A l’œil a envoyé une série de trois questions à des photographes pour connaître la situation face à cette guerre mondiale et sanitaire. Aujourd’hui, les réponses d’Eric Bouvet.
On ne présente plus Éric Bouvet. Depuis 1981, d’abord à Gamma puis ensuite en freelance, , il a couvert tellement de conflits, d’évènements et de révolutions. Pêle-mêle : le Liban, la place Tiananmen en Chine, la chute du mur de Berlin, la révolution de velours à Prague, celle d’Ukraine, la guerre en ex-Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan, en Lybie, ou plus récemment le drame des migrants… Sans oublier la Tchétchénie dont, outre ses photographies, il a tiré Jusqu’au bout un livre poignant que je vous recommande.
Depuis 2011, il s’est fait une spécialité de travailler sur des projets documentaires avec des « chambres » 4×5 et 8X10. Loin d’être un photographe uniquement axé sur les conflits et les « sujets durs », il sait aussi s’attacher à des sujets de société comme le sexe et l’amour.
Il est l’auteur de plusieurs livres et est ou a été publié dans de nombreux magazines internationaux dont Time, Life, Newsweek, Paris Match, Stern, NYT magazine et The Sunday Times Magazine.
Éric Bouvet, à 59 ans, est attaché à transmettre son savoir, son expérience par des workshops. Comme beaucoup de photographes de cette génération, il a eu la chance de commencer dans ces années 1980 où, contrairement aux années 1960/1970, l’argent de la publicité coulait à flots dans les rédactions et donnait aux photojournalistes les moyens de travailler. Lui et ses confrères ont donc été sévèrement douchés par la crise qui a suivi l’arrivée de l’Internet à la fin des années 1990, puis par la débâcle financière de 2008 !
D’un naturel franc et droit, Éric Bouvet a l’habitude de dire ce qu’il pense, et cela ne plaît pas à tout le monde. C’est pourtant une grande qualité pour un journaliste !
1/Votre santé est-elle affectée par le virus ? Depuis quand êtes-vous confiné(e) et dans quelles conditions ?
Ma santé physique n’est pas affectée à part des points dans le dos à cause des 20 kg de matériel, cependant ma santé mentale toujours un peu plus car je travaille sur le virus depuis les premiers jours, cela fait un mois et je n’ai vendu qu’un quart de page à un quotidien et une pige web à un autre quotidien, ce qui ne couvre même pas les frais engrangés sur les déplacements.
Je ne parle pas des frais liés à l’argentique c’est mon choix et ma responsabilité. Santé mentale car même si cela fait des années que les commandes presse se réduisent à peau de chagrin, là tout a été annulé, y compris les workshops, les expos, etc… Bien sûr comme tout le monde. Bref tenons la barre dans la tempête …
2/Avez-vous cessé de travailler sur le terrain, sinon comment vous protégez-vous ? Si vous ne travaillez plus en extérieur que faites-vous ?
J’ai travaillé depuis le début en extérieur, j’ai été le seul et le premier à faire une petite enquête sur l’Oise, personne n’en a voulu, puis à Paris avec le confinement, personne n’en a voulu, puis tous les gens d’un immeuble confinés sur leur pas-de-porte avec leurs mots pour exprimer le confinement, personne n’en a voulu…. Mais je continue, juste l’impression d’être un petit Don Quichotte. Mais je continue. Depuis une semaine je travaille sur le système hospitalier.
3/Quelles sont pour vous les conséquences financières ? Quelles relations avec vos clients ? Et pensez-vous bénéficier d’aides ?
Les relations avec les clients ? Beaucoup ne décrochent pas, ne répondent plus ni aux sms, ni aux mails. Mais j’apprécie d’autant ceux qui m’ont répondu. Pour nous indépendants c’est une catastrophe. J’ai beau chercher dans les aides proposées par l’Etat et ses administrations, je ne rentre dans aucune case…
Je ne me pose plus de questions sur notre profession et sur les services photos, je me dis que je travaille pour l’Histoire. J’aime la presse, je ne comprends pas cette chute, les finances n’expliquent pas tout. Bien entendu il est facile d’être en colère contre nos interlocuteurs directs que sont les services photos, mais que savons-nous de leur fonctionnement hiérarchique, administratif et financier ?
Je sais que nous sommes de nombreux photographes et que la plupart des services photos sont en télétravail, et cela ne leur facilite pas la tâche… Nous sommes comme toujours en première ligne et c’est nous qui allons toujours au casse-pipe. J’ai proposé de continuer ce travail sur le Corona à des institutions… On m’a répondu que tout était arrêté… Et nous que faisons-nous ? Devons-nous arrêter aussi de faire des photos ? Bien sûr que non ! Et pourtant sans aucun revenu, sans aucun salaire…
Que s’est-il passé ces dernières années pour qu’on en soit arrivé là ?
Propos recueillis par courriel le 11 avril 2020
MP
Site officiel d’Eric Bouvet : http://www.ericbouvet.com
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Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:28 pm GMT+0100 par la rédaction