La journée du samedi 28 février 2015, marquera « pour des années, voire des décennies, l’histoire de l’AFP » a déclaré Michèle Léridon, directrice de l’information de l’AFP devant les rédactions de l’agence où se sont succédé ce lundi 2 mars les conférences de mise au point.
La fausse annonce samedi dernier de la mort de Martin Bouygues, PDG du groupe Bouygues et actionnaire principal de TF1, est assurément, au lendemain de son 70ème anniversaire, une tache sur l’histoire de l’agence de la place de la Bourse.
« On est très en colère, très meurtri », a déclaré Michèle Léridon, même si « cela ne remet pas en cause les qualités des personnes ». « La fiabilité est la vertu cardinale de l’agence, le cœur du contrat de confiance » a rappelé à ses troupes Emmanuel Hoog, PDG de l’agence. « Une seconde erreur d’un ordre comparable dans les prochaines semaines serait fatale » a-t-il précisé après avoir appelé Martin Bouygues pour lui présenter personnellement les excuses de l’AFP.
Le PDG a néanmoins renouvelé « toute sa confiance » à Michèle Léridon ainsi qu’aux équipes de l’AFP. Pour sa part, la directrice de l’information a estimé que la journée de samedi marquerait « pour des années, voire des décennies, l’histoire de l’AFP » avant d’ajouter « Tout le monde cherche à comprendre, à expliquer l’inexplicable. De toute évidence, il y a eu précipitation et négligence, et surtout oubli de nos règles. Nous devons revenir à nos fondamentaux : la rigueur, la fiabilité, le recoupement des sources »
Les faits vus de l’AFP
Samedi 28 février, en début d’après-midi, un journaliste des informations générales fait état d’une rumeur courant dans la commune de La Roche-Mabile, dans l’Orne, sur la mort de Martin Bouygues. Le patron du groupe Bouygues et de TF1 y possède une maison. La source est une relation familiale du journaliste, mais il est clair qu’il ne s’agit alors que d’une rumeur.
La rédaction en chef du desk France alerte le bureau de Rennes, concerné géographiquement et les services politique et économie, oubliant le service société qui est en liaison avec TF1.
A Rennes, le journaliste de permanence interroge les pompiers qui confirment qu’il y a bien eu un mort samedi matin à La Roche-Mabile. Interrogé sur l’identité de la personne : Martin Bouygues, le médecin des services d’urgence répond que « ce n’est pas ce nom-là ».
Le même journaliste cherche à contacter le maire de La Roche-Mabile. Pas de réponse. Il contacte alors le maire de la commune voisine, Saint-Denis-sur-Sarthon, président de la communauté d’agglomération.
Le journaliste lui demande expressément s’il peut confirmer le décès de Martin Bouygues. « Oui, je peux vous le confirmer », répond-il. Le journaliste demande alors à la rédaction en chef France s’il peut diffuser l’information. Il reçoit le feu vert. Les porte-parole du groupe Bouygues contactés ne répondent pas au téléphone.
L’AFP envoie alors la fatale dépêche sur les fils à 14h27. Elle est vite démentie par TF1 et Bouygues sur Twitter provoquant la colère et l’ironie d’internautes mais également de rédactions, qui pourtant, elles n’ont plus, n’ont pas vérifié l’information diffusée par l’agence.
Quelques semaines après les errances rédactionnelles des radios et télévisions durant les attentats à Paris, cette affaire, somme toute sans grande conséquence (les bourses étaient fermées), montrent l’actuelle fragilité du système d’information déstabilisé par les nouvelles technologies.
Les rédactions qui, dans leur immense majorité ont, des années durant, méprisé la révolution Internet, se sont d’abord jetées dans le mur du « tout gratuit » avant de péniblement faire machine arrière.
A peine avaient-elles pris conscience de l’importance du web, qu’elles se sont à nouveau précipitées dans le mur en faisant la course avec Facebook et Twitter !
Oublier le temps de la réflexion, le temps où le savoir-faire n’est pas, le tout faire vite !
On chante aujourd’hui le credo selon lequel le journaliste doit écrire, photographier, filmer, prendre du son et expédier le tout à toute vitesse pour ne pas se faire distancer par les réseaux sociaux. Absurde !
La vraie mort de cet inconnu qu’est Monsieur Martin de La Roche-Mabile, après les 55 heures de « breaking news » de certaines chaînes de télévision, nourrira les débats des Assises internationales du journalisme organisées le 13 mars prochain à Paris. Un peu de réflexion sera plus utile que de s’insurger contre le CSA qui a blâmé nos radios et télévisions.
A l’AFP, place de la Bourse, on semble avoir retrouvé raison. Des journalistes seront-ils sanctionnés ? « Dans cette affaire, il y a eu beaucoup de précipitation, pas assez de travail collectif. La direction va agir avec détermination, sans précipitation » a répondu à ses troupes la direction de l’information.
Sage décision pour une faute collective.
Michel PuechDernière révision le 12 mars 2024 à 12:11 pm GMT+0100 par Michel Puech
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