1966, quatre jeunes gens créent l’agence de presse Gamma. 50 ans après A l’œil s’entretient avec quelques uns des hommes qui ont, durant trois décennies, fait le succès du « photojournalisme à la française ». Après Hubert Henrotte, le fondateur, Jean Lattès, le photographe oublié, voici le témoignage d’Hugues Vassal, l’autre fondateur.
Résumé des épisodes précédent
Hubert Henrotte, le fondateur de l’agence photo Gamma a développé, dans notre premier épisode, une photo du métier de reporter photographe dans les années 60, époque où il milite pour les droits des photographes à l’Association Nationale des Reporters Photographes (ANJRP).
Jean Lattès, son aîné, nous a fait revivre la presse des années 50 et 60. Le France Dimanche des grandes plumes, le ELLE d’Hélène Lazareff et de Françoise Giroud, les mythiques Life et Look de l’Amérique triomphante… Les deux nous ont esquissé des portraits peu flatteurs des agences photo de l’époque : Reporters Associés, APIS et l’agence de Louis Dalmas.
« On en a marre des négriers !
Pourquoi on ne se gère pas nous-mêmes ? »
Hugues Vassal
Avec Hugues Vassal, on retrouve cette ambiance qui sent la Gauloise et la Gitane arrosées aux petits ballons de rouge ou au champagne offert par les vedettes. C’est encore une presse « d’après guerre ».
Piaf est une star, Hugues Vassal passe ses nuits avec elle « sans partager ses draps violets » mais en photographiant ses amants. Il côtoie le gratin des vedettes de l’après-guerre et est parmi les premiers à photographier les « yéyés » qui débarquent : Johnny Halliday, Sylvie Vartan, Françoise Hardy etc. C’est la naissance de la presse magazine illustrée en couleur.
Comme Jean Lattès, Hugues Vassal travaille à « France Dim’ » où il s’oppose à la direction qui veut une photo du fils de l’acteur Gérard Philippe qui est mourant à l’hôpital. « On a tous refusé…/… on a été punis. »
Fatigué par les nuits et les excès du showbiz, après une tournée avec Johnny, il fait une dépression et ambitionne de faire d’autres photos……
« C’est un photographe du Figaro,
un photographe de France Dimanche
qui sont au départ » Raymond Depardon
Après des années de discussions et de réunions de l’ANJRP, de déjeuners ou de dîners entre amis et de palabres aux bistrots, Léonard de Raemy, ou Hubert Henrotte, ou Jean Lattès, ou Hugues Vassal, lance l’idée de la création d’une nouvelle agence. 50 ans après, les mémoires ne sont pas fiables.
« Hugues Vassal, le photographe people dont Gamma avait besoin, aura été bien efficace. Salarié de France Dimanche, il a trouvé le moyen d’être avec nous dès le premier jour. Avec beaucoup de courage, il va renoncer à ses indemnités en se faisant licencier. Le coup était risqué, mais Hugues ne voulait pas manquer son rendez-vous avec Gamma. » écrit Hubert Henrotte.
A lire « Gamma, Histoire de photographes » le livre édité par Gamma-Rapho Books et les Editions de La Martinière, à l’occasion du cinquantenaire, on pourrait croire que la création de l’agence de presse Gamma est l’œuvre d’une bande de « bisounours ».
« J’ai signé pour une coopérative, pas pour une SARL ! », la protestation de Jean Lattès et sa décision de ne pas participer à la société montre que les débats pouvaient être agités, avant et après, la création de Gamma. Le témoignage d’Hugues Vassal que l’on peut écouter aujourd’hui le confirme.
Dès les premières années, la scission – qui interviendra sept ans après la création – ne sera que la prévisible conséquence de l’imprévoyance des premiers statuts de la société où il n’est pas question de divorce, des espoirs différents des actionnaires – Depardon veut faire du cinéma, Vassal veut quitter le showbiz – et, de l’arrivée d’une jeune et jolie demoiselle débauchée par Jean Monteux de l’agence des Reporters Associés : Monique Kouznetzoff.
« Je suis entrée à Gamma le 14 Mars 1967. » témoignait Monique Kouznetzoff dans A l’œil en mai 2013 « Une agence « d’hommes ». J’avais l’habitude, j’avais quitté un an plus tôt les Reporters Associés, où j’ai fait mes débuts, où j’ai tout appris et tout fait : du labo, du secrétariat, la rédaction des légendes, écouter les reporters quand ils rentraient de « leurs guerres ». Un monde merveilleux pour une toute jeune fille. »
Monique est jeune et très jolie. A la rédaction de Gamma, elle attire tous les regards de cet aéropage de jeunes gens, dont bon nombre rêvent de la conquérir.
Göksin Sipahioglu par exemple, alors uniquement photographe diffusé par Gamma. « Je voulais partir et Hubert Henrotte qui était alors le patron de Gamma ne croyait pas au reportage. » a raconté à A l’œil le fondateur de Sipa « Je suis parti quand même et j’ai bien fait car j’ai décroché la « cover » du New York Times Magazine. Je me suis dit qu’Henrotte n’était pas un bon journaliste et qu’il fallait que je fonde ma propre agence. Début 1969, Monique Kouznetzoff et moi nous avons loué 16 m2 pour 750 francs… Monique avait la clé. Mais l’été venu, elle est partie en vacances en Espagne. Elle a téléphoné à Hubert Henrotte pour réclamer de l’argent qu’il lui devait. Henrotte a dit : je ne t’envoie pas l’argent, je te l’amène. Et vous connaissez la suite… »
La suite est banale, c’est celle d’un homme marié et père de famille qui quitte son foyer pour l’amour d’une jeunette. Un grand classique qui va avoir des conséquences sur la vie de l’agence Gamma.
« On voulait un papa mais pas une maman » résume Hugues Vassal. Un sentiment qui, pour n’être pas avoué par tous les protagonistes est bien réel. Entre les quatre associés fondateurs, une femme s’est glissée, rompant le lien direct que les hommes entretenaient entre eux. 50 après, il y a encore des traces dans les esprits et les cœurs.
La disparition de Gilles Caron, et l’espoir longtemps entretenu de son retour d’une captivité fantasmatique, a achevé de déstabiliser le pack des fondateurs qui n’était plus que trois à travailler à l’agence : Henrotte, Depardon et Vassal. En mai 73, la rupture est consommée. En deux nuits, les photographes vident les archives de Gamma pour récupérer leurs films, les contacts et les fichiers clients. Le « départ de voyous », comme le dit Hugues Vassal, vide Gamma de pratiquement tout son staff. Vassal et Floris de Bonneville, le rédacteur en chef, retiennent Depardon tentés de suivre Henrotte et toute la bande.
Après la crise, l’affaire Claustre
et la démission « forcée »
Après un an de direction, Raymond Depardon passe les manettes de la société à Hugues Vassal. Il veut reprendre les reportages. Vassal ne restera pas longtemps, lui non plus, à la direction de l’agence. Françoise Claustre, une ethnologue française est enlevée par le Front de Libération du Tchad à la tête duquel se trouvent Hissène Habré et Goukouni Oueddei. C’est le début d’une longue captivité (1974 à 1977) et d’un véritable « polar » où le cadavre sera celui du commandant Pierre Galopin, chargé de négocier. Une histoire où journalistes, hommes de pouvoir et barbouzes se côtoient d’un peu trop près dans un marigot.
Une histoire qui vaut à Hugues Vassal, alors patron de Gamma, les pressions les moins agréables de la part du pouvoir giscardien. Et in fine, on lui conseillera de démissionner.
Quitter Gamma, sera pour Hugues Vassal le début d’une dégringolade alcoolisée. Gamma avait fait « de clochards, des millionnaires » comme il nous le raconte. Gamma, l’enverra sur le trottoir, et le métier tournera « confraternellement » le dos à ce mouton noir.
Heureusement l’homme a du ressort et ses souvenirs avec Piaf lui serviront de boussole. Depuis des années, il s’occupe de ses archives, de ses photos de l’apartheid en Afrique du Sud, de celles prises en Chine, de ses « sixties » mais surtout de Piaf. Pour son centenaire il publie livres, monte des expositions et même raconte sa vie dans des spectacles qui tournent en France et à l’étranger.
Et finalement, Hugues Vassal vieillit bienheureux, souriant et très actif à Tours.
Michel Puech
Hugues, avant de parler de la création de Gamma,
dis nous comment tu as trouvé le métier, dans les années 50, en embauchant à France Dimanche ….
A propos d’Huges Vassal
Site personnel :
Les photos de Hugues Vassal sont distribuées par l’agence AKG Images.
En librairie
Edith Piaf Une vie en noir et blanc
GAMMA, UNE HISTOIRE DE PHOTOGRAPHES
Le Livre du cinquantenaire
Collectif 1
BEAUX LIVRES
318 x 270 mm – 336 pages
03 octobre 2016 – 9791091625012
Lire, voir et écouter notre feuilleton ” Génération Gamma“
- Hubert Henrotte, le fondateur
- Jean Lattès, le photographe oublié
- Hugues Vassal, le mouton noir
- Raymond Depardon, l’associé devenu star
Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:26 pm GMT+0100 par
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