20 février 2014, l’Ukraine connaît sa journée la plus sanglante depuis le début des évènements de Maïdan. 77 morts ce jour là selon les autorités, une centaine selon la presse locale. Eric Bouvet s’est trouvé sous le feu, à découvert. Il en ramène une série de photos impressionnantes.
« Evidemment, si c’était à refaire, je ne le referais pas. Cette journée restera gravée en moi. » Dans son vaste atelier parisien, près de la Bibliothèque de France, site François Mitterrand, où il alterne prises de vue et workshops entre deux reportages, Eric Bouvet est encore marqué par son deuxième et dernier voyage en date, en Ukraine.
« Cela fait douze ans que j’organise des stages et donc j’ai connu plus de 500 stagiaires. Certains me demandent si je peux les amener avec moi en reportage. Je refuse toujours. Mais au début des évènements de Maïdan, je suis allé à Kiev avec l’un d’entre eux particulièrement doué. J’avais emmené ma petite chambre 4×5…. Je me suis éclaté. »
« Une semaine après, je réfléchis. Je me dis que ça va chauffer. Et ça ne loupe pas. Le lendemain, la police reprend une partie de la place… Je téléphone à Paris Match. Ils veulent attendre un jour ou deux, mais je leur dis : je pars. Il me donne une garantie. Exceptionnel ! »
« J’arrive à Maïdan le mercredi midi.
Je vois la situation et là, je me dis: ils y vont fort les ukrainiens ! »
« Je me lève le jeudi matin, pas frais. J’ai cherché des informations toute la nuit. J’ai tourné, viré… J’arrive sur la barricade à 8h15. Et là, ça commence à être très, très violent. Donc je m’équipe, le casque, le gilet et tout le merdier… »
« 9h moins cinq, les manifestants passent à l’attaque. Ils chargent pour reprendre la place. Les policiers reculent…. Je suis tout seul. Je laisse passer deux à trois cents manifestants. Je n’ai pas envie d’être devant car je comprends bien la situation, si ceux d’en face veulent nous allumer, on est tous au tapis. »
« Et puis, je commence à avancer. J’entends un, deux, trois coups de feu…. Je vois le premier blessé. Un mort… Des blessés. Ça tire, mais pas en rafale. On se couche. On avance. Ça dure. Il y a pas mal de blessés et de morts qui passent devant moi. Je continue à avancer. Et je vois que ça va être très difficile d’aller plus loin. Les flics sont derrière une barricade, vraiment bien installés. »
« Je remonte la place entre les arbres. Il y a Jérôme Sessini, de Magnum, que je n’avais pas vu, qui me gueule dessus. Un homme tombe devant moi. Je me jette par terre. Je suis coincé. »
« On est deux, Jérôme Sessini et moi. On est dans un piège. On se fait allumer. En une demi -heure, autour de nous, à quelques mètres, une douzaine d’hommes tombent. On reste là, allongés à faire le mort. A attendre que ça passe. Mais on se fait quand même bien allumer ! »
Jérôme Sessini a capté la scène en vidéo. On l’entend distinctement dire à Eric Bouvet qu’une balle est passée juste à côté de sa tête.
Eric Bouvet a finalement vu ses photographies occuper deux doubles pages dans Paris Match, plus quelques autres parutions. Il dit « Je ne sais pas si le public se rend compte que nous partons en reportage avec l’argent de nos foyers »…
Michel Puech
A lire
Kiev, les révoltés de Maïdan, la chronique d’Eric Bouvet
Dossier spécial dans le numéro de Réponses Photo n°265 – Avril 2014 en kiosque le 14 mars 2014
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