A droite la couverture du catalogue de l’exposition de Marie-Laure de Decker à la MEP (photo ML de Decker), a gauche François Lochon le 6 avril 2010 (photo Michel Puech)
Le 19 mars 2013, les trois femmes juges, composant la 3ème chambre de la cour d’appel du Palais de justice de Paris, condamnent à « la charge des dépens », la photographe Marie-Laure de Decker à payer à Gamma-Rapho 5000 euros, en plus des 5000 dus en première instance, provoquant l’indignation de la plaignante, de ses amis et de nombreux photojournalistes.
C’est une affaire digne d’un roman d’Honoré de Balzac qui oppose deux anciens photographes de la mythique agence Gamma. D’un côté, la belle égérie arpentant noblement aussi bien le désert du Tchad avec Raymond Depardon que les antichambres du Palais de l’Elysée pour « shooter » le Président Valéry Giscard d’Estaing, Marie-Laure de Decker. De l’autre un homme tout droit sorti du film « The good, the bad and the hugly». J’ai nommé François Lochon dit « la raflette ».
Deux photographes, deux destins, deux personnalités que tout oppose, de la conception du photojournalisme aux origines familiales en passant par les plus élémentaires règles de vie. Ajoutez à ce tableau, que l’une est largement respectée par le milieu photographique, tandis que l’autre, est un solitaire voué aux enfers, et pire, par tous les photographes, ou presque. La décence m’interdit de citer ici les mots dont il est qualifié !
L’une est photographe indépendante de 67 ans (voir note bas de page) « sans grandes ressources » qui se remet d’une greffe de rein, l’autre, rescapé à 59 ans d’un cancer, est, depuis le 6 avril 2010, redevenu propriétaire de la marque Gamma, et patron de la société Gamma-Rapho après avoir repris les actifs du groupe Eyedea (Gamma, Rapho, Keystone etc.) en déconfiture.
Le climat est plus qu’électrique entre les parties. A travers les réseaux sociaux, les amis de Marie-Laure de Decker se déchaînent en de tels termes que des procès en diffamation risquent de venir jeter de l’huile sur le feu.
Voyons les faits, rien que les faits
Avant le retour de François Lochon sous la bannière de Gamma, Marie-Laure de Decker a déjà, comme beaucoup de reporters, un contentieux avec le Groupe Eyedea (ex-Hachette Filippacchi Photos).
Depuis 1971, la photographe confie sa production à l’agence Gamma Presse Image. Le 29 juillet 2009, la veille du dépôt de bilan, elle résilie son contrat avec Eyedea devenu dépositaire de la marque Gamma.
A la suite de la déconfiture d’Eyedea, elle revendique, en septembre 2009, auprès de Maître Gorrias, le liquidateur, la restitution de 1570 films correspondant à 434 reportages effectués entre 1971 et 2000, ainsi que toutes les photographies de la période 2001-2009. Une partie seulement des photographies réclamées lui sera restituée après une longue procédure.
601 films perdus ont donné lieu à un procès gagné au terme duquel Eyedea, entre les mains de l’administrateur liquidateur, aurait dû lui payer 880 000 euros. Evidemment, du fait du redressement judiciaire, la dette est impayée et il subsiste peu de chances qu’elle le soit un jour. Les avocats des photographes, dans le même cas que Marie-Laure de Decker, cherchent maintenant, mais pour le moment en vain, « à remonter à la source des ennuis » c’est-à-dire à impliquer Hachette Filippacchi Photos…
Selon Maître Thierry Levy, avocat de Marie-Laure de Decker, cette première affaire « n’a rien à voir avec la suite », mais elle pèse quand même lourd dans les finances de la photographe et dans l’esprit de ses amis.
Fin du premier épisode.
Et Lochon revint à Gamma…
François Lochon a débuté comme photographe à Gamma en 1974 où il fait pratiquement la totalité de sa carrière. En 1978, il devient actionnaire en rachetant les parts de Gilles Caron disparu, puis légalement mort, et de Raymond Depardon qui quitte l’agence pour Magnum. En 1988, les autres photographes «staff» de l’agence supportent mal que François Lochon « se prenne pour le patron » confie l’un d’eux. «Il était arrogant, et on en a eu marre.» François Lochon continue à être diffusé par l’agence, mais il se met à voyager selon ses propres intérêts.
« En 1993, ils me rappellent. » disait-il en avril 2010 avec un large sourire. «Je prends alors la direction de l’agence. Mais entretemps, la politique de rachat d’autres agences avait déjà commencé ». Il allait en tirer un bon profit quelques années plus tard, au moment du rachat de Gamma par Hachette Filipacchi. C’était la seconde fois qu’il vendait ses parts dans l’agence. Ses collègues ne l’ont pas oublié !
En avril 2010, il revient une nouvelle fois « pour sauver cette agence qui m’a tout donné ». Repreneur des actifs d’Eyedea, Il souhaite reconstituer « la glorieuse équipe de Gamma »…
Il doit rapidement déchanter. Ses ex-confrères, celles et ceux qui l’ont connu comme collègue photographe, puis comme directeur, n’ont pour la plupart pas gardé de bons souvenirs. En plus, il ne réembauche pas l’équipe de l’époque. Les faits sont minces, mais les rancœurs épaisses. Son verbe fort, son humour et son goût immodéré de la provocation n’amusent pas. N’est pas Professeur Choron qui veut.
Pourtant en juin 2011, Marie-Laure de Decker et lui ont « une conversation calme » au terme de laquelle François Lochon écrit dans un courriel à la photographe « Il y a environ 770 images à toi sur le site mais en embargo de vente à ta demande ». Le courriel se conclut par une proposition de collaboration « à l’essai ». Elle refuse. François Lochon l’informe également qu’il détient deux diapositives originales de Dalida lui appartenant ….
Un an passe …
Un an s’est passé, sans que personne n’ait bougé, ni François Lochon, ni Marie-Laure de Decker. Mais le 5 juin 2012 la photographe attaque en assignant Gamma-Rapho en référé pour une comparution en juillet.
Maître Thierry Lévy réclame, entre autres, à la société Gamma Rapho, la restitution de toutes les photographies de Marie-Laure de Decker quel qu’en soit le support, et en particulier les 770 scans mentionnés par François Lochon dans son courriel de l’année précédente, et, naturellement les deux diapositives originales de Dalida.
Le Tribunal prendra acte que ces deux originaux couleurs sont rendus à l’audience à leur propriétaire.
Sur le fond et en particulier sur la propriété des 770 scans, le tribunal se déclare incompétent et juge que le recours à un référé, procédure d’urgence, est inapproprié. De ces faits, il condamne le 4 septembre 2012 Marie-Laure de Decker à payer 5000 euros de frais de justice.
Le 25ème anniversaire de la mort de Dalida
Curieusement Maître Thierry Lévy s’obstine, et fait appel ! Il ne réclame évidemment plus la restitution des deux photos de Dalida, mais souhaite que le tribunal condamne Gamma-Rapho pour « la perte de chance » subie par Marie-Laure de Decker, celle-ci n’ayant pu vendre le droit de reproduction de ces deux images à l’occasion du 25ème anniversaire de la mort de la chanteuse.
La demande principale reste bien la restitution des 770 scans que François Lochon a avoué avoir en sa possession. Cette demande s’appuie sur l’engagement, pris à la barre du Tribunal de commerce le 6 avril 2012, de restituer leurs images à tous les photographes qui en feraient la demande.
Sur tous les points, la 3ème chambre de la cour d’appel va débouter Marie-Laure de Decker au motif que « la perte de chance » est une nouvelle demande et que la cour ne peut la retenir, et qu’il ne lui appartient pas de trancher au fond sur le reste.
Une nouvelle fois, la cour d’appel juge le recours en référé abusif. De ces faits elle condamne une seconde fois Marie-Laure de Decker à payer les frais de justice de 5000 euros. Soit 10 000 euros au total, sans que l’on soit au fond…
A qui sont ces scans ?
Cette double condamnation va bouleverser nombre de photojournalistes et amis de la photographe. « On marche sur la tête » s’exclame Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image qui rejette « les arguties juridiques. Je ne vois qu’une seule chose, c’est que Marie-Laure va devoir payer 10 000 euros à l’agence qu’elle a contribuée à faire ce qu’elle était ! »
A l’indignation de bon nombre de professionnels se mêle l’incompréhension de ces deux décisions de justice qui ne portent pas, comme cela a été écrit, sur la publication de ses propres photos sur Facebook, mais au fond sur la propriété des scans haute définition détenus par Gamma-Rapho. Sur ce point, l’affaire n’a pas été jugée, mais le sera, selon Maître Thierry, Lévy le 14 mai 2014.
S’il est clair que François Lochon s’est engagé, d’abord avec l’administrateur judiciaire Maître Valliot, puis à la barre du Tribunal – j’étais présent – à rendre aux photographes les images dont ils sont propriétaires, clause dûment inscrite dans l’acte de cession d’Eyedea à Gamma-Rapho du 20 juillet 2010, il n’est pas certain que cela concerne des scans résultant du travail des équipes d’Eyedea…
Comme le souligne Maitre Lagarde, avocat de Gamma-Rapho, un jugement en cour d’appel de 2011 dit même le contraire. Et on peut le comprendre puisqu’il est généralement admis par tous dans la profession que les tirages, les duplicatas et autres supports restent la propriété de ceux qui les ont réalisés ou fait réaliser.
Ainsi par exemple dans l’affaire Eyedea les tirages de l’agence Rapho, réalisés dans leur immense majorité par les photographes eux mêmes, sont restés leur propriété !
Plus récemment, lors de l’interdiction de la vente aux enchères des archives de l’International Herald Tribune, le tribunal a débouté les agences Sipa Press et Gamma-Rapho de leur demande de restitution de photographies. Motif ? L’IHT a présenté des factures de ces agences prouvant qu’il les avait achetées !
N’en déplaise aux photographes indignés par « l’affaire de Decker contre Lochon », le droit des auteurs sur leurs images n’est pas solidaire du support. Je peux posséder légalement un tirage d’auteur et n’avoir aucun droit de le reproduire. Une agence peut détenir des duplicatas, sans pouvoir les commercialiser. Situation ubuesque, grotesque, mais qui est vraisemblablement celle des scans des photos de Marie-Laure de Decker détenus par François Lochon et qui résulte d’une mutuelle hostilité de longue date.
Reste l’émotion et surtout les amitiés et les inimitiés, qui dans cette pénible affaire pèsent plus lourd que la raison. Mais si, comme le dit le provocateur patron de Gamma-Rapho « La loi est dure, mais c’est la loi », cela ne saurait contrarier la confraternelle solidarité qui s’organise autour de Marie-Laure de Decker.
Une vente aux enchères de tirages de photographes devrait être prochainement organisée. Nous en informerons nos lecteurs.
Michel Puech
Article publié sous le titre « Gamma: de Decker versus Lochon (FR) » dans Le Journal de la Photographie du lundi 25 mars 2013
Rectificatif : Comme me le signale Marie-Laure de Decker dans un courriel du 25 mars 2013, j’ai fait une erreur: la photographe est née à Bone (Algérie) en 1947 et a donc 65 ans à la date de rédaction de l’article, et non 67. Dont acte avec mes excuses.
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