Depuis septembre 2014, Daesh essaie de conquérir la ville de Kobané en Syrie malgré l’âpre résistance des forces kurdes (YPG et PKK) et les interventions aériennes de la coalition. Malgré les risques, journalistes et photographes tentent d’entrer dans la ville. Pierre Barbancey de l’Humanité et le photographe Frédéric Lafargue ont réussi. Récit.
« La frontière est à deux pas, marquée par une clôture de barbelés. Sans un mot, deux hommes nous réceptionnent. Les sacs sur le dos, nous les suivons. Une brèche a été ouverte. Nous nous y engouffrons. Nous voilà seuls. À quelques centaines de mètres, nous apercevons les lumières bleues des véhicules de la gendarmerie turque qui patrouillent sans cesse. Il faut faire vite et se fondre dans la pénombre. Cinq cents mètres, peut-être un kilomètre, à découvert, qu’il faut franchir le plus rapidement possible. Les militaires turcs ont la gâchette facile, même si nous sommes en territoire syrien. Le champ est boueux. Les chaussures s’alourdissent à chaque foulée, lestées de paquets de terre. Dévaler et grimper des talus, passer la voie de chemin de fer alors que les échanges de tirs sont de plus en plus menaçants, sans pouvoir en discerner la provenance. Les contours des premières maisons de la ville se dessinent enfin. Si loin, si proches. Quelques pas encore. Enfin ! Nous entrons dans Kobané.» écrit le 1er décembre 2014 Pierre Barbancey dans l’Humanité qui était avec le photographe Frédéric Lafargue, ancien grand reporter de l’agence Gamma aujourd’hui freelance.
« Nous avons fait trois tentatives »
« Il a fallu deux semaines et plusieurs tentatives » écrit Frédéric Lafargue « Nous avons essayé d’abord d’une façon disons officielle avec les autorités turques. Mais celles-ci restreignent de plus en plus les accès. Elles n’autorisent qu’un endroit pour la presse, sur une colline à 3 km de l’entrée de la ville, où l’on peut faire des images de bombardements avec un téléobjectif de 400 mm. Ensuite il y a la voie non officielle… Nous avons fait trois tentatives avec les volontaires qui tentent de rejoindre la résistance en se faufilant entre les patrouilles de l’armée turque. Nous avons échappé de peu à l’arrestation dans un verger de pistachiers plein de boue. »
La troisième tentative a été la bonne. Frédéric Lafargue, qui n’est pas un débutant, confesse pourtant sa peur. Daesh est très près, et l’on sait le sort qu’ils réservent aux journalistes. La journaliste freelance Edith Bouvier de retour de Kobané, participait samedi à un débat animé par Alain Mingam dans le cadre de la manifestation « 1914-1918 : Lyon sur tous les fronts ! », racontait qu’elle s’était trouvé elle aussi à 15 mètres des forces de Daesh et que « c’était vraiment trop près même si les femmes combattantes kurdes chantaient ! »
« Nous avons dû courir dans la nuit, traverser deux tranchées profondes et boueuses pour atteindre le point de rencontre avec notre contact » raconte Frédéric Lafargue mais notre contact n’était pas là. « On a dû se décider à frapper à une porte pour trouver un abri, en attendant l’arrivée du contact en supposant que notre point d’arrivée était la partie ouest de la ville contrôlée par la résistance et non par Daesh… Heureusement la première porte était celle d’un atelier où trois dames du PKK s’occupaient d’armes et ont dit, j’espère en plaisantant, qu’elles n’avaient pas tiré parce que nous ne portions pas de longues barbes … Elles nous ont aidés, nourris, logés. »
Quel est l’état de la ville ?
« Le centre-ville le plus près de la frontière n’est que décombres, en raison d’explosions de véhicules-suicides comme ceux utilisés par Daesh ce week-end. D’autre part les frappes aériennes de la coalition ont fait des dégâts très lourds depuis des semaines. La partie occidentale de la ville est très endommagée par d’incessants tirs de mortiers de Daesh, et la partie orientale est presque rasée pour les mêmes raisons. Je n’ai pas pu visiter le centre ni le sud de la ville… Quant aux attaques de ce week-end je n’en n’ai pas été directement le témoin car il y a eu un pilonnage permanent par des mortiers et il a fallu rester à l’abri. Le bruit de la bataille était énorme, avec des échanges de tirs d’armes à feu et de nombreuses frappes aériennes. Un obus de mortier a atterri à côté de la porte de la maison où j’étais. Je l’ai découvert en sortant dimanche matin. Le premier regard sur la zone de combat du week-end a été assez impressionnant. Le niveau de destruction près de l’endroit où a explosé le véhicule-suicide est énorme. J’ai couvert quelques zones de guerre, mais les destructions ici me semblent tout à fait exceptionnelles. »
Comment te déplaces-tu ? Avec quelle protection ?
« Je porte un casque classique, je ne porte pas de sac pour être plus léger pour courir avec les combattants qui m’escortent. La principale menace ce sont les snipers et les tirs de mortiers. Un autre type de précaution consiste à gérer les susceptibilités des combattants… Certains combattants kurdes sont des ressortissants turcs et ils ne souhaitent pas se faire photographier, craignant des représailles quand ils vont retourner en Turquie. Un autre problème est le secret militaire et on m’a souvent demandé de ne pas photographier telle ou telle position tactique spécifique pour ne pas renseigner Daesh. »
Michel Puech
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