Exclusif – Il y a 45 ans, le 27 avril 1975, Michel Laurent, photojouranliste à Associated Press puis à Gamma était tué dans l’offensive des forces révolutionnaires vietnamiennes sur Saigon. Un podcast de Jean-Louis Vinet et Michel Puech (Durée: 35′) avec Michèle Laurent, Guy Kopelowicz, Raymond Depardon, Patrick de Noirmont, Floris de Bonneville, Jean-Claude Francolon.
Les années 1970 sont lourdes d’évènements. Les rêves du printemps 1968 se sont envolés. La guerre du Vietnam continue de tuer. Les chars russes déferlent à Prague. En Jordanie il y a 4000 morts, 10 000 blessés. Nasser meurt. Pompidou aussi.
Le Bangladesh paie son indépendance au prix du sang. Les Anglais se battent contre les Irlandais. Les armées arabes attaquent Israël. Les Turcs veulent chasser les Grecs de Chypre … C’est la crise… Déjà… La crise du pétrole ! Comme toujours.
Les reporters volent d’avion en avion. Les morts en reportage s’accumulent surtout au Vietnam et au Cambodge. En avril 1970, Gilles Caron disparait au Cambodge.
Cinq ans plus tard, toujours au printemps, Michel Laurent son successeur à l’agence Gamma est tué, et Saigon va tomber aux mains des communistes.
Je vous parle d’une autre d’époque.
Pas de numérique, les films sont argentiques. Le téléphone est très cher. Pas d’Internet mais des bélinographes pour transmettre les images et des télex pour les mots.
L’information circule à dos d’escargot. Gilles Caron et Michel Laurent sont deux photographes très différents. En commun une certaine élégance de comportement qui tranche avec la rusticité de leurs ainés et avec celle de nombre de leurs jeunes confrères.
Michel Laurent est né en 1946, il a débuté à 16 ans au laboratoire de l’agence américaine Associated Press. Une agence qu’on dit à l’époque télégraphique.
Le boulot ? Faire vite l’image du jour, vite la développer et la béliner à Paris, puis New York. De là, elle va approvisionner la presse quotidienne du monde entier.
Avec son Burberry, ses lunettes de soleil, son cigare, le quotidien Le Monde dans la poche, le souriant Michel Laurent a repéré sa future femme, une freelance de l’Agence France Presse dont tous parlent. Elles sont rares les femmes photographes à cette époque. Elle nous parle de sa rencontre avec Michel Laurent.
Le prix Pulitzer
Dacca, capitale du Pakistan Oriental aujourd’hui c’est le Bangladesh. A Dacca la loi martiale a été décrétée le 26 mars 1971. La presse étrangère a été expulsée. En se cachant des patrouilles militaires, Michel Laurent et le correspondant du Monde réussissent à atteindre la ville.
A Dacca, c’est le massacre, viols, pillages, exactions. On compte les morts par dizaines de milliers. Le 26 mars, Michel écrit à sa femme :
« C’est le couvre-feu, tout ce qui bouge est descendu sans sommation. Les rues sont désertes… seuls quelques chiens affamés et les corbeaux. Ce sont les seuls amis des militaires… »
L’homme sera durablement marqué par ces évènements… Et l’année suivante il est déstabilisé par l’attribution du prix Pulitzer. Le prix le plus prestigieux pour un journaliste lui est attribué en duo avec Horst Faas, un confrère d’Associated press. Horst Faas est un géant du photojournalisme. Il a 13 ans de plus que lui. C’est un vétéran du Vietnam où il a déjà décroché un Pulitzer en 1965.
Ce prix va quelque peu porter la poisse à Michel Laurent.
A Gamma la disparition de Gilles Caron a laissé un grand vide. De plus, l’agence a fait face à une révolte des photographes intégrés sans être associés. La révolte déclenche un clash entre les fondateurs et le départ de tous les photographes ou presque…
Avec son Pulitzer, Michel Laurent apparait comme l’étoile montante qu’il faut à Gamma… Ce prix en pool mérite quelques précisions. Guy Kopelovitch le picture editor d’Associated Press nous apporte des précisions étonnantes.
27 avril 1975, la mort
« Une rafale a fait voler notre pare-brise en éclats, nous n’avions qu’une issue…/… rouler tous les deux dans le fossé. On était comme deux lapins terrés dans un terrier qui attendaient une accalmie pour sortir… j’étais devant, Michel était derrière. J’ai entendu un grand cri. Michel est tombé la face contre terre. J’ai pris une balle dans le menton et une balle dans la cuisse gauche. » a raconté Christian Hoche l’envoyé spécial du Figaro qui l’accompagnait.
« Michel était touché à mort. Il a gémi pendant une dizaine de minutes, il a râlé, je pense qu’il avait deux ou trois balles dans la poitrine et au bout d’une dizaine de minutes il s’est éteint. »
Deux jours après l’embuscade, Le Monde annonce la disparition de deux journalistes sans donner leurs noms. Le 2 mai suivant, le Ministère des affaires étrangères fait une nouvelle démarche auprès du gouvernement de la république populaire du Vietnam pour obtenir des informations sur le sort de deux journalistes français.
Christian Hoche, soigné dans un hôpital de campagne par les forces révolutionnaires, regagne son hôtel.
Mais le 15 septembre, cinq mois plus tard, nouvelle protestation de Paris auprès des autorités de Saigon, car le corps de Michel Laurent n’a toujours pas été ramené en France !
Les détails sont macabres mais, il faut que le public le sache : la vie des proches des reporters tués au front est un enfer. C’est le plus souvent la double peine : la perte et l’abandon.
Michèle Laurent, sa veuve, nous confie sa tristesse, sa colère et l’évolution du métier…
Générique
Ce podcast a été réalisé par Jean-Louis Vinet avec les sons de Michel Puech dont l’interview exclusive de Michèle Laurent, épouse du photographe, enregistré en avril 2015, et de :
– Guy Kopelowicz, picture editor d’Associated Press (enregistré en mai 2015)
– Patrick de Noirmont, photojournaliste à l’agence UPI puis à Reuters (enregistré en juin 2015)
– Floris de Bonneville, rédacteur en chef de Gamma (enregistré en 2013)
– Raymond Depardon, photographe et fondateur de Gamma (enregistré en avril 2020)
–Jean Claude Francolon, photojournaliste à Gamma (enregistré en avril 2020).
C’est une production du blog A l’oeil, journalisme et photographie.
Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:27 pm GMT+0100 par
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