Vendredi 13 mars 2015, les Assises Internationales du Journalisme et de l’Information, organisées par l’association Journalisme et Citoyenneté, avaient l’ambition de tirer « les leçons de Charlie » grâce à des ateliers où sont intervenus de multiples responsables des médias. Compte-rendu d’humeur.
L’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental est un endroit à la fois très confortable et résolument peu convivial. Les intervenants sont perchés sur une tribune séparée du public par un fossé digne d’un château médiéval. Le tout incite plus à la sieste qu’au débat d’idées. Et de fait, les débats furent limités.
Parmi les « ateliers », j’ai opté pour celui qui me semblait le plus au cœur du sujet : « Les leçons éditoriales de janvier ? » sous-titré « L’info en continu dicte sa loi, heurs et malheurs des réseaux sociaux… ».
A la tribune, Laurent Doulsan, chef du service Police-Justice de France Info, Michel Léridon, directrice de l’information à l’AFP, Céline Pigalle, directrice de l’information du groupe Canal Plus donc d’iTélé, de Cécile Prieur, directrice-adjointe du Monde, ont raconté les différents « dispositifs » rédactionnels qu’ils ont mis en place le 7 janvier 2015 quand est tombée la dépêche de l’AFP annonçant la fusillade à Charlie Hebdo. « Dispositifs » qui n’ont fait qu’être renforcés jusqu’au grand rassemblement du dimanche 11 janvier.
Toutes les rédactions représentées dans cette conférence, qualifiée d’atelier, ont été plus que mobilisées. Tout le monde était sur le pont « même ceux qui étaient en congés » à préciser sans rire, l’une des intervenantes (bon point : beaucoup de femmes).
« Débrief » sans griffe
Le plus frappant, mais passé sous silence : l’explosion du fameux compteur « morts/km ». On sait dans les rédactions que pour qu’une info soit intéressante, elle dépend du nombre de morts et de l’éloignement de l’évènement. Deux morts dans un village sont une info de Une pour le canard local tandis qu’il en faudra une dizaine de milliers en Chine pour le même résultat. C’est ainsi que les « 2000 morts » du raid de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria, survenus au même moment que les attentats parisiens n’ont pas connu la même notoriété médiatique. De cela, il n’a pas été question dans l’atelier.
Ecoutant la générale autosatisfaction qui se dégageait des propos des différents responsables de rédaction, j’avais en tête d’autres débats sur la presse….
Des débats, dans les années 70 où les gens d’Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo intervenaient pour se moquer de « la presse pourrie », cette presse des « capitaines d’industrie » et de l’Etat, qui s’est spontanément sentie si solidaire de la rédaction de Charlie Hebdo.
Ces mêmes patrons de presse et de rédactions qui ont accouru le 7 janvier 2015 à 20h30, quelques heures après les assassinats, au Ministère de la Culture et de l’Information. « Tout le monde était debout et pétait de trouille » m’a raconté un participant. Ils répondaient à la convocation de la Ministre désireuse de « faire le point ».
Mais de peur, il n’en a pas été question aux Assises, pas même pour évaluer l’effet du matraquage d’informations sur la population. Pourtant si c’est bien la solidarité qui s’est exprimée spontanément le soir même, on peut s’interroger sur le rôle de la peur, et celui des médias l’amplifiant, dans le rassemblement du 11 janvier.
La confraternité a par contre été au cœur du débat. Unanimité à la tribune : une des « leçons de Charlie », serait que les rédactions ne peuvent plus se faire mutuellement confiance ! « Nous avons rapidement décidé que nous ne validerions plus que les informations que nous avions nous même vérifiées » a dit en substance Me Le Monde ajoutant que face aux rumeurs Le Monde répondait qu’il ne savait pas… Et tous en cœur de chanter le crédo de la vérification des informations, qui après Charlie, c’est, promis juré, est la règle d’or !
En l’absence de Cavanna ou autres trublions de Charlie Hebdo première époque, il m’a semblé indispensable de leur rappeler que malgré tout, ils avaient tous publié la fausse mort de Martin Bouygues ! Petites gênes, petits sourires… Seule Michelle Léridon de l’AFP s’est sentie à l’aise, vu qu’elle s’est déjà elle-même « couverte de cendres », tout en licenciant deux subalternes.
Je me suis fait rappeler à l’ordre par Jean-Marie Charon « J’ai dit des questions factuelles, pas des réflexions qui sont réservées au débat suivant ». Effectivement, dans la conférence suivante, il y avait un « dissident » ! Rony Brauman était comme moi un Charlie de la première heure, mais pas du Charlie d’avant l’attentat, ni des Charlie qui ont défilé derrière la brochette de chefs d’État accourus se faire tirer le portrait pour cause d’achat d’armes, d’élections ou autres mauvaises raisons. Il était bien seul l’ex-French doctor à faire entendre une voix à contre-courant.
Il faut dire que dans la salle, exceptée une brochette d’étudiants en journalisme, la majorité avait des cheveux blancs et des responsabilités associatives, politiques ou syndicales.
A gauche, Dominique Pradralier (SNJ France Télévision) à droite Pierre Ganz (SNJ)
L’info à grande vitesse installe les journalistes « comme des hamsters dans une roue »
Entendant Me Le Monde, parler avec enthousiasme de son « live », c’est-à-dire de la conversation de comptoir électronique que met en place « le quotidien de référence » avec ses lecteurs chaque fois qu’il y a un évènement comme Charlie ou le procès DSK, je ne peux que me souvenir avec nostalgie du temps où Le Monde faisait appeler trois fois ses correspondants au téléphone, pour vérifier un chiffre ou l’orthographe d’une personnalité. Pourquoi ne le fit-on pas pour Martin Bouygues ?
A la tribune on chanta également les exigences du breaking news », de l’info en continu, du direct, du pultem flux ! Mais attention pas celui des réseaux sociaux d’où proviennent toutes les erreurs, toutes les manipulations ! Haro sur Facebook, Tweeter, vive le « live » et les 55 heures d’édition spéciale que personne n’a remis en question.
Au banc des accusés, j’oublie un nom, un sigle, celui du CSA objet de la vindicte de toute la profession. Tous n’ont pas de mots assez durs pour qualifier les avertissements que cette institution a donnés aux chaînes de radio et de télévision. Soit.
Je ne suis pas un partisan du CSA, n’ayant aucun goût pour les contrôleurs en tout genre, mais la vivacité de la vindicte trouvait une curieuse résonnance dans ces Assises où les pratiques actuelles du journalisme n’ont pas été sérieusement remises en cause.
La vraie conclusion de ces Assises m’a semblé avoir été tirée par Nordine Nabili du Bondy Blog, en substance : « les médias nous ont téléphoné après les attentats, nous téléphonent aujourd’hui pour l’anniversaire des émeutes, et nous leurs répondons aujourd’hui comme hier les mêmes choses qu’en 2005 ! »
L’info circule vite et, les erreurs persistent. Ainsi ira le journalisme tant que les rédactions se soumettront au flux.
Michel Puech
Site officiel des infos : http://www.journalisme.com/les-assises
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