Pour la 21ème édition du Prix Bayeux-Calvados, un correspondant de guerre, un photographe, Laurent Van der Stockt fait entrer 200 000 victimes syriennes dans le chœur de la cathédrale de la ville. Exceptionnel. A voir jusqu’au 2 novembre 2014.
En 2009, Patrick Chauvel a mis en scène la cathédrale dans l’exposition « Guerre-ici » que le Prix Bayeux-Calvados lui avait permis de monter. La guerre était à la porte de l’édifice.
Cette année, pour la première fois, les Rencontres Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre s’installent dans la cathédrale, dans son chœur. A Bayeux, les notables n’ont pas froid aux yeux. Des photographies de guerre dans un lieu de culte : exceptionnel !
Primé l’an dernier à Bayeux pour son reportage en Syrie, avec son confrère du Monde Jean-Philippe Rémy, Laurent Van der Stockt s’est vu proposer par le maire, Patrick Gomont, et l’organisation du Prix des correspondants de guerre, une exposition de ses photographies en 2014 dans un lieu à déterminer.
« Je suis venu en repérage il y a six mois. Je cherchais un espace assez grand pour créer quelque chose… Quoi ? Je ne savais pas. On a tourné, viré…. Chaque fois, ça n’allait pas. Finalement, on a déjeuné en face de la cathédrale. En sortant, j’ai vu l’édifice et j’ai lancé comme une boutade : on cherche un endroit grand qui a du caractère… Il y a la cathédrale ! »
Laurent Van der Stockt roule une cigarette, boit une gorgé de café. Nous sommes à la terrasse du restaurant dont il parle. Il fait soleil.
« C’était une blague… » poursuit-il « Mais le maire et l’équipe des Rencontres ont trouvé ça génial ! L’idée a fait son chemin… » Il ne reste plus qu’à la mettre en œuvre, et là, Laurent Van der Stockt a non seulement dû réfléchir à l’édition des photos, mais surtout à la scénographie.
Faire entrer la guerre dans une église, en vérité, c’est malheureusement banal au Moyen-Orient. Les civils syriens et les combattants sont confrontés chaque jour aux bombes, aux fusillades et aux « côtés sombres des révolutions », comme le dit élégamment le reporter. Exposer en Normandie, dans un lieu de culte, des photographies prises pendant une guerre qui dure et s’impose au monde comme un terrible bruit de fond, c’est une autre affaire.
« Je ne voulais pas donner un coup de poing dans la gueule aux visiteurs de la cathédrale. » explique Laurent Van der Stockt. Donc pas de combats. Pas de blessures atroces. « Pas de clou dans les mains. Je suis en-dessous de l’imagerie de ces lieux. A côté d’une de mes photos, il y a une statue avec une main coupée… »
Plus de 200 000 morts depuis le début du conflit en Syrie. « Je veux montrer que ces morts sont des gens comme nous ».
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« un papillon de 10 mètres de haut, sur une surface triangulaire et courbée située en surplomb à 30 mètres du sol… »
« La cathédrale est un endroit fait pour la contemplation. Je n’ai pas choisi des scènes trop dures pour ne pas heurter mais ce sont tout de même des images de conflit. » Certes, mais les « bouts de négatifs » que Laurent Van der Stockt utilise représentent des gens ordinaires, dans des scènes de la vie de tous les jours en Syrie.
Enchâssés dans l’architecture de la cathédrale, dans les niches de saints, les syriens dialoguent avec les vitraux et peintures qui ornent les différentes chapelles et travées. Elles interpellent les paroissiens et les visiteurs, comme le touriste anglais passant entre deux visites de plages du débarquement. 70ème anniversaire oblige.
« J’ai envisagé différentes installations » poursuit un Laurent Van der Stockt, souriant, investi, rayonnant dans le soleil automnal. « Evidemment, il y avait l’idée de bâches ! J’ai fait des essais. J’avais l’impression d’être dans une foire commerciale ! »
« Et puis, j’ai mis à plat toutes les contraintes. C’est un monument historique : pas de clou, pas de colle… C’est compliqué. Mais ce sont les contraintes qui m’ont donné l’idée de faire simple et léger : impression sur papier collé sur des cartons, découpés…. »
Facile à dire, difficile à réaliser quand il s’agit de coller « un papillon de 10 mètres de haut, sur une surface triangulaire et courbée située en surplomb à 30 mètres du sol… » Laurent regarde la cathédrale avec un petit sourire en laissant le temps à l’interlocuteur d’imaginer la scène.
Pas simple. « On a travaillé nuit et jour, toute la semaine dernière. Une équipe formidable totalement engagée dans le projet. » poursuit le photographe. Le résultat est impressionnant.
C’est la seconde fois que Laurent Van der Stockt surprend son monde, en transformant un travail photojournalistique en une œuvre artistique, en déplaçant de la presse à des lieux divers, le constat photographique de la souffrance humaine.
Il y a un an déjà, il parlait de ce « 3ème acte ». L’idée selon laquelle il y a la prise de vue, l’éditing presse et, le troisième acte : un éditing fait pour mettre en scène un travail photographique dans un lieu.
En décembre 2013, au Depoland, un ex-atelier du port de Dunkerque, dans le cadre de l’exposition « Révolutions arabes : l’épreuve du temps » montée par Alain Mingam, Laurent Van der Stockt avait créé un espace dans lequel tous les murs représentaient des murs à l’intérieur d’appartements syriens éventrés. Il n’y avait pas de personnages, juste un constat dont la reproduction à l’échelle 1 prenait le visiteur aux tripes. La photo encadrée au mur de la chambre à coucher d’Alep devenait celle de la grand-mère du visiteur.
A Dunkerque, l’artiste nous montrait l’intérieur inhabité déserté sauf par d’invisibles combattants passant eux à travers les murs. A Bayeux, Laurent Van der Stockt met en scène nos voisins syriens et, du fait du lieu de recueillement, les fait entrer dans nos fors intérieurs. Ce brancardier syrien « qui va chercher les blessés et les morts entre deux passages d’avions larguant des bombes, c’est un saint. » explose Laurent Van der Stockt.
A défaut de « toucher le cœur des dirigeants politiques » comme l’invite la prière pour la paix distribuée dans la cathédrale, le geste artistique de Laurent Van der Stockt va permettre à des milliers de visiteurs qui vont passer par Bayeux, pour souvent se recueillir sur les tombes des soldats de la World War II, d’avoir une pensée pour les victimes syriennes d’aujourd’hui.
« Je ne suis pas un militant » dit Laurent Van der Stockt « mais j’ai des amis là-bas. Et je sais que pour eux, cette exposition fait espérer que les cœurs soient touchés. Et puis dans une cathédrale… »
Michel Puech
Pratique
Cathédrale de Bayeux, rue du Bienvenu
Ouvert tous les jours jusqu’au 2 novembre de 8 h 30 à 22 h – Entrée libre
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Laurent Van der Stockt et sur le Prix Bayeux Calvados
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