Collaborateur de Jean-Philippe Charbonnier, ami d’Edouard Boubat, reporter pour le magazine Réalités, prix Niepce 1962, diffusé par l’agence Dalmas puis Rapho et aujourd’hui par l’agence Gamma-Rapho, Jean-Louis Swiners nous a quittés entre deux fêtes comme un pied de nez à la vie qu’il aimait tant.
En 1945, le père de Jean-Louis Swiners lui offre un « Vest Pocket Kodak 4 1/2 x 6 datant de 1928 » et commence par des autoportraits. Il débute une carrière de photographe professionnel en 1957 et en septembre 1957, il réalise un scoop : la centrale atomique russe de Doubna, qui sera publié à la une de France-Soir et diffusé mondialement par l’agence Dalmas. Cet exploit lui permet « d’accepter un poste non rétribué de porteur de valises de Jean-Philippe Charbonnier » qui va l’amener à la rédaction de la revue Réalités pour laquelle il va réaliser de nombreux reportages jusqu’à la moitié des années 60. Ils lui vaudront l’appellation dalors qu’il se sentait e « photographe parachutiste ». Il quitte ensuite la photographie pour la publicité et ne reviendra à ce premier amour qu’à la fin de ses jours.
En novembre 2015, tenaillé par l’envie de montrer à nouveau son travail de l’époque il prend contact avec A l’oeil. Je me retrouve chez lui à Suresnes dans un incroyable bric-à-brac parsemé de centaines de tirages. J’ai en face de moi déjà apparemment un vieil homme mais en fait un incroyable zébulon qui me harcèle de questions sur l’état du métier aujourd’hui !
Je suis totalement désorienté par l’énergie qui se dégage du bonhomme et qu’il va mettre en scène sur sa page Facebook jusqu’à ses derniers jours. Nous avions rapidement découvert une amitié commune pour le photojournaliste Jean Lattès. Jean-Louis m’a alors confié ce texte « que nous avons écrit ensemble ». Grâce à la mémoire de Bernard Perrine, on peut le daté de juin 1965. Il a été publié dans le N°6 de la revue Terre d’Images avec un portfolio de 15 pages.
Impossible de dire à ce Monsieur qu’il repose en paix, car nul doute que là où il est, il frétille encore d’intelligence et de fantaisie.
MP
Portrait d’un pédagogue terroriste
par Jean Lattès avec Jean-Louis Swiners
« Cheveux : blond. Yeux : marrons (et ironiques). Teint : clair. Taille : 1,78 m. Poids : 71 kg. Nom : Swiners. Prénom : Jean-Louis. Né à : Montreuil-sous-Bois, Seine [Saint-Denis], le 1er avril (tiens, tiens !) 1935. Profession : journaliste. Situation de famille : marié, deux enfants. »
Tel pourrait être le début de tout article consacré à Jean-Louis Swiners ; mais il n’est pas poursuivi pour exercice intelligent de la photographie (du moins, pas encore) et une curiosité légitime nous pousse à l’interroger plus avant.
Nous sommes dans « l’usine-bureau-atelier-studio » du susnommé. Derrière lui, le mur, entièrement revêtu d’un rayonnage (fabrication J.L.S.), garni de centaines de boites 30 x 40. Sur leur tranche, on peut lire Gene (…Smith), Bob Capa (double boite), H.C.B. (en français, Henri Cartier-Bresson), Life, Bill Ray, Bill Epridge, Burk Uzzle, Moi-même (sic), D.D.D. (David Douglas Ducan), etc…
Dans chaque boite dorment (d’un oeil), reportages, articles, déclarations, photographies, de ceux-là, et encore bien d’autres.
Il s’appuie à ses tables roulantes-prototypes-à-bouquins fondamentaux (conception et fabrication J.L.S.), traités, manuels, précis, vocabulaires, encyclopédies : n’importe quoi.
Les fenêtres de la pièce sont condamnées par des panneaux d’Isorel perforés qui supportent la panoplie électrique du parfait photographe (câbles, pinces, porte-lampes, prises multiples, spots, etc.). Bref, dans cette caverne, tout témoigne de l’esprit méthodique et ingénieux du locataire, comme le « radar-à-roulettes », flash électronique à réflecteur indirect spécial, croisement visuel entre une grue et un hélicoptère.
A quinze ans, la bicyclette était sa passion ; à seize ans, la docimologie son péché mignon : prévoir avec 75 à 90 % de succès les questions de mathématiques ou de physique des « bacs blancs » qu’on lui faisait passer ; ou bien expédier ses devoirs pendant le cours, pour pouvoir lire tranquillement pendant l’étude. En un mot, il agace ses professeurs. Il aura quand même 20 sur 20 à l’écrit de mathématiques au bachot.
Il prépare ensuite Physique et Chimie de Paris, les Arts Décoratifs de la rue d’Ulm, se retrouve victime d’un sergent-recruteur sous-officier d’active et d’lnfanterie, et, en 1956 officier, de réserve et de mortiers lourds, à Berlin quartier Napoléon.
Le (sous)-lieutenant Swiners est très occupé. On lui a donné toutes sortes de joujoux : cobalt radioactif, six gros canons, du T.N.T., etc… Il tire les enseignements stratégiques de la guerre de Corée, découvre la méthode de tir néo-zélandaise, et que « la soupe du bataillon n’est pas bonne ». Ce qui agace un tantinet ses supérieurs.
Il commande même jusqu’à une compagnie de trois cents rappelés [soutiens de famille, et révoltés comme lui par l’absurdité de l’égalité républicaine]. Autre découverte, la photographie ; il achète un Zeiss-Ikon 6×6 Nettar, puis un Rolleiflex, et va jusqu’à devoir solliciter par la voie hiérarchique « Monsieur le Général commandant la garnison de Berlin » « de bien vouloir lui accorder l’autorisation de passer sa prochaine permission de quinze jours à l’intérieur de la caserne à pratiquer la photographie ». Avis favorable. Il apprend que « la poussière est le plus grand ennemi du photographe » (Der Staub ist des Fotographen der Schlimmste Feind) et à faire d’impeccables 50 x 60 en partant d’un néga 6×6. Monsieur Swiners a été saisi par la photographie et débarque en avril 1957, après 31 mois de service, à la Gare de l’Est avec 180 kg de bagages divers, en container, dont 179 kg d’agrandisseurs, livres, flashes, matériel de développement et de laboratoire.
Maintenant, il faut gagner sa vie. II se rue sur la photographie, qui se dérobe.
Arrive le mois d’août ; un ami lui propose un voyage de 15 jours à Moscou, tous frais payés, pour quatre cents francs [En 1962. Environ cinq cents euros de nos jours] avec des étudiants de l’Institut National Agronomique de Paris, au 6e Festival de la Jeunesse et des Étudiants pour la Paix et l’Amitié. Il se fait passer pour un ancien élève. Tout va bien, jusqu’au moment où les Soviétiques lui demandent une conférence sur un des sujets les plus ardus qui soit : l’herbe. Il décline poliment ce périlleux honneur, en expliquant qu’il y a eu erreur, et que c’est en qualité de physicien et non d’agronome qu’il se trouve en U.R.S.S… Tout aussi poliment, les Soviétiques l’invitent alors à visiter force usines atomiques — dont Doubna, avec ce qui était alors le plus grand synchrocyclotron du monde — qu’il photographie à peu près Iibrement.
A son retour à Paris, ses photographies seront publiées un peu partout dans le monde. Quelque argent pour la chasse aux places ; et, comme le dit le bon peuple, elles sont plutôt chères, les places. Enfin, un hasard miraculeux lui permet de commencer à travailler bénévolement à Réalités, en qualité d’assistant de Jean-Philippe Charbonnier. Trois mois plus tard, il est à Entreprise, revue du même groupe de presse [Hachette] ; simultanément, il fait des photos pour Réalités ; il réussit en particulier une bonne série sur les chevaux de course [dont la double en couleurs ] et Jacques Dumons, alors directeur artistique, dépose dans le gadget-bag de Jean-Louis son cadeau de Noël 1958 : l’entrée au staff de Réalités.
Il découvre le monde, use plusieurs passeports, voit une cinquantaine de pays (Monaco compris) et s’aperçoit finalement qu’il ne connait ni les autres, ni lui-même. Il aura malgré tout le prix Niepce en 1962.
Cette année-là, après avoir inventé un obturateur rotatif à densité variable, il découvre Bob Capa et les Cubains. Et il s’aperçoit alors, au sujet de Cuba, que si ses photos sont un témoignage, le choix dans l’ensemble des documents, et l’ordre de présentation de ceux-ci, peuvent modifier complètement la signification du reportage. Parallèlement, il constate qu’il lui est, à l’époque, impossible de justifier d’une façon rationnelle et objective le choix intuitif qu’il voudrait faire publier.
II découvre que la maîtrise de la photographie passe par la maîtrise de la pensée et du langage. Et quitte à agacer, il cite Paul Valéry : « On pense comme on se heurte », qu’il n’hésite pas à modifier : « Je ne pense que si je me heurte ».
En 1964, le voilà saisi par la métaphysique comme avant lui, M. Le Troudadec avait été saisi par la débauche ; il consacre une exposition de photographies, au Grand Palais de Paris, à une citation de Saint-Paul (Thessaloniciens, I, V, 23) : « …et que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps… »
C’est une réflexion sur les trois ordres pascaliens, dont Bertrand Girod de l’Ain écrira, dans Le Monde, qu’elle est « une intéressante recherche dans le domaine du portrait non flatté » (sic). Cette même année, il applique les théories sociométriques de Jacob Levy Moreno à la photographie, et invente le photo-drame.
Et, en janvier 1965, il publie son Credo dans Jeune Photographie :
« Je n’ai pas de conceptions sur la photographie. La photographie est un moyen… La photographie est un prolongement de mon esprit, une de ses extensions dans le temps et dans l’espace… me donnant une vision et une mémoire extra-humaine… …Je photographie beaucoup les gens, droit dans les yeux… N’aimant pas être considéré comme du gibier, je ne chasse pas pour le plaisir … Mais à quelques relations esthétiques entre des formes humaines [allusion à la fameuse définition de la photographie de son ami Henri Cartier-Bresson], je préfère la relation de ces êtres humains avec moi-même… le meilleur moyen que j’ai trouvé d’enregistrer cette relation entre eux et moi est de photographier leur « regard-me-regardant ». C’est là un des aspects fondamentaux de la photographie : un enregistrement instantané et immédiat, au sens d’intuitif, d’une relation entre le sujet et le photographe… Elle (la photographie) me permet de faire voir et percevoir aux autres ce que je veux leur montrer … ».
Entre temps, il s’est séparé de Réalités. II parle sans amertume de cette période : « Pour organiser mes idées, j’arrête provisoirement d’appuyer sur le bouton. J’étudie, un peu. Si je veux défendre l’idée d’une photographie adulte, il me faut réfléchir. Je pense que nous avons besoin des philosophes. Qu’on me permette de citer Baruch Spinoza : « Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas s’indigner, mais comprendre ». Et, si l’on en croit l’ami Platon, ça aide à pardonner [allusion à « Tout comprendre, c’est tout pardonner ». Mais ce n’est pas de Platon. Nobody’s perfect]. »
Jean Lattès avec Jean-Louis Swiners.
Note: Il semble que ce texte est été écrit pour le journal de l’ANJRPC. Le photographe Christian Ducasse qui dispose d’archives concernant cette association nous communique cet extrait du compte rendu de l’AG d’avril 1965 ou Jean-Louis Swiners apparait en belle compagnie. (Cliquer pour agrandir l’image)
Voir également les notes pour mémoire de Jean-Louis Swiners
Dernière révision le 5 janvier 2024 à 8:03 am GMT+0100 par
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Cherchant à dater le texte de Jean Lattès, Bernard Perrine ancien rédacteur en chef du Photographe me répond
:
« Je ne me rappelle pas avoir vu ce texte.
Par contre ce que je sais c’est qu’en 2018 il est venu à la galerie Hegoa à mon invitation puisse j’y exposais
Je ne sais pas si tu sais que je travaillais avec lui à TERRES D’IMAGES. Je l’ai connu au club des 30×40 et nous nous sommes vu jusqu’au début 2019, on devait même écrire un livre sur les « like » »
Merci Bernard