Depuis 4 ans, en avril, les havrais ont rendez-vous avec un photojournaliste. Après Alain Keler, Frédéric Sauterau et Didier Lefèvre, ce fut cette année Olivier Jobard accompagné de Kingsley Abang Kum, le jeune camerounais qu’il a suivi dans son périlleux voyage d’Afrique en Europe…
Mathilde Poulain de la Bibliothèque universitaire, Alain Blondel de Créapolis et le consciencieux et obstiné Jean-François Berville de l’association Deux Tiers ont tout lieu d’être satisfaits.
Après les expositions « Vents d’est » d’Alain Keler en 2012, « Des murs et des vies » de Frédéric Sauterau en 2013 et « Afghanistan 1986-2006 » de Didier Lefèvre l’an dernier, l’exposition « Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin » d’Olivier Jobard confirme la qualité des Rendez-vous du Havre.
Il faut dire que Le Havre, avec sa « BU » dispose d’un lieu d’exposition remarquable. Il y a de l’espace, de la lumière. Une belle réalisation de l’architecte René Dottelonde.
En outre, une seconde exposition du photographe invité est réalisée chaque année chez Créapolis qui réalise les tirages numériques des expositions, tout aussi intéressante. Olivier Jobard y a montré « Ester et Armando », portrait d’un couple de travailleurs saisonniers réalisé dans le cadre d’une commande du Secours Catholique à son agence Myop.
Le phénomène migratoire,un sujet dangereux
L’active Université populaire du Havre avait programmé lundi 13 avril 2015 un débat sur la migration dans le cadre de Parole de photographes.
Kingsley Abang Kum, Olivier Jobard et le sociologue Mahamet Timera sont venus débattre devant environ 200 personnes, essentiellement des enseignants, des étudiants et des retraités.
La soirée était animée par Alain Frilet, ancien directeur éditorial des agences Magnum Photos, Gamma et Rapho, fondateur de la revue 6 mois.
Alors qu’il travaille pour l’agence Sipa press, Olivier Jobard va à Sangatte en 2000, c’est là que va naître son intérêt pour le phénomène migratoire qui touche une bonne partie de la planète.
En 2004, au Cameroun, il fait la connaissance de Kingsley. Ils se côtoient pendant deux à trois semaines avant de conclure un marché.
Olivier Jobard le suivra dans son périple clandestin, mais il n’interviendra pas. Il ne lui donnera pas d’argent.
A l’inverse, durant le voyage, après que Kingsley se soit fait rançonner par des policiers, le photographe acceptera de garder l’argent du migrant sur lui. Dans la poche d’un blanc, c’est plus sûr.
Autre aide du photographe, la possibilité de prévenir sa famille que tout allait bien. Le photographe téléphonait à Paris où un ami répercutait les informations.
Pour le reste, le photographe et le migrant ont vécu dans les mêmes conditions de voyage. Pour Olivier Jobard, il semble que le désert ait été assez cauchemardesque, bien qu’il reconnaisse que la traversée de l’océan atlantique sur une barcasse était le pire des dangers. A juste titre, prudent, il était seul à savoir qu’il portait une balise Argos en cas de danger. « Je ne pouvais le dire, car ils auraient voulu que je la déclenche ! »
En final, ils sont arrivés sains et saufs en France après six mois d’une errance qui a forgé une belle amitié qui éclaire l’estrade de cette conférence.
Pour Kingsley, l’Europe n’est plus un mythe. « Enfant on voyait l’Europe à la télévision. On voyait tout merveilleux ! Je suis parti en fait sans savoir tous les risques que j’allais prendre. Plus les jours passaient et plus c’était dur, mais je ne pouvais pas retourner dans mon pays.»
La découverte de la réalité européenne a été une autre épreuve. « Je ne m’attendais pas à ça » dit simplement Kingsley. Sans papier, pas de boulot. Pas de travail, pas d’argent, pas de domicile.
« A un moment » raconte Kinsgsley « je n’en pouvais plus. J’étais prêt à repartir. » On connaît la terrible rengaine dont le blog Fini de rire de Martine et Jean-Claude Vernier tient l’édifiante chronique.
Mais comme le souligne honnêtement Olivier Jobard, Kingsley n’est pas tout à fait un migrant comme les autres. Le reportage d’Olivier Jobard a fait le tour du monde. Ensuite, un photographe de Sipa press, Louys Riclafe a remis le dossier de Kingsley en mains propres à qui de droit.
Kingsley Abang Kum a retrouvé une vie normale. Il a des papiers, a fait une formation et trouvé un emploi comme technicien de génie climatique. La salle, captivée par la projection des photographies et par les paroles de Kingsley et d’Olivier Jobard, respire.
Il reste que Kingsley a parfois un peu le blues : « Aujourd’hui, je vis mieux. J’ai un travail. Ça va… Mais, mes amis d’enfance me manquent… Ici, les relations c’est par texto… »
Puis une voix africaine dans la salle demande comment le reportage a été reçu au Cameroun et plus largement en Afrique.
Kingsley et Olivier se regardent… « Quand nous sommes retournés, Kingsley et moi, au Cameroun avec le livre que nous avons fait ensemble » dit Olivier Jobard « Moi, je pensais naïvement que les photos étaient un témoignage assez fort pour faire comprendre combien le voyage était périlleux. Mais en fait tous les jeunes tournaient très vite les pages pour voir si c’était bien vrai, qu’il était arrivé en Europe ! »
« C’est là que j’ai compris que le message n’était pas du tout celui que j’avais escompté. Au départ, je m’étais dit que c’était bien de montrer la réalité aux africains, mais l’effet a été inverse. ! A l’arrivée, vu par les africains, je me suis complétement planté ! »
Michel Puech
Reportage photo de Geneviève Delalot
Lire notre précédent article :
Le voyage d’un migrant raconté aux enfants par le photojournaliste Olivier Jobard
Liens
Le site d’Olivier Jobard: http://www.olivierjobard.com/
Le site de l’agence Myop : http://www.myop.fr/fr/photographe/olivier-jobardDernière révision le 21 août 2024 à 12:00 pm GMT+0100 par
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