Jusqu’au 18 mai 2014, le Musée de la Photographie de Charleroi (Belgique) présente près de 150 photographies de Gilles Caron (1939-1970), photographe star de l’agence de presse Gamma.
Le Musée de la Photographie, centre d’art contemporain de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Mont-sur-Marchienne, dans la proche banlieue de Charleroi, est logé dans un ancien carmel néo-gothique datant de la fin du XIXème siècle qui lui donne un charme particulier, et offre 2200 m2 de surface d’exposition. A l’ancien cloître, Xavier Canonne, le charismatique directeur du musée, a ajouté une aile moderne où la lumière a été domptée pour faciliter l’éclairage naturel des œuvres sans les brutaliser. Remarquable.
« Cela fait des années que je souhaitais exposer Gilles Caron » dit Xavier Canonne « après Don McCullin, Caron s’imposait ». Le directeur ne boude pas son plaisir d’accueillir Marianne Caron, la veuve du photographe, Marjolaine Caron-Bachelot, l’une de ses deux filles et Louis Bachelot directeur de la Fondation Gilles Caron. Toute l’équipe du musée, soudée derrière son directeur a fait le maximum pour que cette exposition produite par le Musée de L’Elysée de Lausanne soit une réussite. Elle l’est.
Un an après l’exposition de Lausanne, Michel Poivert et Jean-Christophe Blaser, les commissaires d’exposition sont satisfaits de l’accrochage à Charleroi. « C’est à la fois la même exposition, et une autre scénographie » expliquent-ils « à L’Elysée les salles étaient plus petites et donc plus thématiques, les murs étaient rouges… Ici, les salles sont plus grandes et les murs sont blancs. C’est différent. »
150 photographies, dont beaucoup pas ou peu connues, sont présentées : guerres des Six Jours, du Vietnam, du Biafra, Irlande du Nord, Mai 68, Printemps de Prague… Il y a les icônes de Caron, Daniel Cohn-Bendit en mai 68, le porteur d’obus du Biafra, Moshé Dayan à Jérusalem ; mais plus remarquables sont les portraits, en particulier ceux des soldats américains au Vietnam. On y lit la détresse, l’incompréhension, la douleur des hommes qui s’interrogent sur leur vie.
Remarquable également cette série dite des « lanceurs » (de pavés, de cocktails molotov) que Michel Poivert a mis intelligemment en lumière dans l’œuvre du photographe. Michel Poivert, en effet n’est pas seulement le commissaire de cette exposition, il est également l’auteur d’un livre érudit et sensible qui porte le même titre que l’exposition : Gilles Caron, conflit intérieur aux éditions Photosynthèses. Indispensable pour tout amoureux de la photographie.
Caron ou la fin d’une époque ?
« Il est l’un des premiers dans la profession à présenter les symptômes d’un conflit intérieur, d’une crise morale. L’un des premiers à pratiquer une forme d’introspection désillusionnée qui mène le reporter à retourner progressivement la caméra vers lui-même, devenir l’objet du récit photographique » explique l’universitaire Michel Poivert, professeur à la Sorbonne.
« L’exposition s’achève sur un portrait antihéroïque du photoreporter. Cette conclusion, capitale pour l’histoire du photojournalisme, démontre que la conscience de Caron et d’autres photoreporters devient à la fin des années 1960 une conscience malheureuse. Culpabilité, narcissisme, parodie ou ironie… on ne sait plus vraiment quelle image ils se font finalement d’eux-mêmes. »
Une photo résume tout, celle où Raymond Depardon filme un enfant biafrais décharné. Terrible instantané qui hante Raymond Depardon, mais dont il n’a jamais interdit la diffusion à Gilles Caron, selon les souvenirs de Floris De Bonneville, le rédacteur en chef de Gamma.
« Ces coulisses du photoreportage sont donc précieuses pour caractériser ce que j’appelle l’informe de l’information » précise Michel Poivert, « soit les images produites par le photographe mais qui ne sont pas encore filtrées par l’éditing des rédactions de journaux qui, eux, constituent les formes de l’information. »
Autre image révélatrice de cette démarche, Don McCullin, hagard de fatigue au Biafra. On est loin de l’image du reporter baroudeur tel que le cinéma – Underfire, par exemple – l’immortalise. Et on ne peut que féliciter Michel Poivert d’avoir consacré plusieurs années de recherche dans les archives de Gilles Caron pour nous offrir cette autre vision du photojournalisme.
« Les archives de la Fondation Gilles Caron forment une sorte de conservatoire » explique-t-il « On y trouve aussi bien les négatifs et les planches contact, les vintages et les vues couleurs que les publications de presse et d’autres documents de compte et de commande. On peut donc reconstituer le métier du reporter sans se contenter d’une vision de la réception par la diffusion de la presse qui est le produit final du métier. »
Avec cette exposition itinérante – prochainement au Jeu de Paume à Tours (France) – le livre de Michel Poivert, celui des Editions Lien Art, Scrapbook, et la publication des lettres d’Algérie de Gilles Caron à sa mère (Edition Calmann-Levy), la Fondation Gilles Caron est sur la bonne voie pour nous permettre de comprendre non seulement l’œuvre, mais également la vie de cet homme devenu une référence pour tous les jeunes photojournalistes.
Reportage photo : Geneviève Delalot
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En pratique
Le Musée est ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h – 11, avenue Paul Pastur (GPS : Place des Essarts) B-6032 Charleroi (Mont-sur-Marchienne). Tel. 32 (0)71 43.58.10 – Fax 32 (0)71 36.46.45.
Les photographies de Gilles Caron sont diffusées par l’agence de presse Gamma-Rapho
- Gilles Caron, conflit intérieur de Michel Poivert – Editions Photosynthèses 2013 – 65€
- Gilles Caron, Scrapbook – Editions Lien Art – 40€
- Gilles Caron, J’ai voulu voir, lettres d’Algérie – Editions Calmann-Levy – 22.50€
- Gilles Caron – Photo Poche Actes Sud avec texte de McCullin – 13€
- Mort au Biafra de Gilles Caron et Floris de Bonneville – Editions Solar (occasion sur Internet)
Liens
- www.museephoto.be
- www.fondationgillescaron.org
- www.gamma-rapho.com
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