« Mon traître », la pièce mise en scène par Emmanuel Meirieu, qui se joue aux Bouffes du Nord jusqu’au 21 décembre, est inspirée de deux romans de Sorj Chalandon : « Mon traître » et « Retour à Killybegs ». Trahison et amitié. A voir.
Créée en avril 2013 au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), « Mon traître » n’est pas un résumé des deux romans publiés chez Grasset par le journaliste du Canard Enchaîné et ex grand reporter à Libération. Emmanuel Meirieu, jeune et talentueux metteur en scène a su extraire de ces ouvrages de 300 pages chacun, l’esprit de Sorj Chalandon.
L’intrigue de la pièce, comme des romans, est finalement simple et c’est ce qui en fait toute l’universelle force, un jeune luthier, Antoine – double de l’auteur – s’éprend de la cause irlandaise et d’un de ses leaders. Le héros va se révéler, des années plus tard, être un traître. Dès lors, le jeune Antoine s’interroge, que se passe-t-il dans la vie d’un traître ? Est-on traître 24 heures sur 24 ? Un traître a-t-il des amis ?
Le traître, Tyron Meehan, figure de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise a lutté les armes à la main contre la présence britannique en Irlande du Nord, depuis le début du 20ème siècle. Pourtant il a trahi. Il a mené double jeu. Cette fiction s’appuie sur une réalité, celle de l’affaire Denis Donaldson, militant du Sinn Féin qui fut exécuté le 4 avril 2006 après avoir reconnu publiquement sa trahison.
« Je n’aurais pas pu écrire cette histoire, si je n’avais pas été concerné. »
Sorj Chalandon a clairement expliqué au public des Bouffes du Nord, lors d’une rencontre le vendredi 6 décembre dernier à l’issue de la représentation, « Je n’aurais pas pu écrire cette histoire, si je n’avais pas été concerné. »
Concerné, Sorj Chalandon l’a été. Comme Antoine, le luthier de sa fiction il a été « l’ami français » auquel Tyron Meehan a « appris à pisser. » La trahison révélée, Antoine est déboussolé, en colère, triste aussi car il perd un ami.
Jérôme Derre, dans le rôle d’Antoine, est particulièrement réussi. Il campe non seulement parfaitement le personnage du roman, mais, sa voix, sa posture en scène ont réveillé dans ma mémoire l’image du jeune Sorj Chalandon de l’époque où il débutait sa « couverture » des évènements d’Irlande du Nord pour Libération.
Jérôme Derre n’est pas seul à monter sur scène. Stéphane Balmino est Jack, le fils du traître. « Un vrai gars d’Irlande » a commenté Sorj Chalandon qui aurait pu ajouter qu’il chantait comme dans un pub irlandais.
Mais, la palme revient à Jean-Marc Avocat, dans le rôle de Tyrone Meehan. Sa carrure, sa voix, sa présence servent parfaitement le personnage de ce traître. Présent dès le début de la pièce, allongé et caché sous une couverture, quand il se relève demi-nu, gris, il est bien cet homme entre la vie et la mort, celui autour de qui s’est construit l’intrigue.
Emmanuel Meirieu avait les comédiens, il a su trouver le texte, l’adapter et le mettre en scène avec simplicité et efficacité. En faisant le choix d’une scène quasi vide, noire, sans grand décor, Emmanuel Meirieu donne toute leur place aux acteurs qu’il habille de sons. La pluie qui tombe. Une chanson…
Le coup de génie, c’est l’utilisation du microphone. Cette pratique décriée ailleurs, permet ici aux acteurs de ne pas projeter leur voix vers le public. Avec le micro, ils nous parlent à l’oreille. Le micro ne se cache pas, il s’impose comme lieu de confidence. Il permet aux trois acteurs, en particulier à Jean-Marc Avocat et à Jérome Derre de nous confier leurs pensées, leurs histoires. C’est du bouche à oreille. De la confidence de pub ou de prison.
Sorj Chalandon, qui n’a surtout pas voulu être mêlé à l’adaptation, a vu la pièce pour la première fois lors de sa création en Suisse. « Emmanuel Meirieu a fait une chose formidable, totalement inattendue pour moi, il a donné des visages à mes personnages. Quand j’écrivais les livres, je voyais toujours le visage de mon ami, du traître. Maintenant Tyroon Meehan a le visage de Jean-Marc Avocat. Je ne peux plus voir Antoine qu’avec le visage de Jérome, comme Franck est maintenant Stéphane … Et ça, c’est formidable. Je crois que je vais pouvoir commencer à faire véritablement le deuil de cette trahison. »
A une question du public sur le rapport entre son travail de journaliste et l’écriture de ses romans, Sorj Chalandon répond qu’il ne peut écrire que s’il est concerné. C’était le cas pour son premier roman « Le petit Bonzi », ce le fut pour ses romans irlandais, et, c’est encore vrai pour « Le quatrième mur » qui vient de paraître et d’obtenir le Prix Goncourt des lycéens. « Le petit bonzi » racontait les douleurs d’un enfant bègue. Difficulté rencontrée par Sorj Chalandon. Les romans irlandais reposent sur ses reportages pour Libération qui lui ont valu d’être lauréat du prix Albert Londres, la plus haute récompense du journalisme français.
« Le quatrième mur », lui est l’antidote peut-être au pire poison de la vie du reporter, le souvenir du massacre dans le camp palestinien de Sabra et Chatila. Là, il ne s’agit plus de la trahison d’un ami, mais de la confrontation avec la barbarie humaine. On n’est plus dans le psychologique, mais dans le sang et la merde. C’est peut-être pour cela que Sorj Chalandon a convoqué le théâtre comme décor de ce roman. Une façon de mettre un peu plus de distance, de farder quelque peu une blessure qu’on sait inguérissable ?
Il faut lire Sorj Chalandon, qui, dans ses romans comme jadis dans ses reportages, nous raconte la vérité du monde, même s’il s’obstine à marquer roman sur la couverture.
Et courez voir la pièce !
Michel Puech
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PRATIQUE
Théâtre des Bouffes du Nord7 bis Boulevard de la Chapelle, 75010 Paris 01 46 07 34 50De 14 à 29 euros |
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Dernière révision le 26 mars 2024 à 5:04 pm GMT+0100 par Michel Puech
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