Les rencontres du Prix Bayeux-Calvados battent leur plein depuis le lundi 7 octobre. Ce jeudi 10 octobre, la stèle des journalistes tués en 2012-2013 a été dévoilée au Mémorial des reporters en présence d’une centaine de personnes et d’officiels.
La 20ème édition des Rencontres du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre ne manque pas de panache avec sa « Carte blanche » à James Nachtwey, sa rétrospective de 20 ans de reportages et son coup de chapeau à la jeune génération. Un programme exceptionnel qui laisse place à la tradition.
Tradition de se retrouver pour honorer les reporters qui ont perdu la vie durant les 12 mois écoulés. C’est un moment d’émotion intense pour les journalistes présent s, qui généralement ont connu les victimes, mais également pour les autorités locales et la population. Les citoyens de Bayeux attachent beaucoup d’importance à la liberté de la presse. Il n’est pour s’en convaincre que de constater la participation des collégiens, lycéens et des bénévoles au succès de cette manifestation.
Bayeux, libéré le 7 juin 1944, et sa région, connaissent le prix de la liberté
Cela fait quatre ans que j’assiste à cette cérémonie, dans ce jardin de mémoire où se dressent des dizaines de stèles. Sur le parcours, les stèles des années particulièrement noires rappellent les noms de ceux tombés en Corée, en Indochine, à Suez, au Vietnam comme ceux des morts de Budapest, Sarajevo, d’Irak et d’Afghanistan. C’est un chemin de douleur et aussi un chemin d’honneur pour une profession aujourd’hui très souvent controversée.
Je me souviens particulièrement de la cérémonie de 2011, année qui vit la mort de Lucas Dolega, jeune photographe tué à Tunis d’un tir de grenade lacrymogène. Je me souviens de l’émotion de Nathalie sa compagne, de ses parents, de ses amis jeunes photographes…
Je me souviens de la cérémonie de 2012, quand sur la stèle apparut le nom de Rémi Ochlik, jeune photojournaliste tombé à Homs en Syrie en même temps que l’américaine Marie Colvin tandis qu’Edith Bouvier, freelance travaillant pour Le Figaro était gravement blessée. Je me souviens de l’émotion d’Emilie Blachère, compagne de Rémy Ochlick serrée contre Edith Bouvier et le photographe William Daniels…
« Rapporteur de guerre »
« Après tout, le rôle de l’envoyé spécial est d’une simplicité biblique » écrivait en 1974 Jean-François Chauvel, grand reporter au Figaro et père du photojournaliste Patrick Chauvel « A chaud, c’est le pompier de service, celui qui part sans attendre pour devenir, sur place, l’œil et l’oreille des quelque centaines de milliers de lecteurs ou de téléspectateurs qui, à travers lui, feront le voyage dans un fauteuil ».
Les risques sur le terrain sont énormes. Ceux qui en douteraient peuvent venir au Mémorial de Bayeux. « Je ne sais pas si mes photos servent à quelque chose » dit Patrick Chauvel « mais ne pas en faire sert à rien. »
Cette année, trois des morts des douze dernier mois étaient particulièrement honorés : la japonaise Mika Yamamoto fusillée en Syrie l’an dernier, le belge Yves Debay et le photographe français Olivier Voisin.
Patrick Gomont, maire de Bayeux, était très triste de constater « la présence sur ces stèles de noms de journalistes que l’on connaît, qui sont venus à Bayeux. Il est difficile de voir ainsi partir nos amis »
En effet Olivier Voisin était là, l’an passé pour la même cérémonie.
Après le maire de Bayeux et Christophe Deloire, directeur de Reporters sans Frontières (RSF) c’est Matthieu Mabin de France 24, plusieurs fois lauréat l’an dernier du Prix Bayeux-Calvados qui a évoqué ses souvenirs d’Olivier Voisin et d’Yves Debay. « Ils se sentaient tous les deux à l’écart de la grande presse » a-t-il déclaré au début de son speech.
Olivier Voisin était encore jeune dans le métier. Il était né en 1974. C’était un « écorché vif ». Mathieu Mabin l’a rencontré l’an dernier dans ce même endroit : « il avait peur de la guerre mais il l’endurait pour pouvoir témoigner ».
Un hommage contreversé
Yves Debay, lui était d’une autre époque. Jean-Paul Mari , cité au Mémorial par Matthieu Mabin le décrit ainsi : « 58 ans, dont près d’un demi siècle de guerre, mercenaire d’origine belge enrôlé dans la raciste armée rhodésienne à la poursuite d’une guérilla noire et marxiste, de l’extrême-droite en barre qui a tourné reporter pour « Raid » avant de créer son propre magazine, « Assault », qui aurait pu s’appeler « A l’attaque » ou « Tous au front » » . Tout un programme.
Certes, mais comme l’écrit Rémy Ourdan, grand reporter et directeur adjoint du quotidien Le Monde , il était un « Aventurier iconoclaste, fils autoproclamé du dieu grec du vin Dionysos, jamais avare d’une blague provocatrice, Debay était autant respecté dans les milieux militaires qu’il était décrié dans le monde du journalisme. »
Etant un de ces « gens de l’arrière qu’il (Yves Debay)méprisait », pour la première fois, je me suis senti mal à cette cérémonie.
Mathieu Mabin « en a fait des tonnes » comme l’on dit familièrement. Logique. Matthieu Mabin, lui aussi, a été militaire dans l’infanterie de Marine, puis dans la Légion étrangère.
L’hommage était long. Un hommage qui a dérapé quand, après avoir déclaré que sur les corps d’Olivier Voisin et d’Yves Debay on avait retrouvé un carnet noir contenant le même texte d’André Zirnheld . Lentement l’ancien légionnaire a alors sorti de sa poche un carnet noir, pour lire lacélèbre prière des parachutistes !
Au-delà de l’anecdote quelque peu provocatrice – dans une cérémonie où Reporters sans Frontières (RSF) est associé – ce qui est contestable dans l’hommage de Mathieu Mabin à Olivier Voisin et Yves Debay c’est cette apologie du « baroud » dans un lieu où l’on honore des femmes et des hommes non pour les risques qu’ils ont pris, mais pour le sens de leur travail : le journalisme.
Heureusement, Nathalie Bourrus, de France Info, a rétabli l’équilibre dans son hommage à la journaliste japonaise Mika Yamamoto en rappelant que son sacrifice était fait au nom du devoir d’informer. Ouf !
Michel Puech
Mise au point :
Matthieu Mabin a été « profondément blessé » par le texte ci-dessus. Il me l’a fait savoir par sms.
Ce samedi après-midi 12 octobre 2013 nous avons confronté nos points de vue, franchement, rudement par moment, mais toujours avec une confraternelle courtoisie.
Ce qui a blessé ce grand reporter de France 24, lauréat de plusieurs prix télévision l’an passé à Bayeux, c’est d’être une fois de plus qualifié d’ancien légionnaire. « Je me suis engagé en 1995 en ex-Yougoslavie pour défendre les valeurs de la France. J’ai démissionné de l’armée en 2007 en Afghanistan. Aujourd’hui je suis journaliste. Point. »
L’homme est chaleureux et défend âprement ses convictions qui ont « toujours été de gauche alors que ton papier me fait passer pour un facho« .
Concernant, la « prière des parachutistes« , il me précise – et c’est exact – qu’il ne l’a pas nommée ainsi car son titre d’origine est simplement « La prière« . Ce sont effectivement certains parachutistes et des partisans de l’Algérie française qui l’ont ainsi renommée. Son auteur André Zirnheld, professeur de philosophie l’a écrite en 1938 et s’est engagé dans la France Libre. Matthieu Mabin la lit pour ce qu’elle exprime. 26 ans plus âgé que lui, je l’ai entendue dans le contexte de ma jeunesse durant la guerre d’Algérie.
Enfin, une phrase malvenue a été enlevée du texte, et l’inter-titre au dessus de la photo de Matthieu Mabin a été modifiée car ces deux éléments prétaient à confusion.
Cette mise au point aurait pu être évitée, si dans l’urgence de rapporter sur cette cérémonie, j’avais préalablement contacté Matthieu Mabin par téléphone. Dont acte.
Lire l’article précédent sur le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre.
Dernière révision le 21 août 2024 à 11:58 am GMT+0100 par Michel Puech
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