La 20ème édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre s’est achevée samedi 12 octobre 2013 par une grande soirée de remise des prix pour des reportages majoritairement consacrés à la guerre civile en Syrie. Les expositions sont visibles jusqu’au 3 novembre 2013.
En photo, le lauréat est Fabio Bucciarelli avec une remarquable série titrée « Bataille à mort », réalisé en septembre et octobre 2012 à Alep (Syrie). Fabio Bucciarelli fête bien ses 33 ans !
Il est né le 23 octobre 1980 à Turin, ville où il a étudié l’imagerie numérique à l’Ecole Polytechnique. Bien qu’il n’ait débuté la photo qu’en 2006, il a déjà reçu en 2012 le «Robert Capa Gold Medal Award , ainsi que le World Press Photo. Fabio Bucciarelli est freelance mais diffuse ses reportages via l’AFP.
Il a devancé Goran Tomasevic qui présentait également un reportage en Syrie. Le photographe de Reuters manque une seconde fois la première marche du podium. A Visa pour l’image, il arrivait juste derrière Laurent Van der Stockt. Nombre de festivaliers du monde du photojournalisme le regrettaient tout en reconnaissant la valeur du travail de Fabio Bucciarelli. Dure loi des prix et spécificité du jury de Bayeux. Tous les médias sont représentés. Il n’y a pas que des photojournalistes.
Par contre, l’AFP a joué doublement gagnant puisque le Prix du public, cette année curieusement parrainé par le Ministère de la Défense, est allé à un autre brillant freelance collaborateur de l’agence : Javier Mansano pour un autre reportage sur le « Siège d’Alep ». Un photographe déjà récompensé par le Prix Pulitzer et le World Press. Pour faire bon poids, l’agence de la place de la Bourse empochait également le 2ème Prix dans la catégorie vidéo (format court) avec un reportage de Djilali Belaïd.
Jean-Philippe Rémy et Laurent van der Stockt stars de Bayeux
Mais incontestablement, c’est le duo formé par le photographe Laurent Van der Stockt et le journaliste du quotidien Le Monde, Jean-Philippe Rémy, qui a été le plus récompensé : prix du web journalisme pour le tandem et prix de la presse écrite pour Jean-Philippe Rémy.
Même si Libération et Paris Match avaient déjà publié des reportages sur l’emploi des gaz contre sa population par le régime syrien, la qualité du travail des deux reporters et l’impact international emportent l’adhésion de tous.
Pour Laurent van der Stockt, déjà récompensé pour ses photos par un Visa d’or News en septembre dernier à Perpignan, la reconnaissance de son travail en vidéo pour le web documentaire est une satisfaction de plus. Bien méritée et utile au moment où la vidéo prend tant d’importance dans tous les supports en ligne.
En télévision, Sophie Nivelle-Cardinale, autre freelance, a été primée pour son reportage « Au coeur de la bataille d’Alep », diffusé dans le journal de 20H de TF1, le 9 septembre 2012. Elle remporte aussi le Prix Fondation Varenne des lycéens de Basse-Normandie avec un document exceptionnel, tourné sur la ligne de front dans la ville d’Alep, et commenté par Michel Scott. Ben Anderson rapporte le prix du format long en télévision à la BBC pour un reportage en Afghanistan.
Le prix des freelances ?
Florentin Cassonnet devient prix du jeune reporter avec son premier reportage ! Son sujet ? Un road-trip de « Treize anglais sur le chemin de Damas » raconte l’épopée de sympathisants de la cause syrienne. Il a été publié par la revue XXI dans son numéro 23 de l’été. Le jeune homme, qui s’est fait déménageur pour accumuler 1500 euros pour financer son reportage, semblait ne pas croire à sa nouvelle bonne fortune. Si Patrick de Saint-Exupéry ne lui avait acheté 4000 euros son sujet, alors qu’un autre titre lui en avait proposé une centaine d’euros, il envisageait de renoncer à devenir reporter… Bravo XXI !
En regardant rapidement le palmarès, on pourrait penser que les grands médias sont derrière tous les bons reportages, mais ce n’est pas tout à fait exact. Si les grands noms sont au générique c’est fréquemment grâce à des reporters indépendants qui prennent les risques physiques mais aussi financiers pour se rendre dans les endroits chauds de la planète. C’est un vrai problème.
En Syrie aujourd’hui, peu prennent le risque d’envoyer des « staffers » payés au mois, surtout quand la rédaction a déjà connu les affres des prises d’otages, des morts et des blessés. Alors « on aide les indépendants » dit l’un. Ce qui signifie en clair qu’on leur achète leur matériel à un prix qui est trop souvent loin d’une juste rémunération des risques, des coûts sociaux (assurance, retraite etc.), et du talent.
De la tapisserie au numérique en passant par l’argentique
A quelques kilomètres des plages du débarquement des troupes alliées venues reconquérir l’Europe, Bayeux, avec son immense cimetière où dorment au milieu de jeunes venus de très loin quelques uns des correspondants de cette guerre là, a cette légitimité historique pour accueillir chaque année les représentants les plus exposés de la presse écrite, de la radio, de la télévision et du photojournalisme.
Et cette année, ils sont nombreux. Plus nombreux que les autres années pour fêter les vingt ans de ces Rencontres dont une exposition, simple mais émouvante retrace l’histoire à travers photographies, coupures de presse, émissions de radio et de télé.
Patrick Gomont, maire de Bayeux a un projet. Il n’a cessé de l’évoquer, un lieu pour conserver et mettre en valeur les documents qui sont rassemblés chaque année par le Prix Bayeux-Calvados. L’idée est utile et indispensable. Il faut espérer que l’an prochain, qui sera le 70ème anniversaire du débarquement, il puisse annoncer la création de cette ambitieuse médiathèque.
Il y a du monde dans l’exposition qui retrace les vingt dernières années du prix. Il y a du monde pour voir celle de Frontline. Il y a du monde dans les rues pour voir « la jeune génération » et dans le magnifique nouveau musée qui accueille « Le sacrifice », cette œuvre magistrale de James Nachtwey. Du monde également pour voir la somptueuse exposition « Carte blanche à James Nachtwey » dans la chapelle qui jouxte la fameuse tapisserie. A plus de mille ans de distance, ce sont deux reportages de guerre qui se complètent.
Il y a du monde sous le chapiteau pour les soirées magistralement organisées. Le débat qui a suivi la projection en avant première du documentaire sur l’activité des drones américains au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen a été long, mais à la fin la salle était encore bien pleine.
La soirée consacrée au journalisme à l’heure d’Al Quaïda s’est terminée à minuit, après un intéressant débat dans lequel Jonathan Randall, reporter star du Washington Post a fait preuve d’un humour qui tire sa source dans 45 ans de « couverture » de conflits. « Nous sommes là pour témoigner. Nous ne sommes pas auxiliaires de justice » a-t-il rappelé à propos de son refus de témoigner devant la Cour Internationale de Justice. Une leçon d’indépendance.
Tout au long des Rencontres, les membres du jury et les festivaliers ont inlassablement discuté « métier », échangeant souvenirs et expériences entre vieux briscards ou avec de jeunes confrères ou apprentis reporters.
Le Prix Bayeux-Calvados fait naitre des vocations, et c’est très bien. La démocratie a besoin de reporters courageux pour témoigner de l’imbécilité de la guerre.
Comme le disent fréquemment les reporters expérimentés, les témoignages ne changent pas nécessairement le cours de l’Histoire, mais ils constatent la réalité d’un moment et ils empêchent le public de se réfugier derrière un confortable « je ne savais pas ».
Et puis comme le clame avec humour Patrick Chauvel, aujourd’hui devenu vétéran : « rester chez soi ne sert à rien. »
Michel Puech
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Dernière révision le 21 août 2024 à 11:58 am GMT+0100 par Michel Puech
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