Only in Paris est un carnet de photographies accumulées durant plus de 40 ans par un artiste qui n’appartient à aucun courant de la photographie française. C’est un Paris « surréel », un regard poétique sur la capitale la plus photographiée au monde. Inclassable et irremplaçable.
François Le Diascorn est né le 10 Janvier 1947 à La Flèche dans la Sarthe. Il passe sa jeunesse à Beaucaire, à Sète, dans le sud de la France, puis à Brest avant de débarquer à Paris, logiquement par la gare Montparnasse. « C’était encore la vieille gare. J’étais perdu et terrifié par Paris.» Il est tout jeune, il a 15 ans.
« Je n’aimais pas Paris »
La phrase revient sans cesse dans l’interview et dans la présentation de son livre qu’il fit à la Maison Européenne de la Photographie, le 4 décembre dernier. « Ce livre est un Paris assez inquiétant… Il reste que Paris me fait un peu peur. Bien sûr, dans le livre, il y a des monuments : la Tour Eiffel, le centre Pompidou, Notre-Dame, mais c’est un Paris très personnel. C’est un Paris sorti de mon esprit un petit peu ébranlé… » confie-t-il dans un éclat de rire.
« À Paris, en toutes saisons, les appareils photos fleurissent. Prises de vues mille fois répétées de touristes et amateurs enchantés. Clic-clac ! Le souvenir est en boîte. Imagerie périssable dont on peut noter toutefois, en cette période de frénésie statistique, qu’elle place Paris en « tête de gondole » des lieux les plus visités et donc les plus photographiés du monde.» écrit, dans la préface de « Only in Paris », Francine Deroudille qui sait de quoi elle parle. Elle est l’une des deux filles de Robert Doisneau.
Mais entre les années 50/60, durant lesquelles Robert Doisneau ou Willy Ronis ont photographié, et celles où François Le Diascorn opère, un océan de suspicion s’est lentement ouvert entre les photographes et les parisiens. Le légitime droit à la reproduction de son image a été dévoyé d’abord par des people , plus soucieuses de leurs finances que de leur image; ensuite, la publicité faite autour de nombreux procès incite le photographié à protester.
Il est devenu très difficile aux photographes d’opérer dans la rue, et encore plus aux éditeurs de publier des clichés pris sur le vif. Nous sommes dans une époque où les pieds des passants sont plus présents que leurs visages.
Et puis, précise François Le Diascorn : « Les enfants ne jouent plus dans la rue… Si, par hasard, je fais des photos d’enfants, les gens pensent que je suis un vieux pédophile comme si il n’y en avait pas de jeune ! » s’exclame le photographe.
« Les gens sont difficiles à Paris… Il y a une tension, une sorte de violence… Je continue de faire des photos dans la rue tous les jours, mais tous les jours j’ai des problèmes. Je ne discute plus. Je souris et je file. J’ai adopté la formule d’Henri Cartier-Bresson : les photographes sont comme les artilleurs : ils tirent et se tirent. »
« Je vois des choses qui sont la réalité,
mais qui pourraient ne pas l’être. »
François Le Diascorn est un photographe original. Il n’appartient à aucune école, aucun mouvement, aucune tendance. Il n’a rien à voir avec la photographie humaniste de l’après-guerre. Si on voulait lui trouvé une parentèle, il faudrait chercher du côté des surréalistes.
« Je ne suis pas un reporter » dit-il, bien qu’il ait débuté en 1971 par des reportages au Bangladesh et Calcutta. C’est en Inde qu’il rencontre Nancy J. Guri Duncan, une jeune journaliste américaine qui va devenir sa compagne et l’entraîner aux États-Unis, au Mexique et en Amérique centrale.
Bien que le journalisme ne soit pas sa tasse de thé, il rejoint en 1978, sur les conseils de Martine Franck, l’agence de presse Viva, ce collectif créé par Claude Dityvon, Hervé Gloaguen, Martine Franck, Guy Le Querrec, Richard Kalvar et Fançois Hers. Il y fait partie de « la deuxième génération », celle des Michel Delluc, Yves Jeanmougin, Xavier Lambourg, Esaias Baitel, etc.
En 1979, il obtient une bourse de la Fondation Nationale de la Photographie puis une commande du Ministère des Affaires Etrangères sur le thème “Les Fêtes au Québec”. Il fait partie de la sélection Jeune Photographie Française aux 10èmes Rencontres d’Arles et fait de nombreux reportages en Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Canada, Pologne, Maroc. « J’avais alors un très bon client Nouvelles Frontières, qui payait bien. »
Dans les années 80, le Ministère de la Culture lui commande un travail pour une exposition et un film sur le groupe Urban Sax. Il continue à beaucoup voyager en Europe, Inde, Israël, URSS, Egypte et passe quinze mois aux USA, 55 000 kms dans un minibus Volkswagen, 42 états parcourus. Au retour, en 1984, ses photos américaines sont projetées aux 15èmes Rencontres d’Arles. Vingt ans plus tard, elles constitueront une partie de celles retenues pour son livre Only in America (Ed. Créaphis 2010) qui fera l’objet d’une exposition en 2009 à Visa pour l’image.
Resté membre actif de Viva, après la fusion avec l’agence La Compagnie des Reporters, il rejoint l’agence de presse Rapho en 1986. Agence qui diffuse toujours son travail. Un travail très personnel, où l’insolite est souvent le cœur de l’image.
« Au début, je n’avais pas de projet et puis petit à petit j’ai commencé à comprendre mes photos. Ce qui m’intéresse c’est l’aspect fantomatique, étrange des choses. On pourrait dire « surréel » si le mot n’avait pas été si galvaudé. La photographie a représenté pour moi une sorte de thérapie. Je vois des choses qui sont la réalité, mais qui pourraient ne pas l’être. J’essaie maintenant de garder cet esprit. »
« En traversant Paris de 1971 à 2014 avec ce livre », écrit Francine Deroudille « on se trouve progressivement imprégné par la puissante atmosphère que dégagent les images qui balisent cette promenade. Ce n’est pas une seule histoire en images, c’est finalement la sienne, sa traversée de Paris en ombres et lumières qui tient beaucoup du rêve éveillé ».
« Ce photographe modeste et discret ne se situe dans aucune filiation. Pourtant il a rejoint aujourd’hui la lignée des plus grands. Une certaine manière d’être au monde nous est révélée par une forme parfaitement maîtrisée. « La forme c’est le fond qui remonte à la surface » disait Victor Hugo. »
Michel Puech
Only in Paris – Photographies de François Le Diascorn – Créaphis Editions
63 photographies en bichromie – 243 x 210 mm à l’italienne – 108 pages – français/anglais – 27,90 €
Lire notre article sur Only in America
- Site de l’éditeur : www.editions-creaphis.com/
- Site personnel de François Le Diascorn : http://francoislediascorn.com/
- Site de l’agence Rapho : http://www.gamma-rapho.com
Notre dossier sur François Le DiascornDernière révision le 26 mars 2024 à 5:29 pm GMT+0100 par
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