5ème édition des Rendez-vous organisée par la Bibliothèque universitaire du Havre et animée par Jean-François Berville de l’association Deux Tiers, au programme deux expositions de Gaël Turine .
Le plateau proposé par Jean-François Berville pour l’annuel Rendez-vous du Havre était alléchant : Gaël Turine, l’invité de cette année, mais également Alain Keler, Olivier Jobard et Claire Billet. Ces derniers ne viendront pas, envoyés en reportage par Arte au bout de la route des migrants, en Suède. L’invité de cette 5ème édition, Gaël Turine est un photographe souriant. Il est belge. Ceci expliquant peut-être cela. C’est un photographe engagé, concerné comme disent les anglo-saxons. Un humaniste. Fils de documentaristes, il a grandi au rythme des enquêtes et reportages. Devenu photographe à la fin du siècle dernier, il a naturellement embrassé la carrière de rapporteur des mystères et des drames humains de ce monde. Autant dire qu’il y a du travail. C’est un homme qui sait bâtir des projets et les mener jusqu’au bout.
« Le mur et la peur », son reportage sur la meurtrière barrière qui sépare l’Inde du Bengladesh, a reçu le Prix du Meilleur Reportage Photographique de l’Agence Française de Développement, a été exposé à Paris, à la Maison Européenne de la Photographie et, a été publié par Actes Sud dans la collection Photo Poche. Fait exceptionnel et qui comble de bonheur le photographe, le reportage a été publié en livre au Bengladesh ! Pour en savoir plus lire nos articles précédents sur le reportage de Gaël Turine. On peut également télécharger l’excellent dossier pédagogique réalisé par le CLEMI à l’occasion de l’exposition visible jusqu’au 15 avril 2016. A ne pas manquer.
Photographier les réfugiés.
Les Rendez-vous du Havre sont encore dans l’enfance, mais avec Alain Keler, Frédéric Sautereau, Olivier Jobard et Gaël Turine, ils ne manquent pas de parrains de qualité. Et Jean-François Berville, commissaire des expositions, ancien iconographe, peut compter sur la Bibliothèque Universitaire, la municipalité et l’association des Industries du Havre pour le soutenir.
Avec un tel aréopage, Jean-Louis Vinet, fondateur de la radio WGR, a eu la bonne idée de réaliser un « Bar des correspondants », une émission en direct du Havre pour inaugurer le nouveau matériel de la station. Surprise de dernière minute, la photographe Marie Dorigny a rejoint Le Havre en provenance de Bruxelles où elle expose actuellement un travail sur les femmes réfugiées.
Le débat que vous pouvez écouter en podcast, a évidemment tourné sur l’immense exode des réfugiés moyens-orientaux. Alain Keler de l’agence Myop, ce vieux briscard de l’agence Sygma, n’en n’est pas à son premier reportage sur des réfugiés. A la question de savoir sur quel reportage il a rencontré son premier réfugié, il ne sait plus. « J’en ai vus partout… » et, ajoute-il « ça a toujours été difficile d’intéresser la presse sauf quand il y a des moments importants. Les médias sont assez tièdes.
« A Lesbos, des bateaux arrivent tous les jours… » raconte Marie Dorigny. Elle photographie depuis la période des guerres des Balkans, mais est vraiment choquée par ce qu’elle a vu en travaillant sur le sort des femmes et des enfants qui fuient la guerre. En Macédoine, elle nous raconte comment les réfugiés étaient embarqués sur des trains (interdits aux journalistes) sans savoir où, ni quand ils arriveront !
« La situation évolue très vite. » confie-t-elle au micro de WGR « Les règles du jeu changent. Par exemple sur l’île de Lesbos (Grèce), en août et septembre 2015 on voyait des réfugiés marcher à pied pour aller à l’autre bout de l’île. Aujourd’hui, il y a des volontaires qui les attendent avec des couvertures, de la nourriture. Il y a les « Clowns sans frontières » pour détendre les enfants… En même temps, il y a beaucoup de presse. La situation était très tendue sur le terrain : pas de la part des réfugiés, mais de la part des humanitaires. Quand on photographie des femmes, beaucoup d’entre elles refusent. Elles craignent le regard de leur mari, de leur famille, mais nous respectons ça. Je suis une femme et je sais que la photographie et le Moyen-Orient c’est compliqué… Les volontaires, les humanitaires nous prennent pour des charognards – c’est comme cela qu’ils nous appellent – alors que nos boulots sont complémentaires. Et franchement, j’ai eu des problèmes tous les jours. »
Pourtant comme le souligne Gaël Turine, le travail avec les humanitaires est capital. Sans les activistes d’une ONG, avec lesquels le photographe a travaillé, son reportage était impossible à réaliser.
« Ce sont les autorités, les policiers, et même parfois les Onusiens qui s’opposent à notre travail » précise Marie Dorigny. « En Allemagne, à Munich, les autorités m’ont demandé de ne pas montrer les visages alors que les réfugiés étaient d’accord pour être photographiés. »
« C’est de plus en plus difficile de photographier. Maintenant on ne peut plus photographier les enfants » s’exclame Alain Keler « c’est une catastrophe parce que les enfants c’est la vie ! Notre espace de liberté, notre espace de travail se réduit de jour en jour, même en dehors de la question des réfugiés. En France particulièrement car il y a une loi sur la protection de l’image qui est allée trop loin. »
« Je suis parti sur « Le Mur et la Peur » après avoir vu une vidéo sur YouTube » raconte Gaël Turine. « J’ai fait en sorte de retrouver cet homme qui était battu, nu, par des policiers sur cette vidéo. Il habite au fin fond du Bengladesh. Aujourd’hui encore, des années après, il n’ose plus aller à la ville voisine. Il a peur de ne pas pouvoir se marier car il m’a dit qu’aucun père ne donnerait sa fille à un homme qu’on a vu nu. Et la vidéo a été vue au Bengladesh plusieurs millions de fois ! »
Pris entre les difficultés d’accès au sujet de leur reportage, les pressions des services photo des journaux et magazines qui les envoient – quand ils ont la chance d’avoir une commande – les photojournalistes n’ont pas la vie facile.
« J’avais très envie d’aller travailler sur la question des réfugiés, mais tant que je n’avais pas de commande, je ne me sentais pas légitime. A partir du moment où je suis partie pour le Parlement européen, j’avais une mission. » confie Marie Dorigny.
Autour des micros de WGR, au Havre, trois générations étaient réunies. Le plus jeune Gaël Turine a mené à bien son reportage « Le mur et la peur » sans financement de presse. Marie Dorigny confie qu’elle ne travaille quasiment plus pour la presse. A son grand regret !. Son dernier travail a été financé par le Parlement européen. Et, il faut à Alain Keler tout la dérision et le réalisme de sa culture juive pour constater l’évolution du métier.
« Une photo ne peut pas changer le monde mais que serait ce monde s’l n’y avait pas de photo ? Ce serait la voie assurée vers le totalitarisme. »
Michel Puech
A voir
- Exposition « Le mur et la peur » Bibliothèque universitaire du Havre 25, rue Philippe Lebon – Le Havre. Tel 02 32 74 44 14
- Exposition « Voodoo » CRÉAPOLIS 79, avenue René Coty Le Havre. Tel 02 35 22 87 50
Plus d’informations sur les sites officiels : Association Deux Tiers – Bibliothèque universitaire du Havre
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