L’Amérique des années 60 à 90, c’est celle de la guerre du Vietnam, du mouvement de libération des femmes et des homosexuels, des débuts de la Silicon Valley mais aussi celle des luttes pour les droits civiques que les évènements de Fergusson remettent dans l’actualité. Le regard amoureux mais lucide d’un photojournaliste.
Ecouter l’entretien avec Jean-Pierre Laffont sur WGR
De l’Afrique du Nord à l’Amérique
Jean-Pierre Laffont est incontestablement une de ces grandes figures du « photojournalisme à la française ». Ce photojournalisme qui a fait la gloire des agences de presse Gamma, puis Sygma. Il fêtera l’an prochain ses 80 ans avec une grande exposition à la Maison Européenne de la Photographie (MEP). Cet automne, il publie, aux Editions Glitterati, une somme : Le Paradis d’un Photographe sous-titré Une Tumultueuse Amérique (1960-1990).
« En avril 1965, je suis arrivé par charter à New York, invité à y séjourner par un ami reporter à Europe 1. Il voulait créer une agence de son et de photo… ça n’a jamais marché, mais je suis resté.»
Rencontrer Jean-Pierre Laffont c’est feuilleter un demi-siècle d’images. Homme curieux et curieux homme, Jean-Pierre Laffont a tout à la fois la faconde des méditerranéens et le pragmatisme attribué aux américains.
Deux caractéristiques que l’on retrouve dans le cheminement de sa carrière et dans ses photographies.
Logiquement, comme son père, son grand-père et tout un pan de sa famille il aurait dû devenir médecin. Mais voilà, une passion pour la pêche sous-marine l’amène à photographier « le plus gros poisson de l’année » qu’il vient d’attraper.
Sa mère lui offre un Leica IIIf … Adieu la pêche sous-marine, le voilà à la chasse aux images. Et il choisit la célèbre école de photo de Vevey en Suisse, plutôt que la faculté de médecine. Après Vevey, c’est Paris où il devient assistant de photographes, dont Sam Levin « qui m’a énormément appris. » Puis c’est New York qu’il découvre à 31 ans. Entre temps, il a déjà rencontré Eliane, sa future femme.
Quand il part en Amérique, sans qu’il le sache, son parcours est déjà bien balisé, Hubert Henrotte, son condisciple de Vevey, va créer en 1966, l’agence Gamma, et lui proposer de l’intégrer avec « minimum garanti de 300 dollars». Hubert Henrotte va également propulser Eliane, devenu Mme Laffont, à la tête du bureau de Gamma à New York.
De la photo, Eliane ne connaît que Jean-Pierre, mais elle va rapidement apprendre, non seulement à éditer les reportages, mais surtout à les vendre. Elle va régner, durant plusieurs décennies, sur le marché américain de la photo de presse. Incontournable Éliane qui sait, habilement entre deux « mon poulet, mon chéri », glisser un prix exorbitant pour l’achat d’un reportage, dans les oreilles des directeurs photo des rédactions, et ainsi faire la fortune de Gamma puis de Sygma.
« J’ai vu l’Amérique avec un œil étranger »
« En arrivant à New York, J’ai eu de la chance. J’ai rencontré des photographes et ils cherchaient des bons tireurs… A l’école de Vevey j’avais appris à bien travailler et ça plaisait. J’étais 12, 16 heures dans le laboratoire. Je dormais dans le labo mais je gagnais mes sous comme tous les émigrants. »
Un jour, alors qu’il se ballade, son Leica sous le bras, deux « gays » lui demande de leur tirer le portrait. De fil en aiguille, il va photographier « leurs copines » et publier régulièrement dans Status Magazine.
Tout de suite, Jean-Pierre se passionne pour ce continent américain. Plus que les paysages, ce sont les hommes qui retiennent son attention. Pendant trente ans, il arpente la cinquantaine d’états. « Un beau jour, j’ai pu rentrer dans une prison de l’Arkansas… J’ai fait des photos intéressantes et l’agence des Reporters Associés a vendu plusieurs pages à Paris Match. C’est à ce moment là qu’Hubert Henrotte m’a écrit pour savoir si j’étais le Laffont qu’il avait connu en Suisse. »
L’aventure commence réellement avec la création du bureau de Gamma pour lequel il va couvrir non seulement l’actualité de la Maison Blanche, de l’ONU, mais également le mouvement pour les droits civiques sans oublier les passages américains des grandes stars européennes.
« J’ai fait la photo du pouce du bomber… »
La guerre du Vietnam est la grande affaire des années 70. Jean-Pierre Laffont obtient l’autorisation de l’US Air Force de photographier le stock des bombes qui sont larguées sur la péninsule indochinoise. « J’ai fait la photo du pouce du bomber… » dit-il pensif. Ses photographies de la base aérienne de l’île de Guam feront non seulement une belle double page dans Life, mais également le tour du monde.
On doit également à Jean-Pierre Laffont de remarquables reportages sur les prisons américaines notamment « le couloir de la mort » à la prison de Sing Sing, ou cette image ne montrant que des mains passant à travers les barreaux, à la prison de Tromb dans l’Etat de New York.
Il est aussi un des premiers à montrer les grands rassemblements de la jeunesse américaine. A celui de Power Ridge, dans le Connecticut, il réalise une photographie d’un couple nu de dos que l’on verra dans les magazines du monde entier.
Nixon sera une autre grande affaire pour le photographe. Accrédité à la Maison Blanche il est là, le jour de son départ où il choisit de le photographier décollant en hélicoptère pour la dernière fois de la résidence présidentielle pendant que Ford prête serment. Jean-Pierre Laffont aime l’Amérique, mais il n’est pas aveugle, il enchaîne les reportages sur le Ku Klux Klan, la misère et la saleté à New York, la première faillite de Détroit, etc.
Mais quand il parle de l’Amérique (Ecoutez son interview sur WGR en bas de page), c’est la misère des fermiers des grandes plaines qui l’a visiblement le plus touché. « J’aimais ces fermiers. Dès que je pouvais, je prenais ma voiture et j’allais à leur rencontre » dit-il avec émotion. Jean-Pierre Laffont est un homme sensible.
Il y a quelques années, alors que la ville de La Londe-les-Maures organisait une exposition de photographies de mon père sur le camp de harkis jadis installé à l’entrée de la commune, j’ai reçu un émouvant courriel de Jean-Pierre. Il avait commandé une harka pendant la guerre d’Algérie et gardait un souvenir brûlant des moments passés avec « ses » hommes sur un pic du djebel… (Voir la projection de Visa pour l’image 2012) Sensibilité et fidélité, deux de ses qualités.
Son magnifique livre sur sa tumultueuse Amérique rend un hommage éclatant à cette sensibilité, à son obstinée conscience professionnelle de montrer, sans jamais se mettre en avant.
Jean-Pierre Laffont ne cherche pas à faire la belle image pour la belle image, il cherche la photographie qui nous fera comprendre et ressentir ce qu’il a vu. Jean-Pierre Laffont est un des grands photojournalistes du XXe siècle et ce livre le démontre en 359 photos grand format.
« C’est elle qui a tout fait » dit Jean-Pierre en parlant d’Eliane Laffont. Incontestablement Eliane n’est pas pour rien dans la somme éditée cette année. Elle a fait le choix sûr de la grande professionnelle qu’elle est parmi des milliers d’images de son mari et elle l’a poussé à scanner, à légender… Quatre ans de travail ! Encore une fois, les Laffont ont fait une équipe gagnante et on attend avec impatience le prochain livre…
Michel Puech
Lire et voir
Le Paradis d’un Photographe Tumultueuse Amérique (1960-1990)
Editions Glitterati Inc 2014 – 70 euros
Allez plus loin
Site personnel de Jean-Pierre Laffont : http://www.jplaffont.com/
Et toutes nos informations concernant Jean-Pierre Laffont
Présentation du livre à Visa pour l’image
Dernière révision le 21 août 2024 à 11:01 am GMT+0100 par Michel Puech
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