Une semaine avant le début de la semaine professionnelle du festival international de photojournalisme Visa pour l’image à Perpignan, quelques souvenirs de mes pérégrinations estivales, histoire de fêter le 7ème anniversaire de A l’œil.
7 ans ! C’est, paraît-il, l’âge de raison, l’âge où l’on peut dire « non » ! L’âge de A l’œil, né dans le Club Médiapart en août 2008, recommandé par la rédaction du « pure player » aux plus de 100 000 abonnés.
On peut donc rire de bon cœur à la vengeresse prédiction d’Alain Minc au micro de France Info en 2008: « La presse sur le Net ne peut être que gratuite. La presse payante sur le Net ne peut pas marcher.»
Cet été, j’ai promené ma canne, mon chapeau et mon micro à Narbonne pour Sportfolio, la 2ème édition du festival de photo de sport, aux Promenades photographiques de Vendôme, au festival photo de La Gacilly et aux Nuits photographiques de Pierrevert. J’ai boudé Arles, trop « couvert » par les médias traditionnels et trop déçu par mes précédentes visites. Les artistes auto-proclamés, les béni-oui-oui des maîtres incontestés m’ont toujours agacé.
Et puis, aux « stars », aux grands noms de la photographie et du journalisme, je préfère la plupart du temps, les bons artisans. Les modestes, ceux qui ont des boarding cards et pas de plan de carrière dans la poche, se déplacent avec un autre reporter plutôt qu’avec un conseiller en marketing. On ne refait pas les vieux gauchistes, plus enclins à s’intéresser aux démunis qu’aux nantis.
Bilan de mon été ?
De belles rencontres ! Jean-Denis Walter, Corinne Dubreuil, l’équipe de L’Equipe à Narbonne, Emanuele Scorcelletti à La Gacilly, Peter Knapp, Stephane Kossmann et Pierre Faure à Pierrevert. Des retrouvailles avec les photographes Christian Rausch et Gérard Bonnet. Mais l’été n’était pas qu’agréable…
Les inquiétudes pour la situation des photojournalistes et de leurs agences perdurent depuis des années. Après les agences Abaca et Starface, Visual press agency, cet été,a également été placée sous la protection du tribunal de commerce suite à la dégringolade des prix des photographies publiées par nos « pas chers » éditeurs de magazine. L’hyper concurrence des agences engendrée par la politique financière des groupes de presse mène tout droit à un suicide collectif.
La concurrence, comme la critique sont aujourd’hui sauvages.
La presse se fait l’écho de la guerre des taxis, de celle du lait, du cochon et des denrées alimentaires mais, comme le gouvernement, oublie le commerce de l’information qu’elle confond avec le marché de la communication (ndlr : ce dernier en bon français : marché de la publicité et de la propagande).
Les pratiques des « applis smartphone » de transport et d’hébergement sont les mêmes que celles de sociétés étrangères commercialisant le travail de photographes français payés sans charges sociales ni impôt par des virements bancaires venus de Londres, Seattle, New York ou d’îles à crocodiles. Quand l’Etat ne fait plus respecter ses lois, que l’Union est divisée, l’anarchie est proche. Et ce n’est pas celle jadis espérée!
« La critique », elle aussi est sauvage. Après la juste indignation provoquée par le prix attribué puis annulé par le World Press Photo à une photo visiblement « montée », la polémique créée il y a un an par l’ancien critique photo de The New York Times, A.D. Coleman à propos des onze photos du D Day de Robert Capa a rebondi en France dans les pages de Télérama. Du coup, toute la presse française (Libé, Le Monde, Les Echos etc.) en a fait ses choux gras d’été sans jamais apporter de précisions supplémentaires à celles de Coleman….
Quel intérêt de savoir si Capa est resté 10, 20, 30 minutes sur la plage ensanglantée de Normandie… Qui peut juger ? Sûrement pas un « blogueur » qui, comme moi, n’a jamais entendu un coup de feu, sauf ceux des chasseurs dans le Cantal.
Est-ce que John G. Morris a menti à propos de l’incident de laboratoire ? On dit dans la profession l’homme un peu « roublard », mais qui ne l’est pas un peu dans ce métier ? Et puis à 98 ans, on a le droit de ne plus très bien savoir ce qui est vrai, ce qui est faux, dans ce qu’on raconte depuis 1944
Juste avant l’été, d’honorables danois nous ont fait un autre coup de chaud : les photos de « Ceux du Nord » présentées par Patrick Chauvel l’an dernier à Visa pour l’image seraient de la propagande.
Ah la belle info ! Comme si on ne savait pas qu’en temps de guerre certains photographes, et pas des moindres, réalisaient parfois des documents de propagande ! Du « Drapeau rouge sur le Reichtag » au « drapeau des USA flottant sur Iwo Jima », l’histoire ne manque pas de photos « montées » ! Les « viets » ne se gênaient pas plus que les occidentaux. Tous embedded !
Après, un photographe ne s’apprécie pas sur une photo, mais sur une vie. Il faut du temps pour que l’Histoire accouche de la vérité, et celle-ci est propre à chaque époque.
Une chose est certaine, devant l’accumulation des images, seuls les photojournalistes qui savent s’ancrer dans la réalité survivront. La photo des faits, au côté de la vidéo, restera l’indispensable outil pour comprendre ce qui se passe. Ceux qui sont avant tout des journalistes qu’ils s’expriment par le texte, la photo, le son, la vidéo doivent être le plus honnête possible, et se garder des compromissions.
Qu’ils laissent à d’autres, le soin de travestir la réalité, de la colorier en rose ou en bleu, de s’amuser avec les filtres. Qu’ils ignorent les flatteurs et conseilleurs artistiques. Le photojournalisme qui rentre au musée, c’est celui qui montre l’Histoire. Pour cela, il faut l’avoir photographiée, l’Histoire !
C’est ce que nous verrons, à Perpignan, dans une semaine à Visa pour l’image.
Michel PuechDernière révision le 21 août 2024 à 12:00 pm GMT+0100 par
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