un jour ici, le lendemain à l’autre bout du monde. Vivant sur les frais de reportages et expédiant leur film grâce à des passagers ravis de prendre en charge leur travail…
Quand éclatent les « printemps arabes », ils sont très peu nombreux à obtenir des garanties de magazines pour partir en Tunisie, en Lybie, en Egypte… Et sur place, il découvre des dizaines de jeunes photographes qui ont sauté, à leurs frais, dans le premier avion et cherchent à coup d’e-mail et avec Facebook et Twitter à décrocher une publication !
« Au début je les ai maudits » dit franchement Eric Bouvet « mais aujourd’hui, je les remercie. Sans eux, je n’aurai pas remis en cause ma façon de travailler ».
« A Benghazi, je suis resté quatre heures derrière un mur en espérant qu’un char n’avance pas. Ça m’a marqué. Je me suis dit : tu as cinquante ans, qu’est-ce que tu fous là. Mais je suis quand même aller à Tripoli où j’ai assisté à la prise du bunker de Kadhafi, ce qui m’a valu un Visa d’or à Perpignan en septembre 2012. » Le troisième après des World Press et de nombreuses autres reconnaissances de la qualité de son travail.
La mort de Rémi Ochlik et celle de Tim Hetherington lui ont également « mis un coup sur le casque ». « Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est de travailler à la chambre 4×5 ou au moyen format. Depuis un an je travaille comme ça…/… et je n’ai jamais eu autant de plaisir à photographier. Je suis vraiment très heureux d’être photographe. »
« Pendant vingt ans, personne ne m’a jamais rien dit. J’avais des parutions, je gagnais ma vie, mais je n’avançais pas dans ma photographie. La concurrence de tous ces jeunes photographes m’a énormément appris, et je les remercie. »
On avait envie de s’écrier : enfin, en voilà un de content, tant il est vrai que chez les cinquantenaires de la profession, il est rare de rencontrer cet enthousiasme qui rejoignait celui de son cadet Sébastien Calvet.
A eux deux, ils ont à coup sûr « regonflé » quelques têtes chenues de l’assistance qui ne regrettaient pas leur journée à l’Espace Cardin.
Michel Puech
A lire et à voir
http://www.sebastiencalvet.com/
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