Article publié dans le Club Mediapart dimanche 24 novembre 2013
A l’issue d’une bataille juridique de près de quatre ans, la justice américaine a condamné lourdement l’Agence France Presse et son partenaire Getty images à payer 1,22 millions de dollars au photojournaliste Daniel Morel. Une victoire du droit d’auteur qui fait date !
Tout commence le 12 janvier 2010 pendant le tremblement de terre qui secoue l’île d’Haïti et qui fera plus de 200 000 morts. Daniel Morel, photographe freelance, qui a travaillé pour Associated Press et est alors diffusé par Corbis, photographie Port-au-Prince toute la journée. A 16h54, avec l’aide d’amis, il met en ligne treize photos sur TwitPic, un service de Twitter.
Ces images sont publiées, en violation du droit d’auteur sur le blog d’un certain Lisandro Suero domicilié en République Dominicaine où Vincent Amalvy un éditeur de l’agence française les découvre, les télécharge et en diffuse huit sur le fil de l’AFP.
Getty Images, partenaire de l’AFP les diffuse également. Résultat, les photographies de Daniel Morel font le tour du monde. Elles sont publiées dans une quantité incroyable de quotidiens de tous les pays avec la signature de l’AFP.
Daniel Morel estime que l’AFP a diffusé ses photographies sans vérification et sans se préoccuper de savoir qui est leur auteur. Une négligence incroyable pour une agence de presse mondialement connue. Il porte plainte. L’AFP, Getty et nombre de supports ayant utilisé les images contre-attaquent traitant le photographe avec dédain : en postant ses photos sur Twitter, il aurait abandonné ses droits !
A l’époque, il y a un peu plus de trois ans – une éternité à l’heure d’Internet -, Facebook, Twitter ne sont pas encore ce qu’ils sont aujourd’hui. La plainte d’un photographe, qui plus est haïtien, est regardée de haut par beaucoup de monde y compris hélas dans le milieu du photojournalisme.
« Les photographes doivent accepter leurs responsabilités. Vous ne pouvez pas mettre vos images sur Twitter et ne pas attendre qu’elles soient prises par d’autres » devait déclarer Jean-François Leroy, le directeur de Visa pour l’image à Olivier Laurent du British Journal of Photography. « Je n’ai rien contre Morel, en fait, je me sens très désolé pour lui, mais je ne peux pas condamner l’AFP, je ne peux pas dire que ce sont des voleurs. » devait-il ajouter.i,
Le propos choqua peu, tant les réseaux sociaux étaient encore à cette époque considérés avec dédain par nombre de journalistes. Les mêmes qui aujourd’hui suivent avec la plus grande attention leurs comptes sur ces mêmes services, et parfois les utilisent avec peu de précaution comme on l’a vu la semaine dernière à propos du fait divers dit du « tireur fou » !
A la faute professionnelle, s’ajouta le mépris…
La bataille juridique va se dérouler plus de trois ans durant. L’agence française et son partenaire américain Getty ont déjà été reconnus coupables de violation du droit d’auteur en janvier dernier. Cette décision remettait déjà les pendules à l’heure.
Le procès qui s’est tenu à partir du mercredi 13 novembre à la Thurgood Marshall US Courthouse, à New York en plein cœur de Manhattan, devait déterminer si cette violation avait été intentionnelle et à combien s’élèveraient les indemnités du préjudice…
Au cours de cette semaine de procès Daniel Morel a expliqué les raisons qui l’ont poussé à télécharger ses photos en haute résolution sur TwitPic. Il craignait que l’électricité déjà limitée et seulement disponible à partir d’un hôtel ne soit totalement coupée. Et il a déclaré « Je n’ai jamais pensé que l’AFP volerait mes photos » ajoutant « Je pensais qu’ils étaient des professionnels. »
Malgré le staff impressionnant d’avocats « à 1000 dollars l’heure » employés par l’AFP et Getty, les deux agences n’ont jamais réussi à prendre la main sur ce procès. L’arrogance de leurs avocats, la gêne des employés de l’AFP, l’amnésie de ceux de Getty ont choqué les membres du jury.
Vendredi 22 novembre 2013, peu après 13h (heure de NYC), dans la salle 506 de l’US Marshall de la Cour fédérale Thurgood, la juge Alison Nathan a paru hésiter avant de lire le résultat des délibérations du jury.
Le jury a non seulement désigné l’AFP et Getty responsables d’une violation intentionnelle du droit d’auteur, mais a décidé d’accorder le maximum possible d’indemnités à Daniel Morel soit 1,2 millions de dollars pour huit images ! Le jury a également constaté que les agences avaient commis des infractions à la Digital Millenium Copyright Act et pour cela ont accordé 20 000 $ de plus au photojournaliste !
Selon les témoins, les avocats et les personnels de l’AFP et de Getty étaient abasourdis par le jugement. Un des avocats de l’AFP avait les larmes aux yeux tandis que de son côté Daniel Morel levait le pouce en signe de victoire. « Je ne souhaite à aucun autre journaliste d’être confronté à ce type d’épreuve » a-t-il déclaré.
Pendant le procès, il avait exprimé au jury que ce vol au moment où son pays connaissait un tel drame avait été « comme un coup de poignard. » Il avait ajouté doucement « Ils m’ont volé ce moment. »
Le jury avait la possibilité d’accorder une indemnité de 650 à 150 000 $ par image. Il a choisi d’accorder le maximum parce qu’il a été « scandalisé » par le comportement de l’AFP et de Getty : «Nous ne pouvions pas croire ce qu’ils ont fait. »
En l’absence à l’heure où nous écrivons de réactions de l’AFP et de Getty, il est impossible de savoir si les deux sociétés feront appel… A l’heure actuelle, les observateurs américains estiment que cette affaire leur a déjà coûté 9 millions de dollars !
Michel Puech
Pour en savoir plus :
Epuk, organisation de photographes et d’éditeurs du Royaume Uni et d’Irlande
British Journal of Photography
Source : Dernière révision le 26 mars 2024 à 5:04 pm GMT+0100 par
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