Du 5 au 30 novembre 2013 se tenait en Mayenne le Press’tival Info, un tout jeune festival de journalisme. Expositions, conférences, débats et remises de deux prix : l’un pour la photo et l’autre pour la vidéo.
Article publié dans le Club Mediapart le mercredi 27 novembre 2013
Pendant des années avec le festival du Scoop, Angers fut, à l’instar de Perpignan ou de Bayeux, le rendez-vous annuel des hommes des médias jusqu’au jour où le maire de la ville voulut punir « les pique-assiettes ». L’anecdote fit beaucoup rire et illustra bien les difficiles relations entre presse et pouvoir politique !
Jean-Marie Mulon, un ancien journaliste, directeur de cabinet de Philippe Henry, maire de Château-Gontier, avait déjà eu l’idée de profiter de la proximité géographique avec Angers et du cadre merveilleux du Carré, scène nationale depuis 1991, pour organiser chaque année une grande soirée pour présenter le meilleur du Scoop.
Le festival du Scoop ayant disparu dans un imbroglio politico-financier, Jean-Marie Mulon a décidé avec la municipalité et les collectivités locales de relever le gant. C’est ainsi qu’est né cette année le Press’tival Info, qu’il aurait été plus simple de baptiser festival de la presse en pays de Château-Gontier !
Mais peu importe, l’idée de l’infatigable directeur de la communication du lieu est d’offrir aux 12 000 Castrogontériens, et plus généralement aux Mayennais l’occasion de mieux connaître la presse et les journalistes.
De l’investigation et de « la locale »
Ainsi, Laurent Mauduit de Mediapart fut la vedette du débat « Quelle place pour le journalisme d’investigation sur le web ? » tandis que Brunot Jeudy du Journal du Dimanche et Dubillot de Ouest France débattirent du « Regard de la presse nationale sur la presse régionale et vice-versa ». Débat où l’on entendit parler de Tanguy Pallavert, mon confrère qui s’est plaint ici sur son blog du Club Mediapart de ses relations avec la municipalité.
Presse et pouvoir… Le journalisme dit « localier » est ingrat. Le grand reporter à Château- Gontier ou ailleurs, n’a souvent qu’un husky rescapé d’un puits à se mettre sous la dent ! Ecrasé ou dans le puits, les histoires de cabots se marient parfois mal avec les jeunes égos. La frustration et la tentation sont alors grandes de monter en épingle 90 bovins au concours départemental !
Je parle en connaissance de cause, ayant à mes débuts, dans les années 1970, transformé une poutre mal ajustée en une affaire d’Etat, ce qui me valut de quitter l’agence beauvaisienne du Courrier Picard pour l’Agence de l’Emploi, non sans avoir au passage séquestré le directeur dudit journal deux petites heures… Le temps que les ouvriers du livre CGT finissent leur casse-croûte et viennent déloger manu militari les deux, trois journalistes gauchistes qui m’accompagnaient. Je m’égare.
De Château-Gontier au Népal en passant par la Turquie
Jean-Marie Mulon a lui aussi été un « localier ». Il connaît la musique. Il veut bien faire. Il a du courage et de l’ambition pour ce pays de Château-Gontier. Il a donc fait appel à Alain Mingam ex-grand reporter photo et aujourd’hui commissaire d’exposition. (Lire l’article sur les Révolutions arabes).
Alain Mingam, qui est plus que préoccupé par la situation économique des photojournalistes, lui a donc proposé de créer deux prix. Les prix en ont un. Il n’est pas énorme : 3000 euros, mais par les temps qui courent, aucun photographe ou documentariste ne fait la fine bouche. Il y avait donc du beau matériel en compétition soumis à un jury présidé par Lise Blanchet de France Télévision, Dimitri Beck de Polka Magazine, Steeve Baumann de Canal + et votre serviteur.
En photo, Marie Dorigny remporta à l’unanimité le trophée avec un reportage titré « Népal, le pays qui n’aimait pas les femmes ».
Après une première carrière de rédactrice à Lyon, Marie Dorigny a rejoint le monde de la photographie en décembre 1989, à l’occasion de la révolution roumaine qu’elle couvre avec un Nikkormat et un seul objectif ! C’est là qu’elle a attrapé le virus.
Ses reportages, sur le travail des enfants, les filières de l’immigration clandestine, les formes contemporaines d’esclavage ou la vie des femmes dans les pays en voie de développement, ont été publiés dans la plupart des journaux et magazines français ou étrangers : Le Monde, Courrier International, Elle, Life Magazine, Time, The Independent ou Der Spiegel… Ses voyages réguliers en Inde et au Pakistan ont fait 1’objet de plusieurs parutions dans Géo et National Geographic France.
Lauréate d’une des treize bourses 2013 du nouveau festival << Photoreporter en Baie de Saint Brieuc>>, elle vient de réaliser deux mois durant, un travail documentaire sur les effets de l’exode rural au Népal et les violences faites aux femmes.
Interviewée par Jean-Louis Vinet de WGR, la radio des grands reporters, Marie Dorigny explique « Je connais depuis vingt ans le Népal et je savais que c’est une société violente. Ce sujet je l’ai écrit et j’ai fait le tour des rédactions. Personne n’en voulait…/.. J’ai eu beaucoup de chance, la bourse du festival « Photoreporter en Baie de Saint-Brieuc » m’a permis de faire ce reportage avec beaucoup de liberté. » (Ecoutez son interview en cliquant sur le widget en bas de l’article).
Pour Marie Dorigny, le prix de Château-Gontier est une première somme pour poursuivre son travail sur la violence faite aux femmes pour lequel elle veut se rendre dans quatre pays. « Cela ne suffira pas, mais c’est un premier pas. » dit-elle en souriant.
Avec une mention spéciale, le jury a voulu signaler également le travail « Occupy Gézi » (Turquie) du jeune photographe Morgan Fache déjà remarqué cette année à Perpignan dans le cadre de « Visa pour l’image » où il a été sélectionné pour le prix Pix palace-ANI, avec une série sur « Les enfants de la vie ».
De Homs à la Papouasie, le prix Gilles Jacquier
L’Autre Élection – Teaser #1 – VF from Piw! on Vimeo.
Gilles Jacquier est ce talentueux reporter d’image, dont on a beaucoup vu les reportages dans l’émission Envoyé Spécial, qui a été tué à Homs en Syrie le 11 janvier 2012 sous les yeux de sa compagne la photographe Caroline Poiron. Le Press’tival Info 2013 remettait donc le premier prix vidéo en hommage à cet homme, victime comme 100 000 syriens de l’acharnement de Bachar El Assad à conserver le pouvoir.
Igal Kohen est un jeune réalisateur. Après des études de journalisme et une activité de monteur, il s’est lancé dans la réalisation. Trois de ses films ont déjà été remarqués dans divers festivals. Pour son premier séjour en Papouasie en 2007, il a « travaillé en usine pour payer le billet ».
« L’autre élection » son film, une web-série primée à Château-Gontier est un objet vidéographique original. Il fait le portrait de politiciens embarqués dans une élection où la corruption se conjugue avec la méconnaissance des enjeux démocratiques, la misère et l’éloignement de tout. « L’autre élection » est le face à face de l’espoir démocratique et de la concupiscence des politiciens locaux.
Piw !, la jeune société qui produit le film et le réalisateur se sont embarqués dans une longue aventure tant il est vrai que la Papouasie Nouvelle-Guinée n’est pas au cœur des préoccupations des chaînes de télévision européennes ! « Nous avons eu beaucoup de mal car le sujet n’est pas concernant nous disait-on chez les diffuseurs » raconte Igal Kohen au téléphone d’Amsterdam où il présente à nouveau son film.
C’est une Lapalissade, mais la Papouasie c’est loin, et ce monde est encore peu connecté. La préparation, les contacts, les repérages n’ont donc pas été aisés. Le premier voyage a donc été entièrement aux frais de l’auteur et ce n’est qu’ensuite que Courrier International, Rue 89 et France Inter se sont intéressés au projet qui a reçu également l’aide du Centre National Cinématographique. Finalement 115 000 euros ont été réunis pour réaliser ce film.
Un film qui est en fait plutôt construit comme une web-série. Et c’est cette forme et l’originalité de son montage et des commentaires qui ont séduit le jury. Plutôt que de primer des reportages qui l’ont déjà été par d’autres festivals, le jury a fait le choix de l’originalité, de l’inventivité. « L’autre élection » nous fait découvrir un pays inconnu avec un regard critique et de nombreuses touches d’humour tant dans les images que dans la voix off du comédien Thierry Bosc, véritable Oncle Paul.
Lors de la grande soirée de remise des prix au Carré, c’est la photojournaliste Caroline Poiron, compagne de Gilles Jacquier et co-auteur avec Sid Ahmed Hammouche et Patrick Vallétlian d’une remarquable enquête « Attentat express »sur l’assassinat de son compagnon, qui a remis au représentant de « Piw ! » le trophée.
Michel Puech
Pour en savoir plus :
LIRE : Attentat Express – Qui a tué Gilles Jacquier (Ed. Seuil 2013)
ECOUTER : le reportage de Jean-Louis Vinet
Dernière révision le 26 mars 2024 à 5:04 pm GMT+0100 par la rédaction
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